Qui ne s’est jamais plaint de son manager ? Parmi les reproches qui lui sont le plus souvent adressés : le manque de courage ! Ce reproche revient si souvent que Margaux Rambert, journaliste au magazine Psychologies, a décidé de crever l’abcès. Dans son livre Managers, Osez le courage ! à paraître aux éditions Vuibert le 9 février prochain, Margaux apporte sa contribution au débat. Pourquoi un manager doit-il se montrer courageux ? En quelles circonstances ? Pour quels bénéfices ? Avec son style clair et accessible, en s’appuyant sur des témoignages de coachs spécialistes de la question, elle montre que du courage des managers dépendent bien-être des équipes et performances de l’entreprise. Nous l’avons rencontrée pour qu’elle nous en dise davantage…
Dans l’idéal, le manager est un leader reconnu pour les qualités attachées à sa personnalité propre. Suscitant l’adhésion, il est capable d’embarquer les autres. Il sait rester droit dans ses bottes quand il le faut. Enfin, il semble animé par une vision et incite les autres à lui emboîter le pas. Dans la réalité, nombre d’entreprises recrutent des managers simplement pour exécuter ce qu’on leur demande de faire. Dans de telles circonstances, inutile de faire preuve de courage, ni même de poser de questions. Selon Margaux, « dans ce type d’entreprises, les collaborateurs ne se sentent pas forcément bien. Ce qui, en retour, impacte leurs performances ! »
Entre le marteau et l’enclume
Reconnaissons donc au manager des circonstances atténuantes. Ce dernier est condamné à exécuter un numéro d’équilibriste entre, d’une part, la défense de ses équipes, et la loyauté due à sa hiérarchie, d’autre part. Un manager se montrera courageux lorsqu’il manifestera son soutien à ses collaborateurs, quitte à aller à contre-courant et à faire des vagues. En effet, selon Margaux, « le job d’un manager consiste aussi parfois à manager son propre patron. Quitte à lui dire non et à poser des limites ».
À l’opposé, un manager manquant de courage va complètement démotiver ses équipes s’il refuse de les soutenir. Or, ce dernier n’est rien sans son équipe. Par conséquent, il doit vraiment lui donner la priorité, même si l’application de la stratégie de l’entreprise fait partie intégrante de son travail. « Mais, la priorité, cela reste l’équipe », insiste Margaux.
Dire la vérité
Un manager ne doit donc pas hésiter à dire merci ou bravo aux membres de son équipe. Pour cela, il doit se détourner de croyances profondément ancrées selon lesquelles, si on exprime une trop grande gratitude, « les gens vont soit arrêter de travailler, soit tout de suite demander une augmentation. Or, il n’y a rien de plus faux ! »
Ainsi, le manager fera toujours mieux passer ses idées s’il dit la vérité, refusant tout faux-semblant. Par exemple, s’il avoue qu’il ne sait pas tout, qu’il a lui aussi ses propres doutes, ses collaborateurs ne lui en voudront pas, bien au contraire ! Selon Margaux, « quand il a fait une erreur, il ne doit pas hésiter à reconnaître qu’il s’est trompé. Ce point est vraiment très important ! »
Un manager qui assume ses décisions et protège son équipe
Le courage consiste aussi à assumer ses décisions, en les expliquant, plutôt que de refuser d’en prendre la responsabilité. Ainsi, un manager frileux se cachera derrière des arguments du type : « c’est pas moi ; ce sont les autres ; c’est le contexte, etc. ». À l’opposé, le manager courageux expliquera à son subordonné la raison pour laquelle ce dernier n’aura pas eu d’augmentation, par exemple. Mais il ne se contentera pas de lui dire qu’il a moins bien travaillé que les autres. Il lui expliquera également comment il pourra obtenir une augmentation, l’année suivante.
En outre, un manager courageux protège son équipe de l’extérieur et de l’intérieur. Ainsi, comme nous l’avons déjà vu, il refuse que sa hiérarchie ne lui impose des objectifs irréalistes, jouant le rôle d’un pare-feu. Il protège aussi son équipe de l’intérieur, en dissuadant les comportements inadaptés. Comme l’explique Margaux : « vis-à-vis d’une personne qui arrive toujours en retard aux réunions ; qui met systématiquement de la mauvaise volonté ; ou bien même qui a des comportements harcelants, il faut y mettre rapidement le holà… quitte à se séparer de l’individu en question, dans les cas les plus extrêmes ».
Franchise & humanité
Pour le manager, un acte de courage qui lui attirera le respect de son équipe sera de formuler ses valeurs propres, en des termes que tout le monde pourra comprendre. Un manager courageux alliera ainsi franchise et humanité. Comme l’explique Margaux, « il ne doit pas oublier qu’il s’adresse à des êtres humains, non à des robots, en prenant en compte les émotions de ses interlocuteurs ». Certes, cela peut mener à des situation d’inconfort devant lesquelles il ne saura pas comment réagir.
Mais cet inconfort est préférable au fait d’en revenir au fantasme du manager invincible, qui sait tout. L’ère des surhommes qui décidaient et imposaient leur point de vue est révolue ! Tout simplement parce qu’ils font fuir les collaborateurs, les jeunes générations notamment. Elles lui préfèreront un être doué de soft skills (savoir-être), qualités indispensables mettant en jeu l’intelligence émotionnelle et maintenant très recherchées par les entreprises.
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Il existe des entreprises au sein desquelles tout le monde, quel que soit son statut hiérarchique ou son métier, se sent libre de dire ce qu’il ou elle pense. Elles ont compris que les bonnes idées pouvaient venir de partout. Car il est faux de croire que certains savent mieux que d’autres. À l’image d’Adrien Chignard, psychologue du travail et fondateur du cabinet Sens et Cohérence, Margaux rappelle qu’un manager, « c’est uniquement un statut donné par une fiche de poste. En fait, vous n’êtes pas meilleur que les autres. Ce n’est pas parce que vous êtes manager que vous savez tout ! En revanche, tout le monde est en mesure de contribuer à l’intelligence collective ! »
Manager en libérant la parole
Dans ce cadre, il peut être intéressant pour un manager de demander des feedbacks à son équipe. Pourquoi n’oserait-il pas poser les questions suivantes : « Comment me vois-tu, en tant que manager ? Comment pourrais-je m’améliorer ? Quels sont mes points forts ? Quels sont mes points faibles ? Que penses-tu de notre relation de travail ? » Gaël Chatelain, aujourd’hui consultant et conférencier, auparavant manager pendant vingt ans, va même plus loin. Il propose au manager d’installer ses collaborateurs dans une salle pour qu’ils puissent s’exprimer sur la façon dont ils sont managés, tandis que le manager sort de cette salle. Au bout d’une heure, l’équipe doit être en mesure de présenter une position consensuelle. Certes, cela permet de libérer la parole. Surtout, certaines choses sont exprimées dans une atmosphère propice au dialogue, dans le respect de toutes les parties.
Bien se connaître
Un manager doit enfin apprendre à bien se connaître, car on ne peut pas être le leader des autres, si on n’a pas une parfaite connaissance de soi-même. Margaux propose alors de réfléchir à ses valeurs, en tant qu’être humain, puis en tant que manager. Il sera ainsi plus facile de déterminer les valeurs vis-à-vis desquelles le manager refusera de transiger. Comme le rapporte Margaux : « Céline Ricocé, coach, explique qu’il y a un moment où il faut se dire : ‘je partirai si tel évènement se produit’ ».
Ensuite, il convient de prendre le temps de réfléchir à sa pratique managériale, ce que peu de managers ont l’occasion de faire. Ils pourraient prendre par exemple une heure chaque semaine pour réfléchir à leurs motifs de satisfaction, les difficultés auxquelles ils ont dû faire face, ainsi que la façon dont ils peuvent s’améliorer. Dans le même temps, le manager doit prendre soin de continuer de se former. Cela passe par une remise en question de tous les instants, l’écoute attentive de podcasts, la lecture d’ouvrages spécialisés, etc.
De « mesnager » à « manager » : protéger et prendre soin de
Au 16e siècle, « mesnager » faisait référence à l’univers domestique et voulait dire « prendre soin de, faire attention à ». Au 19e siècle, « manager » désignait plutôt le manager sportif qui représentait les intérêts d’un athlète sortant du lot. Ce n’est qu’au 20e siècle que le mot finit par s’appliquer au monde de l’entreprise. Dans son livre Managers, Osez le courage, Margaux Rambert veut restaurer la signification première du manager, en rappelant que ce dernier doit veiller aux intérêts de son équipe…