L’adolescence est un passage obligé pour toutes les familles, redouté par les parents, mal vécu par les enfants. Et si on tentait de dédramatiser tout cela ? Benoît Broyart, dans son album jeunesse intitulé La crise d’ado de mon grand-frère paru le 9 septembre dernier aux éditions Hygée, a choisi d’évoquer la crise d’ado sur le ton de l’humour. À travers plusieurs situations illustrées par Laurent Richard, suivies par les conseils du psychologue Baptiste Fiche, l’auteur-scénariste de bande dessinée a sa méthode bien à lui pour aborder les sujets délicats. Il s’est confié à Ô Magazine …
Auteur et scénariste de bandes dessinées depuis 15 ans, Benoît Broyart a écrit une soixantaine d’ouvrages, principalement pour la jeunesse (albums et romans graphiques). Ce qui ne l’a pas empêché d’aborder certains documentaires pour adultes. À l’occasion, il fait aussi des lectures performances, mettant en scène certains textes… dans des décors incongrus ! C’est le cas avec Les Contes de la cabine, où il raconte des histoires du soir depuis une mini-scène de théâtre aménagée en cabine de douche !
Et si on parlait de… l’adolescence ?
« Et si on parlait de… » est une collection de livres imaginée par Benoît pour les éditions Hygée (Presses de l’École des Hautes Études en Santé Publique). Son principe consiste à aborder un problème de santé publique (au sens large) touchant une famille. Cela peut être une maladie, mais pas forcément : l’adolescence n’est pas une maladie ! À chaque fois, la partie fictionnelle se conclut par quelques pages d’analyse d’un psychologue.
Comme nous l’a expliqué Benoît : « nous sortons deux titres par an pour animer la collection. Mes discussions avec Baptiste Fiche, psychologue, m’ont fait penser que l’adolescence pouvait constituer un sujet intéressant à traiter, d’autant qu’il est peu abordé dans les albums jeunesse ». Par ailleurs, Benoît se montre assez sensible au sujet de l’adolescence. Même s’il a quitté cette tranche d’âge, il saisit bien les problématiques qui lui sont liées. « En tout cas, nous a-t-il dit, je me sens assez proche des gens en train de grandir ».
Une collection qui aborde des sujets graves, avec de l’humour
Même s’il n’a pas le titre de directeur de collection, Benoît en assume certaines fonctions. Ainsi, a-t-il poursuivi, « j’ai sorti le premier livre Ma Mère à 2 vitesses concernant la bipolarité. J’avais écrit ce livre parce qu’il avait une résonance autobiographique. Ma mère était bipolaire, donc cela m’a aidé à rendre le regard de l’enfant sur sa mère. Du coup, j’ai pu inaugurer cette structure qui fait la ‘patte’ de la collection. À savoir, ne pas mettre du documentaire dans la fiction, mais plutôt raconter une fiction et enchaîner sur une partie documentaire rédigée par un psychologue ».
Les cinq titres de la collection abordent successivement la bipolarité, la maladie d’Alzheimer, l’autisme, la survenue d’une maladie grave dans une famille, comme le cancer, et enfin, l’adolescence. Avec cette collection, Benoît a souhaité aborder des sujets graves. En 2022, il compte également sortir un livre sur le deuil et un autre sur le surinvestissement parental, car certains parents font aujourd’hui des burn-outs. À chaque fois, l’idée a consisté à dédramatiser ce type de sujets en faisant appel à l’humour. Selon Benoît, « concernant le livre sur l’adolescence, il y a des choses qui font sourire je pense, comme le comportement de l’ado à un certain moment. Même si on l’imagine mal dans sa peau ».
À hauteur d’enfant
Benoît se livre à une gymnastique particulière à chaque fois qu’il écrit un ouvrage jeunesse. Comme il l’a expliqué : « J’aime me mettre dans la peau de mon petit narrateur. Je n’ai pas de regard extérieur, car je n’aime pas me poser en donneur de leçons. Je fais appel à mes souvenirs et à des ressentis venus tout droit de ma propre enfance ». Pour écrire son texte, l’auteur a balisé un certain nombre d’étapes dans sa réflexion sur l’adolescence et les conduites à risques. « Après, a-t-il poursuivi, ce qui va me guider, c’est le nombre de doubles pages et de dessins prévus pour le livre, même s’ils ne sont pas encore faits. J’imagine des scènes impliquant l’ado. Le texte découle ainsi des images que je peux me faire d’une histoire. Je commence par définir des lieux, comme la chambre de l’ado… »
Concernant le vocabulaire, Benoît a veillé à ne pas employer un vocabulaire trop daté, qui ne trahisse ni l’âge de l’auteur, ni celui de ses personnages. « Le parler des jeunes étant très spécifique, je ne voulais pas que leur façon de s’exprimer sonne faux. Je ne pouvais pas les faire parler comme des adultes. Surtout, je me suis gardé d’imiter le ‘langage des jeunes’ – ça, ce n’était pas possible ».
Quant aux situations qu’il a choisies, Benoît a fait appel à ses souvenirs d’enfance, car il était lui-même le cadet d’une fratrie. « Mon frère a deux ans et demi de plus que moi. Pendant une certaine période, nous étions tout le temps ensemble. Puis s’est produit une fracture, un peu douloureuse d’ailleurs. Cette histoire de partie de foot de laquelle le petit frère est exclu, c’est du vécu. Sur le coup, d’ailleurs, cela ne m’a pas fait rire du tout. Maintenant, avec le recul, j’en souris bien entendu… » Outre ses souvenirs d’enfance, Benoît a fait appel à son expérience de père de deux enfants de 14 et 19 ans. « Je me suis donc nourri de ma propre vie et de discussions que j’ai pu avoir avec d’autres personnes ».
La crise d’ado de mon grand frère : un livre écrit à six mains
Avec Baptiste Fiche, psychologue spécialisé dans l’accompagnement d’enfants confrontés aux troubles mentaux, Benoît a travaillé en deux étapes. Au moment de lancer le projet, les deux hommes ont eu des discussions approfondies pour définir le sujet et la façon de le traiter. Puis, une fois son texte écrit, Benoît l’a soumis à Baptiste. Ce dernier a ainsi pu répondre aux questions que le petit personnage se posait. Il a pu aussi rajouter d’autres éléments.
Au-delà du texte, comme il s’agissait d’un album, les images étaient tout aussi importantes. Vis-à-vis de Laurent Richard, illustrateur du livre, Benoît a séquencé son récit en double-pages. Une fois le texte découpé, Laurent a réalisé des crayonnés, validés successivement par l’éditrice puis par Benoît. « Après, a poursuivi l’auteur, l’illustrateur est passé à la réalisation des images définitives. Pour ce livre, Laurent a expérimenté une nouvelle technique, si bien que les illustrations ressemblent un peu à des dessins animés. En effet, il n’y a pas de ligne noire délimitant le contour des personnages ou des objets. Du coup, le dessin en paraît plus doux, coloré et dynamique ». Laurent et Benoît réalisent ensemble des albums et des bandes dessinées depuis une dizaine d’années. « Nous fonctionnons comme un vieux couple : on s’apprécie beaucoup et on se fait entièrement confiance ».
Garder le lien
Même s’il n’aime pas donner de leçons, Benoît reconnaît que « les livres sont aussi là pour aider les gens ». Certes, il admet que pour des parents, il n’est pas facile de voir ses enfants grandir et changer énormément. À contrario, pour un enfant, il n’est pas évident de subir toutes les modifications de l’esprit et du corps par lesquelles nous passons pendant cette période. Selon Benoît, « l’adolescence est une période de grand flottement. L’essentiel consiste à pouvoir garder le lien. Cela peut passer par plein de choses. Par exemple, avec mes enfants, comme nous écoutons beaucoup de musique, nous échangeons beaucoup sur ce thème ».
Il est normal que les enfants aient envie de s’émanciper. Cependant, même en s’émancipant ou en désobéissant, ces derniers doivent avoir des limites. Si l’ado comprend que, certes, il peut rentrer plus tard mais qu’il doit prévenir ses parents, tout se passe bien mieux. Comme nous l’a expliqué Benoît, « cela fait partie des règles de savoir-vivre. On ne peut pas laisser quelqu’un qui a préparé à manger sans nouvelle. Sinon, c’est malpoli. C’est aussi rendre service à l’ado pour plus tard que de lui expliquer cela… »
Un début de résolution de la crise d’ado
D’ailleurs, le livre se termine par un début de résolution du problème auquel la famille doit faire face. « Je ne voulais pas faire un livre se concluant sur une situation explosive », a précisé Benoît. Si bien qu’à la fin, l’ado a l’air soulagé : il a compris que s’émanciper un petit peu pouvait se faire dans le respect des autres et de certaines règles.
Et vous, quels souvenirs gardez-vous de votre adolescence ? Quels liens conservez-vous avec vos propres ados ? N’hésitez pas à laisser votre témoignage dans la section des commentaires !