Miss Tic manie avec élégance et adresse l’image et le verbe dans l’art urbain parisien depuis les années 1980. Nous la rencontrons aujourd’hui à l’occasion de la tenue de son exposition à la galerie Berthéas. Elle évoque pour nous son parcours exceptionnel couvrant quatre décennies, durant lesquelles elle n’a cessé de nous enchanter de ses pochoirs accrocheurs et provocants.
Les années 80 de Miss Tic
Au début des années 80, Miss Tic réside deux ans aux États-Unis. Outre-Atlantique, elle découvre le Hip Hop et les graffitis alors en pleine effervescence. Une fois rentrée à Paris, elle repère les corps blancs de Jérôme Mesnager sur les murs de la capitale ainsi que les travaux des Frères Ripoulin qui recouvrent de leurs œuvres propres les affiches publicitaires, tandis que Daniel Baugeste détourne ces dernières et que les VLP peignent les palissades.
Miss Tic utilise le pochoir, mais refuse de se laisser définir comme une pochoiriste (« On ne définit pas un artiste par une technique »). Elle préfère être perçue comme une dessinatrice, peintre, poète ou plasticienne.
Miss Tic : femme de lettres et plasticienne
Dans ses œuvres, Miss Tic manie l’image et le verbe pour délivrer sa parole. Une subtile alliance entre dessin et texte poétique.
Miss Tic accepte volontiers qu’on la présente comme l’artiste la plus féminine des arts urbains. Son sujet favori, la femme dans tous ses états, s’inscrit dans une tradition picturale. De Rubens à Modigliani, nombreux sont les peintres ayant choisi la femme comme leur sujet d’inspiration préféré. Les portraits et autres nus féminins sont des thèmes classiques dans la filiation où elle s’inscrit.
L’image : une femme
Tel Flaubert qui affirmait : « Madame Bovary, c’est moi », Miss Tic met un peu d’elle-même dans ses portraits : « On est toujours la création que l’on délivre », rappelle-t-elle. Elle représente la femme de notre époque, reprenant les représentations de cette dernière qu’on nous donne à voir dans les journaux féminins, la publicité ou la mode. En détournant les femmes de leur rôle de marchandise, elle leur donne une parole libérée et anarchiste et joue avec les stéréotypes de la féminité.
Elle peint aussi des hommes, reconnaissant toutefois qu’ils n’ont pas le rôle principal dans ses créations.
Pour ses peintures sur les murs, elle utilise le rouge et le noir. Mais pour ses œuvres d’atelier, elle s’autorise une palette variée, passant de couleurs pastellisées à des aplats éclatants. Les supports sont multiples : toiles, tôles, bois, papiers, briques, pavés, parpaings : elle ne se pose aucune limite.
Le verbe : enlevé, poétique et provocant
Miss Tic accompagne ses images par des textes courts avec une typographie originale et inédite qu’elle a créée. Son graphisme fait partie intégrante de son style. Elle joue sur les sons et le sens des mots, à la façon d’un Gainsbourg. Miss Tic reconnaît : « La poésie m’a sauvée. J’ai toujours lu et écrit de la poésie. Elle m’entraîne loin du brouhaha de l’actualité quotidienne dans des territoires inconnus de la pensée et de la rêverie. J’écris ce que je sais, mais je ne le sais vraiment que lorsque je l’ai écrit. »
Travaillée par l’écriture, laborieuse, elle cherche ses mots. Son but, aller à l’essentiel. Pour cela, elle revient mille fois sur le métier. Elle cherche, trouve, élabore, oublie, dort avec le Petit Robert. Tout est bon pour trouver le mot juste.
« Je donne à profusion. Je prête à confusion. »
Miss Tic, Flashback, 30 ans de création, Critères Éditions, Grenoble, 2015, p.58.
À l’image de ses sources d’inspiration (en vrac, les dadaïstes, les surréalistes, les lettristes, les droguistes, le rock’n’roll, le Rimbaud, les mamans et les putains, sans oublier les animaux), Miss Tic aime provoquer. Pas seulement pour choquer mais plutôt pour susciter des émotions, de la pensée, quitte à agacer voire même à subir le rejet. Pour elle, un artiste doit nécessairement interroger, sur l’état du monde ou sur l’individu et ses sentiments. Elle délivre ainsi des messages parfois politiques (« La France aux Maliens » ou « Le pouvoir ne protège pas, il se protège ») à la façon d’un dessinateur de presse. « Il y a toujours un deuxième degré, une distance humoristique chez moi », lance-t-elle. Souvent, elle aborde le domaine des sentiments à la fois intimes et universels : « J’ai du vague à l’homme ».
Miss Tic : une artiste solo…
De tempérament solitaire, Miss Tic collabore parfois avec d’autres artistes (L’Atlas, Psyckoze, Francky Boy), mais de façon ponctuelle. Elle se définit d’abord comme une artiste solo, qui fait bande à part. Miss Tic aime le silence de l’atelier, nécessaire pour écrire et dessiner.
Elle n’entretient pas de relation particulière avec d’autres street artistes féminines, même si elle se félicite qu’il y en ait autant aujourd’hui. Elle aime les artistes femmes en général, même en dehors du street art. Par exemple, elle est sensible au travail d’Annette Messager, Anna van der Linden, Orlan, Maya McCallum, Fury, etc.
Au-delà, elle s’intéresse à tous les types de création, qu’ils soient masculins ou féminins. Même s’il est vrai que dans les arts plastiques, les femmes ont plus de difficultés pour s’imposer. Ainsi, Miss Tic déplore qu’elles soient encore peu considérées sur le marché de l’art. Les femmes peintres et sculpteurs y subissent encore une décote injustifiée par rapport à leurs collègues masculins.
… chérie de tous
Solitaire, Miss Tic est pourtant chérie de tous et reçoit de nombreuses propositions de collaboration. Ainsi, elle a travaillé sur des affiches de cinéma (La Fille coupée en deux de Claude Chabrol), un documentaire sur la prostitution de Jean-Michel Carré, des affiches de concerts, de festivals (Art Rock) ou encore pour les villes de Saint-Denis, Rennes ou Avignon. Le message qu’elle transmet est à chaque fois particulier. Elle délivre une parole qui ensuite s’envole et finit par appartenir à celles et ceux qui la lisent.
« Mots volés à la nuit, je suis la voyelle du mot voyou »
Miss Tic, Flashback, op. cit., p. 55.
Adulée par son public, Miss Tic est aussi appréciée par des personnalités des arts tels que Claude Chabrol, Jacques Villeglé (« Il m’a beaucoup appris sur les relations avec les galeries »), Gérard Zloty Kamien, ou encore Ernest Pignon-Ernest (« Il m’a branchée sur de nombreux événements »).
Tout pour la poésie et le dessin
Aujourd’hui, Miss Tic apprécie pleinement sa notoriété et son succès. D’autant qu’elle n’a pas été épargnée par toute une série de freins à la reconnaissance : « Je suis une femme, mon travail s’articule autour de l’écrit, en français, je suis populaire, je ne cire les pompes de personne… » Pourtant, à partir de 2005, son succès ne se dément plus en raison notamment de la vogue du street art, grâce à Banksy. Ce qui lui permet de gagner enfin correctement sa vie. « Ne plus se réveiller en se demandant comment payer le loyer de son atelier, les factures, ni comment remplir son frigidaire… Travailler plus confortablement, être juste dans la nécessité de créer et d’être libre ».
Souhaitons que Miss Tic, en mêlant l’image et le verbe dans l’art urbain parisien, nous séduise encore longtemps avec ses silhouettes féminines et ses textes provocants !
Sources : (1) Miss Tic, Flashback, op. cit., p. 42 ; (2) © Miss Tic ; (3) © Miss Tic ; (4) Miss Tic, Flashback, op. cit., p.126 ; (5) missticofficiel, Instagram.
EXPOSITION COLLECTIVE /// Galerie Berthéas – Paris : Jacques Villeglé – Anton Segui – Miss Tic du jeudi 10 décembre à fin décembre 2020
Galerie Berthéas : 76 rue de Turenne – 75003 PARIS