Entre Rodez et Conques, pays de Pierre Soulages, on traverse un paysage de causses, plateaux calcaires vallonnés et sillonnés de cours d’eau qui, tel le Dourdou, donnent un aspect rieur à des paysages par ailleurs austères. Depuis le lit du Dourdou, nous pouvons accéder à l’abbatiale romane de Conques, renommée pour son tympan du 12e siècle représentant le Jugement dernier et le supplice des pécheurs, tel ce braconnier mis en broche et rôti par un lapin vengeur. Depuis 1994, les vitraux de Soulages de l’abbatiale sont l’attraction de Conques.
L’abbatiale de Conques
Une architecture romane dédiée à la lumière
À Conques, l’abbatiale a été conçue autour de la lumière naturelle, perçant au travers des 104 ouvertures qui font largement entrer la lumière dans l’édifice. La lumière naturelle souligne les éléments architecturaux (piliers élancés, murs épais), la nature des matériaux ou encore la couleur des pierres (rouge, ocre et même bleue). En même temps qu’un élan vers le ciel, l’abbatiale dégage une impression de force par l’épaisseur de ses murs, que l’on réalise devant la profondeur des ébrasements de chaque baie. L’alliance entre la force et l’élévation que dégage ce lieu est à l’origine de l’émotion particulière qu’il suscite. Cette émotion, Soulages l’a ressentie lui-même en visitant l’abbatiale à l’âge de 12 ans, et c’est elle qui l’a fixé sur sa vocation d’artiste-peintre.
Le faux-pas des vitraux d’après-guerre
À l’époque de sa construction (11e siècle), l’intérieur du bâtiment était peut-être peint. Par contre, il était dépourvu de vitraux colorés. À la place, ses fenêtres étaient sans doute closes par du parchemin ou de simples volets en bois.
Au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, les ateliers Chigot-Parot de Limoges exécutent, de 1947 à 1955, des vitraux sur le thème de la vie de Sainte Foy, dans le style art déco limousin. Ces nouveaux vitraux attristent Soulages : « J’ai vu arriver avec stupéfaction et tristesse des vitraux violemment colorés, projetant des couleurs agressives sur les pierres, qui assombrissaient ce lieu. Ce n’était plus un lieu de lumière. C’était devenu une crypte. »
En 1986, sous l’impulsion de Jack Lang, alors ministre de la culture de François Mitterrand, l’État souhaite introduire une dose d’art contemporain dans les hauts lieux historiques français. À l’instar de l’architecte Pei (Pyramide du Louvre) ou encore Buren (colonnes du Palais-Royal), Soulages est choisi pour renouveler les vitraux de l’abbatiale de Conques. Le suspense est à son comble : Soulages, considéré comme le « peintre du noir », posera-t-il des vitraux noirs à Conques ?
Les vitraux de Soulages : du concept à la réalisation technique
Une démarche cistersienne : à la recherche d’une clarté métaphysique
Soulages se laisse inspirer par le monument roman en revenant à la rigueur des moines cisterciens : les vitraux de leurs abbayes, dépourvus de couleurs, sont destinés à empêcher toute distraction du monde extérieur, afin de favoriser la méditation. Soulages calera par conséquent sa démarche sur celle de Bernard de Clairvaux. Pour ce moine réformateur de la vie religieuse catholique, à l’origine du renouveau de l’art cistercien du 11e siècle, les vitraux doivent être « blancs, sans croix ni représentation ».
Plus encore que la lumière, Soulages souhaite restaurer la clarté à l’intérieur de l’abbatiale. Tandis que la lumière nous offre une perception du monde colorée et illusoire, la clarté prend racine en nous-mêmes, phénomène mystérieux exploré par l’art de Soulages. L’artiste se met ainsi à la recherche d’un verre qui ne soit plus transmetteur de lumière, mais émetteur d’une clarté.
Granulation des vitraux de Soulages
Au lieu de partir d’une œuvre picturale pré-existante et d’en faire une interprétation avec du verre, Soulages choisit de partir de la matière même du verre, qui devra être translucide, mais non transparente. Soulages n’exécute aucune esquisse. Il se concentre sur l’obtention d’une matière première, le verre, pourvue des propriétés qu’il recherche.
En 1988, il broie du verre, puis tamise les fragments obtenus afin de séparer les gros grains laissant passer le plus de lumière, des petits grains, plus opaques. Ensuite, il verse ces grains sur un châssis légèrement incliné. Selon la pente, il obtient des zones de gros, puis de petits grains destinées à plus ou moins « briser » les rayons lumineux. Il fait ensuite cuire les plaques de verre ainsi obtenues à plus de 1 000 degrés.
Le verre idéal obtenu, Soulages se concentre sur la réalisation de modèles des vitraux à taille réelle des ouvertures, sur lesquels il se met à dessiner avec du ruban adhésif noir figurant les plombs des vitraux. Il réalise des lignes ascensionnelles plus ou moins courbées, plus ou moins parallèles. Par la suite, les plaques de verre sont découpées à dimension pour garnir les baies de Conques. On constate ainsi une modulation de la translucidité, non pas entre les différentes pièces de verre formant chaque vitrail, mais à l’intérieur même de ces pièces de verre. L’inauguration des vitraux de Soulages a lieu en 1994.
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Plébiscite public et impressions personnelles
Succès public
Les vitraux de Soulages à Conques transforment la lumière du jour. Les rayons du soleil viennent en effet se briser contre le verre, créant une ambiance lumineuse particulière, une clarté propice au recueillement. La qualité métaphysique de la lumière ainsi obtenue se reflète dans le changement du comportement des visiteurs. Avant Soulages, les gens parlaient à haute voix, bavardaient sans gêne. Après lui, ils se taisent ou bien chuchotent. Preuve s’il en est que, même chez les personnes non-croyantes, quelque chose se passe en ce lieu qui les touche profondément.
Autre innovation remarquée : la face extérieure des vitraux devient importante, au même titre que leur face intérieure. Alors qu’habituellement, les vitraux sont faits pour être observés de l’intérieur, les vitraux de Soulages se donnent aussi à voir de l’extérieur.
D’une manière générale, le public se montre admiratif de la façon dont ces œuvres contemporaines se marient à l’architecture du 11e siècle de l’abbatiale, contribuant à la rendre plus intéressante encore.
Impressions personnelles : Conques, de la pénombre à la clarté
Personnellement, j’ai été frappé par les changements de couleurs de ces vitraux caméléons en fonction de la luminosité ambiante. Au soleil levant, ils sont bleutés ; dans l’après-midi, ils deviennent gris ; le soir, l’éclairage public les rend orangés.
Par ailleurs, la luminosité qui baigne l’abbatiale est généralement plus intense que dans une église romane parée de vitraux traditionnels. Cela invite à fermer les yeux et à la contemplation. Mais cela enlève une partie du mystère généralement associé aux édifices religieux. D’habitude, sculptures et ornements semblent émerger de la pénombre, suscitant une impression de mystère intimement liée au sentiment religieux. La lumière de Soulages remplace tout cela par la certitude des formes soulignée par la lumière tamisée du soleil.
La clarté retrouvée de Conques
Toute médaille a son revers : certes, l’abbatiale de Conques est magnifiée par les vitraux de Soulages qui en soulignent l’architecture à la fois compacte et élancée. L’austérité de la pierre est mise en avant et se montre propice au recueillement et à la méditation. Par ailleurs, les vitraux en eux-mêmes sont des œuvres magnifiques, changeant de couleur selon les différents moments de la journée. Contrairement aux vitraux traditionnels, ils se laissent admirer de l’intérieur tout autant que de l’extérieur. Cependant, l’intensité lumineuse baignant l’abbatiale romane, la mettant à nu, lui enlève une partie du mystère cryptique auquel on s’attend lorsqu’on visite une église.
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