Le Reune fait partie des artistes dont les œuvres sont mises en lumière par l’exposition Talents Cachés* se tenant à l’Espace Paulin Enfert, Paris 13e, du 15 au 23 octobre prochains. Dans l’interview qu’il nous a accordé, il est revenu sur son parcours, son expérience carcérale et son évolution en tant qu’artiste. S’exprimant de sa voix douce et posée (« je suis l’être le moins marrant du monde », nous a-t-il dit en riant), il prône désormais une fusion entre Art et Science et croit que « l’art va sauver le monde »… Portrait d’un artiste cérébral, mélange désarçonnant entre inspiration carcérale et célébration de l’infiniment petit.
« L’intellectuel, c’est celui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas. »
Le Reune, propos extraits de l’interview qu’il a donné à Ô Magazine à La Recyclerie, Porte de Clignancourt, Paris 18e, le 30 septembre dernier
Pour Le Reune, la vie n’a jamais été un long fleuve tranquille : écoutons son récit, entre tragédie, rédemption et catharsis.
Un début de vie… quantique ?
Dès l’âge de six ans, il est frappé par l’éloquence et la culture de François Mitterrand. Depuis, il attache une importance particulière à toujours s’exprimer de façon soutenue. Pour autant, son enfance est brutalement interrompue par l’incendie du foyer familial, duquel sa mère le sauve in extremis. La foule massée au pied de l’immeuble le rend agoraphobe. Peu de temps après, il est confronté au divorce de ses parents. Puis au racisme d’un voisin qui l’attaque violemment, sans raison apparente. Alors que les coups pleuvent, des policiers stationnés à proximité, bien que témoins de la scène, ne bougent pas. Naissance de la révolte… ?
À onze ans, il se levait à 5h30 du matin pour aller travailler aux puces de Saint-Ouen sur un stand d’art africain. Il achetait des sweats au marchand d’en face, qui n’était autre que le futur créateur de la marque sportswear Airness. En voyage scolaire avec son école primaire, il visite les grottes de Lascaux et en reçoit un choc esthétique. Il y réalise par ailleurs sa première interview.
Premiers collages
Au collège, il réalise ses premiers collages sur son agenda, « suivant en cela les exemples de Picasso et de Braque ». En 1997, un accident de métro, alors qu’il jouait avec ses camarades à s’accrocher aux portes des métros qui démarrent, l’envoie à l’hôpital pour plusieurs années. Le but de ce ‘jeu’ dangereux consiste à léviter quelques secondes avant de lâcher prise, façon James Dean dans la Fureur de vivre…
Continuant cahin-caha sa scolarité au lycée François Rabelais (Paris 18e), il finit par quitter le système scolaire en 2002, même s’il obtient ultérieurement un bac littéraire. Comme il le dit : « j’ai privilégié l’expérience de vie… Recevoir un enseignement théorique dans une salle de classe, cela ne me convenait pas. Il me fallait le monde ! »
En 2005, il séjourne pendant deux mois en Algérie pour assister au mariage de son voisin. Puis il file à Londres, où il travaille à l’aéroport d’Heathrow, d’abord dans la restauration, puis comme agent d’escale pour Singapore Airlines. Il y croise David Hassellof, Morgan Freeman ou encore Rio Ferdinand… « Londres m’a flanqué une sacrée rouste! », nous révèle-t-il à propos de cette période charnière de sa vie.
Son romantisme s’exacerbe par ailleurs autour des figures d’Antigone, Carlos, Gainsbourg, Mesrine, Pierre Goldman… ultra médiatisés à l’époque… À la façon de Basquiat, il écoute aussi beaucoup de musique, quand il ne suit pas des podcasts sur les affaires d’État : Affaires étrangères, Rendez-vous avec X etc.
Période carcérale
Malheureusement, il est stoppé dans son élan en 2009 : commence alors pour lui une longue période de détention au cours de laquelle il perdra deux de ses petits neveux en bas âge dans des circonstances dramatiques. « Je suis rentré dans l’illégalité par insurrection », se justifie-t-il. Cette période, il la qualifie de « bord du trou noir, l’horizon des événements. Une fois qu’on est en contact avec cet horizon des évènements, il faut atteindre une vitesse supérieure à celle de la lumière pour s’en sortir ».
Cela l’amènera à séjourner dans de nombreux établissements, parmi lesquels : Fleury-Merogis, Ducos, Réau, Fresnes, Nanterre, Osny, La Santé, Tours, Châteaudun. En Martinique, les narco-trafiquants colombiens lui enseignent l’espagnol. « Ils m’appelaient ‘El abogado’ (l’avocat) ». Ces derniers organisaient des go-fasts dans la mer des Caraïbes, avant que certains ne soient arraisonnés par les frégates françaises.
Là-bas, il a connu un monde surréaliste : « Dans la première cellule dans laquelle je suis entré, les types ressemblaient trait pour trait à Jack Sparrow (le ‘pirate des Caraïbes’), Rhum compris. Pourtant, je peux dire aujourd’hui que j’ai compté parmi les détenus les plus influents car, par ma maîtrise des langues, j’aidais la plupart à garder le contact avec leur famille ».
Rencontre décisive avec le docteur Philippe Charlier
Alors qu’il séjourne à la maison d’arrêt des Hauts-de-Seine de Nanterre, il rencontre le docteur Philippe Charlier, connu pour ses travaux sur Hitler, Saint Louis, Richard Cœur de Lion, Henry IV, Descartes… Ensemble, ils s’amusent à résoudre des mots fléchés niveau 6 (le plus élevé). Constatant l’appétence du Reune pour les arts, ce dernier lui suggère d’approfondir ses travaux en l’orientant vers les objets anatomiques et médicaux. Entre-temps, Le Reune a recouvert sa cellule de collages, « une customisation du mobilier d’intérieur ». Puis il passe à la gravure et rédige plusieurs carnets de détention (tous saisis depuis).
Il s’intéresse à l’ouvrage de l’historien Georges Vigarello. C’est ainsi qu’il apprend l’existence des studiolos italiens du XVe siècle, dont celui de Montevetto. Là, des ermites se retiraient au sommet de tours durant de longues périodes. Ils pratiquaient la méditation dans des pièces ornées de boiseries richement décorées. Prenant exemple sur ces penseurs, Le Reune rédige un Manifeste sur l’Art. À sa sortie, il participe à une exposition au Musée du Quai Branly Jacques Chirac en 2018 dans le cadre du Colloque E.V.A (Electronic Visualisation and the Arts). Avec le soutien du Dr. Charlier, il y présente des œuvres sur les hypothèses de restitution de surfaces traumatiques d’exoplanètes.
L’art quantique selon Le Reune
Le Reune se considère « comme un chercheur artistique en physique quantique ». Fasciné par les lois contre-intuitives régissant le monde de l’infiniment petit, il considère la physique quantique comme l’une des clés de compréhension de la création de l’univers, un « El Dorado quantique ». Afin de mieux saisir ce monde pour le restituer dans ses œuvres, Le Reune nourrit sa réflexion en suivant les cours de Françoise Combe, titulaire de la chaire « Galaxie et cosmologie » au collège de France.
Dans la lignée d’un Léonard de Vinci qu’il considère comme le plus grand parmi les artistes scientifiques, Le Reune cherche à unir démarches scientifiques et artistiques. La première prétend expliquer le monde par le raisonnement et la déduction logique. La seconde nous en donne une interprétation par les biais de l’imaginaire et des émotions de l’artiste. Le Reune réalise cette fusion dans son travail autour d’un Kapala. Dans cette relique du crâne d’un sage tibétain, il a tenté de retrouver des traces d’activité neuronale. Du même coup, il s’oppose radicalement à l’essor de l’intelligence artificielle dans le monde de l’art. Pour lui, il s’agit de défendre la construction ‘patiente’ d’images contre la multiplication d’images ‘instantanées’.
En photographiant ces coupes crâniennes, Le Reune cherche à rendre visible l’énergie et la puissance neurologiques qu’elles sont censées contenir et diffuser. Pour lui, l’intelligence humaine aura toujours le dessus sur l’intelligence artificielle.
* A lire aussi : Expo Talents Cachés : l’art carcéral se fait la belle !
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😳 c’est quoi cet ovni?