L’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire qui touche 1 à 2% des femmes. 9 anorexiques sur 10 sont des filles. Voici mon histoire avec cette maladie.
Je suis dans une pièce blanche, entre quatre murs, un tableau de craie et ses grincements. La professeur sépare son paquet de copie en trois groupes, les très bonnes, les moyennes et les mauvaises notes.
Les érudits se préparent déjà à bondir de leurs chaises, tandis que les plus nuls savent déjà que l’épellation de leurs prénoms est à la fin du tas. Sans surprise, je ne suis pas le prénom appelé dans les premiers. Je suis toujours celui qui se trouve dans le dernier tas, la copie bien froissée et écrasée par celles des autres. Souvent, les élèves parient et estiment, qui sera l’intelligent et qui sera l’idiot. Je suis la référence de la médiocrité, de la difficulté, de l’incapacité.
Mon cerveau ne fonctionne pas, il est tombé en panne et n’a que l’option loisir et amusement. Il ne sait pas compter, s’organiser, se structurer. Il est bavard, pas très instruit et très spontané. Un garçon dont je décide de taire le prénom s’amuse souvent à me le rappeler. Peut-être que me donner l’impression d’être petite l’aide lui à se sentir plus grand, peut-être que pour être aussi cruel il manquait lui aussi cruellement de confiance en lui, peut être qu’il ne réalisait pas que ces mots d’oiseaux étaient des oiseaux rabaissants et humiliants.
Alors, parfois je m’énerve, j’hausse le ton, ce n’est pas vrai, je ne suis pas nulle, puis le temps passe et ces âneries m’agace mais je suis habituée puis il a raison finalement. Je suis de plus en plus enfermée dans un cercueil où défaite, sentiment d’infériorité et honte ont creusé ma tombe. Je ne sais rien faire. Je n’ai jamais rien réussi ni rien accompli. Chaque chose que j’entreprends est un échec.
Je n’ai pas de passion. Je ne fais pas de sport parce que je suis nulle en sport, je ne pratique plus le théâtre parce que je suis nulle au théâtre. Je pratique le dénigrement, l’enfermement.
Je suis nulle, votre monde me trouve nulle. Alors moi, je décide de créer mon monde et de trouver quelque chose à moi, quelque chose que je sache un peu faire et qui serait utile. Je choisis d’écrire et j’écris la nuit tous les malheurs du jour. Mais j’ai beau raconter l’ignorance, l’harcèlement, la souffrance, l’écriture en a assez de mes maux et moi aussi j’en ai assez, je suis lassée.
J’ai étudié toute la tristesse et je ne lui trouve plus de poésie. Alors, je n’écris plus, et réalise qu’en plus d’être stupide, je suis grosse. J’observe et m’observe et l’idée de vivre et de transporter ce corps me paraît insupportable.
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Je ne l’aime pas, il ne m’aime pas, on ne s’aime pas. La tête ne veut pas être accrochée au corps et le corps ne veut pas être accroché à la tête. Je commence à épier tous les sites dédiés aux anorexiques. Le prénom de l’anorexie, c’est « Ana » et sur ces sites, toutes les filles veulent être Ana ou être son amie. Ana est l’anorexie et l’anorexie est Ana. Ce n’est pas une maladie mais une façon de vivre, une mode, une tendance. Pour être heureuse et en bonne santé, deviens l’amie d’Ana. Et n’oublie jamais que la fidélité est une valeur importante, n’oublie jamais qu’elle sera toujours là pour toi, qu’elle t’aidera dans ta lutte, te rappellera que la nourriture est ton ennemie et qu’elle, elle est ta tendre et douce amie, Ana.
Elle m’accompagne pendant les repas et m’emmène aux toilettes. Ana veut que je vomisse mais moi je ne veux pas vomir, je n’ai plus rien à vomir. Elle est la voix de ma dictature alimentaire et fait des discours à mes complexes. La maigreur est alors une obsession, une inspiration : ma seule passion. J’y pense le matin, j’y pense l’après-midi, j’y pense le soir, j’y pense tous les jours et c’est ma seule préoccupation. Je ne veux plus me nourrir, je veux plus ingurgiter de défaut alors je n’ingurgite plus rien.
Je m’analyse dans chaque vitrine, dans chaque miroir, que ce soit des reflets de rues ou de maisons, peu importe, j’y passe le temps qu’il faut. Je fatigue mes amies avec cette passion. Elles me trouvent folle et ne comprennent pas. Elles tentent de m’aider et me force à manger, me demande quand est-ce que je compte grossir. Je répond que je n’ai pas faim et prend tous les midis un plateau repas sans repas.
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À la maison, papa et maman ne sont pas souvent là puis quand ils sont là ils ne voient rien. Je dois me remplumer papa m’avait dit un jour, mais c’est tout.
De mon côté, je ne mange pas mais l’anorexie mange ma vie. Je compte les calories et connaît par coeur le nombre d’apport calorique de chaque fruit et chaque légume. J’entends mon ventre qui s’énerve, il n’est pas content. Il a faim, il grogne mais moi je n’ai pas faim. Mon ventre a faim, mais moi je n’ai pas faim.
Souvent, je regarde les gens manger, particulièrement les filles et je m’interroge. Elles sont si courageuses. Moi, je ne peux pas manger trois repas par jour parce que j’ai trop peur de devenir énorme, de m’approcher encore plus près de l’imperfection et de lui faire l’amour. Je l’embrasse déjà tous les matins, je n’ai pas envie qu’elle s’empire et qu’elle vienne me rajouter de la peau en plus.
Parfois, je mesure le tour de ma taille et de mes cuisses avec un mètre que je vole dans le tiroir de la cuisine. Je le serre au plus près de ma taille et m’informe sur les mesures des mannequins les plus maigres. Si j’y arrive, je suis fière de moi alors j’ai le droit de manger, mais si par malheur je grossis, la semaine d’après sera draconienne et je n’aurais pas le droit à la faim.
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Je me pèse plusieurs fois par jour. Moi qui n’es jamais aimé les nombres ni les compter, me voilà obsédée par un seul nombre. Il me hante et j’ai l’impression d’être mon poids. Il est mon identité et ma valeur. C’est une fierté s’il est léger et quelque chose de très honteux et secret s’il est lourd. Je passe mon temps à calculer mon IMC, celui ci indique évidement être inférieur à la moyenne, ce n’est pas assez. Il faut qu’il le soit encore plus. J’aime l’écart entre mes deux jambes et vérifie souvent qu’il soit bien là si mes deux pieds sont joints. Je crois que je veux disparaître ou peut être que je veux disparaître pour que quelqu’un me prenne et me fasse réapparaître.
Aujourd’hui, je m’interdis de me peser, je n’ai pas envie d’être un nombre, des kilos et quelques grammes. Aujourd’hui, c’est l’été, Ana et moi ne sommes plus amies. J’avais faim et je l’ai mangé.
Ce sont des mots soufflés sur du papier qui m’ont essoufflé et qui j’espère t’ont plu.
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Très beau récit, très touchant. Levons le voile sur cette maladie