Psychologue spécialiste du phénomène sectaire, Delphine Guérard tire le signal d’alarme. Un nombre toujours croissant de victimes finit par céder à l’emprise de gourous. Rapidement, elles se retrouvent dépossédées d’elles-mêmes, au grand dam de leur famille et de leurs proches. Alors, quels sont les mécanismes de l’emprise ? Qui sont ces gourous et leurs adeptes ? Une fois tombé(e) dans une secte, est-il possible de s’en sortir ? Pour en savoir plus, nous avons donc interviewé Delphine. Elle en a profité pour nous présenter son livre L’Emprise sectaire. Psychopathologies des gourous et des adeptes de sectes, à paraître aux éditions Dunod le 31 août prochain.
Article rédigé par : ZIEL Jérôme
À l’obtention de son diplôme de psychologue clinicienne, Delphine Guérard recherche des organismes ayant besoin de ses compétences. Elle contacte alors l’ADFI (Association pour la Défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes) pour y faire du bénévolat. « Nous sommes en 1998, se souvient-elle, et je n’ai encore jamais entendu parler du phénomène sectaire. Je découvre alors un monde passionnant et dangereux. Je reçois des familles désespérées, car un de leurs proches est parti et refuse de les revoir. Il a désormais d’autres convictions et fréquente d’autres personnes. Ces familles sont plongées dans le désarroi et l’incompréhension ».
D’abord en tant que bénévole, puis en tant que salariée, Delphine travaille à l’ADFI jusqu’en 2007. Par la suite, elle s’installe en libéral tout en continuant de travailler sur la question des sectes. Elle devient Expert auprès des tribunaux. Cela lui donne l’occasion de rencontrer des gourous dans les prisons où ils sont incarcérés. Elle rencontre également des victimes ayant porté plainte. « Cela devient encore plus intéressant, constate-t-elle. J’abhorre ces guérisseurs ou psychanalystes autoproclamés qui cherchent à détruire d’autres personnes. Cela m’est absolument insupportable ! J’ai donc eu envie de prendre la plume pour dénoncer et prévenir l’emprise sectaire ».
Tout part d’un constat de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Cette dernière observe une hausse de 40 % du nombre de saisines entre 2015 et 2020. À l’origine de l’explosion du nombre de saisines, la logique de l’emprise sectaire est extrêmement insidieuse. La victime finit par se retrouver complètement dépendante du dirigeant de la secte et de son groupe. Elle perd son identité et devient incapable de prendre la moindre décision seule. L’emprise vise ainsi à aliéner les individus. Elle est toutefois aisément reconnaissable en ce qu’elle repose sur des procédés identiques.
Naissance de l’emprise sectaire
Ainsi, la séduction joue toujours un grand rôle. La rencontre avec le maître de la secte provoque de la fascination chez la victime. Le premier se présente à la seconde de façon très chaleureuse. Il est séduisant en ce qu’il paraît tout comprendre de vous. Il semble avoir des intuitions immédiates vous concernant. Il est en mesure de vous donner les réponses aux questions que vous vous posez. Il est très disponible et vous pouvez l’appeler ou le joindre à tout moment.
Puis se produit la fusion. Ayant su gagner votre confiance, le maître devient votre confident. Il s’immisce dans votre intimité et finit par connaître tout de votre vie. Il s’identifie à vous et vice-versa. Vous avez notamment l’impression de vivre, penser et ressentir à l’identique.
Par la suite, le maître utilise des techniques d’initiation, de façon à débloquer votre angoisse. Il promet de vous donner la clé du bonheur. Pour cela, il a recours à la méditation, au yoga, à la psychothérapie, au développement personnel ou à la religion. À partir de ces techniques, la victime finit par se retrouver dépossédée de son corps et de son esprit.
Emprise, depréméditation et destruction de l’individu
N’ayant reçu aucune formation, le gourou se livre à un bricolage psychothérapeutique mâtiné de surnaturel. Au lieu de vous épanouir, il vous entraîne dans un processus destructif pour votre identité. Vous finissez même par commettre des actes préjudiciables, jusqu’à lui donner tout votre argent.
Finalement, le processus menant à l’emprise apparaît comme scénarisé et pavé de mauvaises intentions prédatrices, cela dès le départ. Seul le gourou tire profit de cette relation asymétrique. Au fondement de l’emprise sectaire se trouve la volonté d’exploiter autrui à son profit. Dans le terme d’emprise, il y a « prise » / « capture ».
Une domination absolue
Par ailleurs, les sectes sont animées par une puissante dynamique de groupe, si bien que l’emprise s’exerce mutuellement par les adeptes entre eux. Les membres du groupe sont toujours les uns chez les autres. À partir de là, les liens avec l’extérieur se raréfient, jusqu’à disparaître complètement.
Dans les sectes, tout profite au leader. Véritable mythomane, ivre de toute-puissance, sa folie ne fait que croître à mesure qu’il réalise son pouvoir auprès des adeptes. À l’opposé, l’individu n’y est absolument pas respecté. Le collectif envahit toutes les dimensions de la vie des adeptes. Ils n’ont donc plus la moindre intimité. Chacun se doit d’être totalement transparent et de tout donner à la secte et à son gourou. Au sein de l’organisation, la pensée unique du maître, incontestable et incontestée, prime.
À l’heure actuelle, de nombreux mouvements sectaires exploitent les thèmes liés au développement personnel. Les maîtres modernes ont troqué la longue barbe blanche pour le costard-cravate, en se donnant l’apparence de businessmen. Ils savent manier l’argent et vous persuadent qu’ils peuvent vous aider à faire des placements « judicieux ». Ils se présentent comme de véritables entrepreneurs, fondant leur discours sur la rationalité, les affaires ou la stratégie.
Jusqu’à la folie parfois
Ce vernis de rationalité finit pourtant par se craqueler à mesure que l’emprise montre son véritable visage. Delphine en a été le témoin direct. « J’ai rencontré un maître de secte en prison. J’étais venue faire son expertise psychologique. Durant notre entretien, le maître n’a eu de cesse d’essayer de me convertir. Il m’a lu ses manuels de prières et m’a dit qu’il voyait Dieu à travers moi. L’entretien a duré cinq heures. J’ai eu un mal fou à m’en dépêtrer, car il était décidé à me manipuler jusqu’au bout. Ce sont les surveillants finalement qui ont dû intervenir pour m’extraire du parloir ».
Delphine poursuit son extraordinaire récit : « pendant l’entretien, je ne pouvais pas prendre de notes, car le maître avait le regard fixé sur moi. J’avais l’impression d’être devenue une poupée face à lui, sans pouvoir ni bouger ni écrire. C’est à peine si je pouvais lui poser mes questions car il m’interrompait sans arrêt en me disant : ‘Laissez-moi parler, car c’est mon cœur qui s’adresse à vous !’ »
Parmi les gourous, on trouve un peu plus d’hommes que de femmes. Parmi ces dernières, certaines sont très féminines, arborant souvent une chevelure extraordinaire. Très séductrices, elles se révèlent rapidement totalitaires et dirigistes à l’extrême. Dans l’expérience de Delphine, les histoires les plus folles concernent des gourous femmes.
Comment faire pour se sortir de l’emprise sectaire ?
Selon Delphine, quitter une secte nécessite un courage inouï. Il arrive que, après plusieurs années, la victime prenne conscience de la relation abusive dans laquelle elle est engagée. Cela peut se produire par suite de détails qu’elle remarque dans le fonctionnement du groupe. Ou bien dans le comportement du leader. La victime réalise alors qu’on se moque d’elle. Alors qu’elle s’est entièrement sacrifiée pour une cause ou un individu, elle se rend compte que l’engagement des autres n’est pas au même niveau que le sien. Elle ressent alors un sentiment d’injustice très profond.
Par ailleurs, un évènement peut déclencher une sortie de secte. Si la victime perd un être cher par exemple, cela peut réveiller en elle le désir de revoir les siens. Le déclic peut encore prendre la forme d’une rencontre amoureuse, même si les sectes surveillent de près les relations externes. Car elles savent que cela peut créer de la distance et rompre le lien entre l’adepte et son gourou.
Delphine se souvient que certaines familles ont réussi à persuader leur enfant parti dans une secte de venir la consulter dans son cabinet. « En tant que psys, nous faisons tout un travail sur la famille et nous l’aidons à parler à la victime. Il convient de déstabiliser cette dernière, en faisant toutefois preuve d’un grand doigté. Il faut ainsi éviter de la juger, la disqualifier ou la critiquer ».
Le rôle de l’État et des associations luttant contre l’emprise sectaire
Du côté de l’État, la MIVILUDES lutte efficacement contre le phénomène sectaire. Elle prévient, informe et accueille les familles. Elle travaille également sur le volet judiciaire, en aidant les familles à porter l’affaire devant la justice. Par ailleurs, il existe un grand nombre d’associations d’aide, souvent animées par des bénévoles. Parmi elles, Delphine cite l’UNADFI, les ADFI régionales, le CCMM (Centre contre les manipulations mentales). À l’origine de ces associations se trouvent des familles ayant elles-mêmes été victimes de sectes. Elles connaissent donc très bien les façons de faire de ces gourous démoniaques.