Les années 70, avec la seconde vague du féminisme, a donné naissance à la notion de culture du viol. Ce concept considère les cultures occidentales comme des environnements sociaux sexistes admettant pour norme les comportements et mentalités misogynes. L’une des solutions souvent avancée pour lutter contre cette culture a été l’éducation. Mais si ce terme a su s’imposer dans les discours, quand sera-t-il le cas de l’école ?
L’école, grande oubliée des convictions féministes
Comme beaucoup d’autres préoccupations sociales, le féminisme semble s’être arrêté aux portes des établissements scolaires. Ces dernières années, le champ médiatique a vu fleurir nombre de sujets bouleversant toujours un peu plus notre perception de la femme. « Est-ce qu’une femme poilue peut être féminine ?», « Les seins sont-ils sexuels ?» ou même « Quel est le poids de la religion dans les stéréotypes sexistes ? » Mais en contrepartie, rien n’a été questionné à l’école. Il nous semble donc normal de changer les mentalités en société et de laisser nos enfants grandir selon des représentations arriérées.
Effectivement, le rapport à la sexualité des élèves reste un questionnement récent à l’intérieur des institutions scolaires. Ce n’est qu’à partir de 2003 qu’une circulaire formalise la prévention des violences sexistes. Dans ce contexte, il apparaît ainsi évident que nous sommes encore loin d’avoir traité la question des genres à l’école. D’autant plus que les études sociologiques sur le sujet sont elles-mêmes assez rares. Tout semble donc à accomplir.
La création d’un contexte sexiste
Le code vestimentaire comme produit de stéréotypes féminins
En France, ce sont les directions des collèges et lycées qui décident de la tenue vestimentaire des élèves. Mise à part quelques consignes nationales, la tenue des élèves dépend, pour chaque établissement, du bon vouloir d’une poignée d’adultes. Ce sont donc leurs représentations et modes de pensées qui vont déterminer ce qui est normal de ce qui est déviant. De ce fait, ils déterminent ce qui autorisé de l’interdit et, in fine, ce qui relève de la violence entre les élèves. Mais leurs représentations sont en général sexistes et participent ainsi à la reproduction de la culture du viol.
En effet, lorsqu’on interroge les chefs d’établissements et les enseignants, tous se rejoignent sur l’idée que les filles ne maîtrisent pas leur sexualité. Soit « elles ne savent pas ce qu’elles font », soit « elles aguichent ». Parfois, elles sont dépeintes comme les victimes d’un « besoin d’être aimées ». Les deux seules figures positives retranscrites sont celles de la fille « amoureuse mais décente » et de la fille « complément des garçons ». On retrouve dans ces témoignages l’éternelle association de la sexualité féminine à la moralité et de leur dépendance affective aux garçons.
La sexualisation des filles
Malheureusement, les représentations sexistes de l’autorité scolaire ont un impact négatif sur les mentalités et comportements des élèves. Elles vont agir de telle sorte à responsabiliser les filles dans les violences sexistes et les relations sexuelles. Qu’elles en ont conscience ou non, les filles sont « provocantes ». C’est donc à elles d’ajuster leur comportements pour ne pas déranger les garçons.
Cette responsabilisation des filles dans les violences sexistes est en lien avec leur sexualisation. En effet, elle repose sur l’idée que les hommes répondent à « des pulsions » dont les filles doivent tenir compte au quotidien. Ainsi, dès douze ans, une fille doit apprendre à compter les centimètres séparant sa jupe de ses genoux. Si la tenue ne fait pas le viol, elle donne le droit d’accès à l’éducation… Du moins chez les filles. Parce qu’il ne viendrait à l’esprit de personne qu’un garçon pourrait déranger à cause de ses épaules ou de cuisses visibles.
Laura Bates caractérise ce phénomène comme « apprendre à nos enfants que le corps des filles est dangereux, influent et sexuel, et que les garçons sont biologiquement programmés pour les objetiser et les harceler ».
Comme le montre Michel Bozon, l’engagement des jeunes a beau être considéré comme normal aujourd’hui, les attendus sociaux entre filles et garçons sont restés différents. Et les sanctions morales, institutionnelles et politiques sont restées fondées sur le modèle culturel de « petite vertu » de la femme. La domination symbolique et physique masculine a toujours opéré sur le contrôle du corps des femmes. Que ce soit à travers les vêtements, la sexualité, la fécondité… Et ce contrôle s’exerce encore à l’école avec la tenue vestimentaire.
Pire encore, le processus de contrôle agit mentalement. Les filles intègrent tout au long de leur scolarité que l’avis des hommes est plus important que le leur. Peu importe comment elles se trouvent devant le miroir le matin. Ce qui compte, c’est ce que dira le surveillant à l’entrée de l’établissement. À l’école d’aujourd’hui, une fille de quinze ans peut faire des choix pour son orientation mais est incapable de savoir si elle est habillée « trop sexy ». Ce sont les hommes qui le lui diront, question d’éducation. Et si le problème était vraiment de ne pas faire de l’école « un lieu de séduction », alors pourquoi la question n’est jamais posée en matière de « sexualisation de la sphère publique » mais toujours en matière de sexualisation des filles ? Pourquoi l’espace public n’est considéré comme sexualisé que lorsque les filles sont présentes ?
Notre peur d’une nouvelle école
Donc, si le code vestimentaire participe à la culture du viol… Doit-on le supprimer ?
La prophétie de la tenue correcte
Tout le monde le sait, pour vivre ensemble, il faut des règles. Il faut des formes aussi. Si on nous apprend depuis les petites classes que l’habit ne fait pas le moine, il fait pourtant l’élève, et plus tard l’employé… Pour autant, si l’habillement des élèves nécessite un cadre, il ne faut pas dépenser inutilement ses efforts. Ne pas se laisser submerger par la logique du « on va commencer par rhabiller les élèves et, de fil en aiguille, on va les remettre au travail, les faire progresser et obtenir de meilleurs résultats ». S’il faut être un minimum « présentable », se plier au cadre éducatif n’a jamais rendu quelqu’un bon en maths. De plus, chaque individu ayant sa propre manière d’étudier, une tenue « sérieuse » obligatoire motivera certains et en brimera d’autres…
Et cette tenue correcte qui semble tant obséder, quelle est-elle ? À l’heure où la mode incorpore des réinventions multiples, comment peut-on décider du convenable et du marginal sans céder à la pure subjectivité ? La tenue correcte est devenue un mythe. Elle faisait consensus à l’époque où les jeans troués n’étaient pas une mode. Au temps où les cheveux ébouriffés n’étaient pas un look. Ce qui était « incorrect » avant est devenu un nouveau style, un nouveau moyen d’expression. Et pour ceux qui se reconnaissent dans des modes trop sexy ou trop décontractées, l’école leur dit qu’ils n’ont pas leur place pour travailler ?
De toute façon, les élèves n’ont pas conscience de ce qu’ils font… Les filles ne savent pas à quel point elles sont vulgaires, les garçons à quel point ils sont négligés. Donc, on va leur dire, on va leur interdire. Alors que l’on se construit avant tout avec le regard de l’autre, on pense que c’est une règle tombée du monde des adultes qui va les éduquer. Bien au contraire. C’est l’interaction entre eux et l’interrogation avec eux qui les feront grandir.
Mais il ne faut pas oublier que l’école est avant tout un lieu de travail… Il s’agit d’inculquer en priorité le savoir-vivre en milieu professionnel… N’est-ce pas ? Dans ce cas il y a encore des réformes à entreprendre quand on sait qu’une Française sur trois a déjà été harcelée sur son lieu de travail. D’ailleurs, maintenir encore aujourd’hui que l’école n’est là que pour instruire et former est une véritable hypocrisie. L’école est une instance primaire de socialisation de l’enfant. Plus que des leçons, l’élève apprend des façons de vivre, de voir le monde, d’interagir avec les autres… C’est un véritable lieu d’éducation qui pourrait et devrait faire l’objet d’un milliard de fois plus d’enseignements que seulement celui de l’obéissance et de l’arithmétique.
Vers une école du savoir-vivre
Ainsi, la lutte pour une égalité des sexes à l’école pourrait être un véritable début à une expansion de l’apprentissage du vivre ensemble.
Au lieu de laisser une poignée d’adultes décider à l’avance de ce qui est correct et incorrect, on pourrait questionner les élèves. Est-ce que « mal s’habiller » c’est ne pas respecter l’autre ? Est-ce que le vêtement a le même sens pour tout le monde ? Mais aussi, qu’est-ce que mal s’habiller ? Des questions auxquelles mêmes les adultes divergent à répondre.
N’est-ce pas ça le véritable apprentissage du vivre ensemble ? Au lieu de transmettre ces affreuses pensées binaires du bon/mauvais élève, de la tenue correcte/incorrecte, ne veut-on pas apprendre à tolérer l’expression personnelle de l’autre ? Mais encore une fois, l’expression personnelle, ça fait peur… Il faut du cadre, toujours du cadre… Comme s’il n’y en avait pas assez entre les horaires d’études imposés, les durées de récréation chronométrées et l’organisation des élèves en rang.
C’est là où toute l’école d’aujourd’hui se trompe. Elle ne rêve pas assez grand. Le problème apparaît grossièrement quand il s’agit d’étudier la tenue vestimentaire des filles. On se calque sur de vieux principes, même sexistes, par peur de la nouveauté. Mais à quoi sert l’éducation si ce n’est de créer une génération capable de faire de nouvelles choses ?
Cet article a 2 commentaires
Bonjour. J’ai l’intention de citer un extrait de cet article dans un débat local (collège) et j’aimerais en savoir un peu plus sur son auteur si possible svp – En relation à `l’article et son contenu, évidemment. Etes-vous journaliste? Chercheuse? Avez-vous un site ou un. profile Linkedin?
En vous remerciant de votre retour
Mère d’une fille de 13 ans que le collège a prié de ne plus se mettre en short malgré les températures élevées, ca fait beaucoup de bien de lire cet article. Merci!