Gleeph : recommandations de lecture via algorithme humanisé (Khalil Mouna)

gleeph recommandations de lecture

Vous êtes-vous déjà retrouvé(e) devant l’étagère d’une librairie en vous demandant quel livre choisir ? D’habitude, vous sollicitez les conseils de votre libraire mais là, vous ne savez pas quoi faire. Depuis 2017, vous avez la possibilité de bénéficier des recommandations de Gleeph. Sur la base de vos lectures passées (cinq ouvrages au moins), cette appli vous propose des suggestions qui font mouche à coup sûr… Nous avons rencontré Khalil Mouna, co-fondateur et directeur général de Gleeph. Aujourd’hui, il nous explique comment il s’y prend pour stimuler l’appétit de lecture des Français, tout en permettant aux auteurs et à leurs éditeurs de trouver leurs lecteurs…

Article rédigé par : ZIEL Jérôme

En 2017, Khalil Mouna, jusque-là conseil en stratégie pour de grandes organisations dans les secteurs de la santé et des télécoms, fait le constat suivant. Le livre est un bien culturel que le public ‘consomme’ généralement en solo… alors que les gens vont facilement au cinéma ou au concert entre amis. Par conséquent, le lien entre lecteurs lisant le même livre est difficile à établir. Un jour pourtant, Khalil a une révélation.

« C’est dans le train que j’ai eu l’idée de Gleeph, nous dit-il. En face de moi, se trouvait une personne qui lisait le même livre que moi ! Je ne l’avais pas sur moi à ce moment, mais j’en avais immédiatement identifié la couverture. La personne est descendue à l’arrêt suivant, sans que j’aie eu l’occasion de l’aborder. Je n’ai plus jamais eu l’occasion de lui parler. J’ai trouvé que c’était dommage. C’est ce lien volatile que j’ai voulu protéger avec Gleeph ».

gleeph recommandations de lecture
Khalil Mouna (c) Gleeph

Gleeph, une application respectueuse de la communauté des lecteurs

Gleeph rend ainsi possible la reconnexion entre toutes les personnes qui ont lu, lisent ou s’apprêtent à lire un livre en particulier. Gleeph permet ainsi de faire émerger en les rendant apparentes des communautés de personnes ayant particulièrement apprécié un livre. Selon l’expression préférée de Khalil : « Derrière les livres, se cachent des gens ; derrière les gens, se cachent des livres ».

Encore une innovation prétendant révolutionner le monde de la lecture par le digital, vont soupirer les plus méfiants. Khalil se récrie alors : « C’est tout le contraire : nous voulons inciter à la lecture, en accroissant la fréquentation des livres. Nous cherchons simplement à fluidifier les relations entre les lecteurs ». Il met en avant son respect pour le livre papier en tant qu’objet technologique « génial en soi ». Pour Khalil et son équipe, il était inconcevable de répliquer dans la littérature le bouleversement apporté par le digital à la musique.

Gleeph, une application numérique qui respecte nos habitudes de lecture, au lieu de chercher à les mettre sens dessus-dessous ? C’est du moins ce que suggère son nom, plutôt intriguant. Gleeph fait référence au « glyphe », caractère ou forme d’écrit fondé sur de petits dessins schématisés qui, chacun, signifient quelque chose. Comme nous l’explique Khalil, « nous avons voulu mettre à l’honneur un mot générique désignant une chose écrite et signifiante. Nous avons internationalisé ce nom en mettant deux ‘e’. Et le tour était joué ! »

Gleeph : principes de fonctionnement

Comme pour n’importe quelle application, il suffit de télécharger Gleeph et de créer un compte. Cela est assez rapide. Le lecteur va ensuite scanner les codes-barres des livres qu’il possède. L’appli les reconnaît et crée ainsi la bibliothèque virtuelle du lecteur. Il s’agit d’une véritable mémoire de lecture. Cette dernière se crée et s’organise par auteur, par genre, le tout de façon automatique. Dès le lendemain, le lecteur commence à recevoir des recommandations de lecture. Khalil insiste particulièrement sur ce point : « Notre valeur ajoutée se situe au niveau de la recommandation de lecture ».

Afin de stimuler les discussions entre lecteurs, Gleeph a aussi inventé le concept « d’étagères ». C’est-à-dire que n’importe quel lecteur peut créer une étagère qu’il intitulera, par exemple, « Mes meilleurs romans de fantaisie ». Il y associera une sélection de ses livres. À chaque étagère est attaché un forum de discussion sur lequel il est possible d’échanger avec d’autres personnes. Selon Khalil, il existe déjà des étagères très populaires sur Gleeph. « Les gens font de la curation de façon tout à fait géniale. Quand vous tombez sur quelqu’un qui a les mêmes goûts que vous ou qui maintient une étagère de ses meilleurs livres de science-fiction, dès qu’il ajoute un livre, vous serez tenté d’aller voir ce qu’il a rajouté, ainsi que les discussions que cela aura déclenchées ».

Gleeph reconnecte lecteurs, éditeurs et libraires

Vis-à-vis des éditeurs, Gleeph réalise des études statistiques et anonymisées. Grâce à la connaissance des habitudes de ses lecteurs, la start-up a ainsi pu mettre au point un algorithme de recommandation qui, selon Khalil, est « le meilleur du marché ». Il est possible de le tester en allant sur reco.gleeph.net, par exemple. Il vous recommande des livres à partir de vos lectures antérieures. Khalil nous en explique le principe de fonctionnement : « mettons que nous soyons dix autour d’une table. Neuf personnes ont lu le même livre. Je suis le seul à ne pas avoir lu ce livre. Il est donc probable qu’il figurera parmi mes prochaines recommandations. Nous faisons ainsi des rapprochements entre individus en nous fondant sur leurs lectures ».

Cet algorithme de recommandation, Gleeph le commercialise auprès d’autres plateformes, comme lalibrairie.com, ou encore le réseau de librairies Relay que l’on trouve dans les gares. C’est-à-dire que si vous vous présentez en magasin en disant que vous aimez bien lire tel livre, le libraire sera en mesure de vous dire, grâce à Gleeph, que vous devriez lire tel autre livre proposé à la vente dans ce magasin.

De la même façon, sur le site lalibrairie.com, à chaque fois qu’un internaute regarde un livre, cela vient alimenter les suggestions de lecture faites par Gleeph. Selon Khalil, « il s’agit d’un service complètement anonymisé que l’on propose à d’autres acteurs du monde du livre pour qu’ils puissent trouver leurs lecteurs ». À partir de cinq livres achetés, la recommandation Gleeph devient quasi-infaillible. Comme l’explique Khalil, « à l’ensemble de nos lecteurs, nous faisons 13 recommandations par jour. Ces derniers en valident généralement une sur trois, ce qui représente un taux de réussite très élevé ».

Gleeph vous évite le tunnel de recommandations

Gleeph traite les informations de ses usagers rigoureusement et scientifiquement. Selon Khalil, « nous nous contentons de lier la lecture d’un livre par une personne à la lecture d’un autre livre par de nombreuses autres personnes. Cependant, nous ne sommes pas intéressés par le fait d’utiliser des données directes et nominatives. Notre modèle économique n’est pas fondé sur l’identification précise de nos lecteurs, que nous traitons comme les membres anonymes d’une communauté dont nous étudions les comportements agrégés ».

Par ailleurs, plus l’utilisateur va dans un sens, plus l’algorithme l’enferme généralement dans un univers clos. C’est ce qu’on appelle le « tunnel de la recommandation ». C’est le cas, par exemple, de YouTube. En effet, ce réseau analyse les titres des vidéos que vous regardez, leurs sujets, etc. Il va donc chercher à vous proposer des vidéos aux titres ou aux sujets similaires. Ce qui n’est pas le cas de Gleeph.

Selon Khalil, « l’information que nous utilisons est uniquement liée au fait que ce titre-là a été lu par une personne humaine. On ne maîtrise pas du tout ce qui va être recommandé par l’algorithme, car on ne prétend pas maîtriser les goûts de nos lecteurs. Personnellement, l’algorithme de Gleeph m’a fait lire mon premier manga. »

« En effet, poursuit Khalil, certaines personnes lisant des livres qui me ressemblaient lisaient par ailleurs aussi des mangas. Même si moi, je n’en lisais jamais. On évite donc l’effet tunnel en utilisant de la donnée humaine. Cela préserve la sérendipité, c’est-à-dire le fait de pouvoir tomber par hasard sur des suggestions qui vont nous surprendre. L’algorithme de Gleeph préserve les rencontres de hasard ».

gleeph recommandations de lecture
écran de l’appli (c) Gleeph

Gleeph, plus forte que les applis de rencontres !

Pour nous montrer le caractère particulier des rencontres permises par Gleeph, Khalil a tenu à nous raconter l’anecdote suivante : « Nous avons reçu le témoignage de deux personnes qui se sont rencontrées sur Gleeph, alors que l’appli en était à ses tout débuts. Ces personnes sont à présent mariées et elles attendent leur premier enfant ». Lors de leur rencontre, elles s’intéressaient à un livre parfaitement obscur, dont elles étaient les deux seules lectrices. Statistiquement, elles avaient très peu de chances de se rencontrer dans la « vraie vie ».

Gleeph favorise par conséquent les rencontres « fortuites », sur la base du lien instauré par le goût commun pour un livre. En l’espèce, Gleeph a permis de réunir deux personnes non pas sur la base de photos ou de traits de caractère, comme sur les applis de rencontre traditionnelles, mais sur la base de goûts littéraires communs. « On est tout de suite en confiance avec quelqu’un qui lit le même livre que soi. On a l’impression qu’il a accès à notre personnalité profonde. Il est donc plus facile de s’ouvrir à lui… »

Alors que l’on reproche avec toujours plus d’insistance le côté disruptif du digital, Gleeph réconcilie avec succès lecture et usages du numérique.

À lire aussi : Les démarches à suivre pour publier un livre

Laisser un commentaire