Dernière étape de notre bike trip aveyronnais centré autour de l’œuvre de Soulages, nous nous rendons cette fois à Rodez. Soulages y est né. Il passe son enfance dans une maison du quartier des artisans de la ville, rue Combarel. Son père tenait un atelier de voitures hippomobiles. Sa mère avait une boutique d’articles de pêche. On rapporte que le jeune garçon est alors fasciné par une tâche de goudron sur le mur de l’hôpital d’en face. Cette tâche a sans doute contribué à déterminer sa vocation de peintre abstrait. Peut-être l’a-t-elle aussi poussé à aborder des domaines inattendus, comme nous allons maintenant le voir. Entrons dans le musée Soulages de Rodez pour une visite inattendue.
Un musée à l’image de l’œuvre
Le musée Soulages, conçu par l’architecte espagnol Ramón Vilalta, a été pensé pour entrer en résonance avec l’œuvre de l’artiste. Parmi les différents matériaux entrant dans sa construction, l’acier Corten rappelle les brous de noix de Soulages, ainsi que les plaques de cuivre dont il s’est servi pour graver ses eaux-fortes.
Soulages avant Soulages
Dessins d’enfant, peintures d’adolescent : dessiner la neige ; la silhouette des arbres en hiver
Déjà tout jeune, Soulages intrigue ses parents alors qu’ils le voient maculer les pages d’un cahier d’encre noire. “Que fais-tu donc ?”, lui demandent-ils. “Je dessine la neige”, leur répond-il. Sa technique consistant à rendre une surface blanche plus blanche encore par le contraste avec le noir est déjà là. Plus grand, il aime dessiner des silhouettes hivernales d’arbres dépourvus de leur feuillage. C’est sans doute dès ses jeunes années qu’il entrevoit les signes et autres structures sombres qui peupleront plus tard ses toiles.
Soulages figuratif durant ses études aux Beaux-Arts de Montpellier
Pendant la Deuxième guerre mondiale, suite à sa démobilisation, il s’installe à Montpellier en 1941 avec l’intention de devenir professeur de dessin. Soulages fréquente alors les Beaux-Arts de Montpellier, où il exécute ces dessins au fusain d’après un modèle vivant. On notera le soin avec lequel l’artiste représente dès cette époque les contrastes entre les zones d’ombre et de lumière du corps de son modèle, préfiguration de son obsession pour la lumière qui n’a cessé de le poursuivre tout au long de sa carrière.
Toiles de l’immédiat après-guerre : l’abstraction s’impose
Le Musée Soulages expose les premières toiles du peintre réalisées dans l’immédiat après-guerre. Son style, immédiatement reconnaissable par la suite, s’affirme encore progressivement. On reconnaît les signes sombres qui s’imposent par la suite dans son œuvre. Mais les références à l’art contemporain de l’entre-deux-guerres sont également présentes : les formes géométriques courbes, ainsi que les couleurs plus vives que d’habitude, ne sont pas sans rappeler les abstractions de Sonia Delaunay ou Picabia, ainsi que certaines références au dadaïsme, au cubisme et aux courants artistiques de l’entre-deux-guerres. Le peintre se distingue déjà par la tonalité de ses toiles, nettement plus sombres que celles dont il s’est peut-être inspiré.
Les domaines de l’illustration, de la scène
La carrière de Soulages décolle immédiatement après la guerre. On fait ainsi appel à lui pour réaliser les décors de la pièce Héloïse et Abélard de Roger Vailland, présentée pour la première fois à Paris en 1949 au Théâtre des Mathurins, dans une mise en scène de Jean Marchat. De même, il illustre de sa Peinture 162 x 130 cm, 2 novembre 1959 la pochette du vinyle de l’opéra Wozzeck du compositeur contemporain Alban Berg (1961). Soulages a également dessiné une étiquette de bouteille pour le Château Mouton Rothschild (cuvée 1976), dans les tons bleu cobalt, sur laquelle il a réussi à faire figurer les initiales “MR”. Enfin, prenant exemple sur son ami Hans Hartung à l’origine d’une affiche pour les Jeux olympiques de Münich en 1972, Soulages appose sa Sérigraphie n°18, 1988 sur l’affiche des Jeux de Séoul en 1988. On peut y voir des mouvements de vagues du bleu cobalt qu’il affectionne, peut-être en hommage aux épreuves de natation ?
Le cabinet des estampes du Musée
Concernant ses eaux-fortes, lithographies ou sérigraphies, Soulages reste fidèle à lui-même : il veut redonner à chacune de ses œuvres imprimées son statut d’œuvre unique. Il restaure la place du hasard dans la création, tout en tirant le meilleur parti de chacune des techniques qu’il utilise. Comme pour les vitraux de Conques, sa démarche ne relève pas de l’interprétation, mais de la création d’oeuvres originales.
Pierre Soulages en 3D
Une peinture si profonde qu’elle en devient sculpture
Soulages enduit certaines de ses toiles outrenoires d’une couche de peinture noire si épaisse que, après qu’il en a travaillé la surface en la creusant d’empreintes diverses, de sillons, la profondeur du tableau devient aussi importante que sa largeur ou sa longueur. Si bien que finalement, on ne sait plus très bien si on admire un tableau ou une sculpture.
De la gravure à la sculpture
Un soir, alors qu’il ramène les plaques de cuivre découpées dont il s’est servi pour réaliser des eaux-fortes chez lui, ses amis s’écrient : “C’est superbe, ce sont des stèles, ce sont des sculptures !” Soulages en est choqué. Dans son esprit, ces plaques ne sont pas des sculptures, même si elles en ont l’apparence : elles ont été pensées en fonction de l’empreinte qu’elles laisseraient sur le papier. Un jour cependant, il se laisse convaincre de transformer un de ces cuivres en bronze. C’est le début du Soulages sculpteur !
Le céramiste Soulages
En 1999, Jacques Chirac demande à Soulages de concevoir un vase à la Manufacture de Sèvres, pour l’offrir en guise de trophée lors d’une compétition de sumo se déroulant à Nagoya. Le vase respecte l’esprit de l’outrenoir, la matière, la lumière et le travail des outils du peintre, notamment les stries. La Manufacture de Sèvres invente pour l’occasion un pigment d’un noir intense réservé à Soulages.
Soulages, peintre du noir ? Non, en fait : l’artiste de la clarté !
L’œuvre de Soulages s’apparente aux paysages de causses de l’Aveyron. Selon la perspective dans laquelle on se place, selon la lumière environnante, on peut la voir comme austère, ou au contraire comme joyeuse et engageante. Une chose qu’elle n’est pas : univoque. Elle soulève chez le spectateur un éventail d’émotions qui peuvent aller de la joie à la contemplation, ou bien à la tristesse si l’on est enclin à la mélancolie. Elle est le reflet de notre intériorité, aussi changeante que le reflet du soleil sur l’eau. Soulages, tout au long de sa carrière, s’est essayé à des techniques variées dépassant le cadre strict de la peinture. Tour à tour illustrateur, décorateur, sculpteur, céramiste ou encore créateur d’estampes d’une extrême beauté, il est difficile de le catégoriser et de le mettre dans une case, celle du “peintre du noir” par exemple. Il est en fait un coloriste consommé, travaillant sur les contrastes et les nuances de couleurs généralement sombres. Ce faisant, il affine notre regard et notre sens de la nuance. Essayer de pénétrer son œuvre revient à faire un beau voyage, en Aveyron certes, mais aussi, et surtout, à l’intérieur de soi.
Chère Lectrice, nous avons-vous convaincu que Soulages était le peintre , non pas du noir, mais de la lumière ? Connaissez-vous le musée Soulages de Rodez ? Si tel est le cas, n’hésitez pas à nous confier vos impressions de visite en commentaire ? !
Cet article a 2 commentaires
Merci pour votre commentaire, Jean-Marie. Nous sommes deux, alors ! Deux parmi tant d’autres… Je vous souhaite une bonne journée.
J’aime beaucoup cet artiste .