Troisième partie de notre interview de Sylvie Zaidman, directrice du musée de la Libération de Paris – musée du général Leclerc – musée Jean Moulin. Cette dernière nous présente trois des ‘Femmes photographes de guerre’ auxquelles le musée consacre une exposition. Après la Deuxième Guerre mondiale, la guerre du Vietnam, les photographes dont elle nous parle maintenant ont couvert les conflits les plus récents, guerre d’Ukraine exceptée. Susan Meiselas est allée en Amérique centrale dans les années 80 ; Carolyn Cole s’est fait une spécialité des conflits du Proche-Orient du début du 21e siècle ; quant à Anja Niedringhaus, elle s’est focalisée sur l’Afghanistan envahi par les Américains à partir de 2001.
Article rédigé par : ZIEL Jérôme
Susan Meiselas : du Nicaragua en ébullition révolutionnaire…
Susan Meiselas est l’une des premières photographes de guerre à avoir utilisé la couleur. Outre ses reportages de guerre, son œuvre est reconnue sur le plan artistique. La galerie Magnum (Paris) lui a ainsi récemment consacré une exposition solo. Elle a fait des études d’art et de photographie comme le montre le style de ses photos de guerre.
Elle décide de partir au Nicaragua en 1979, pays dont personne n’a jamais entendu parler. Elle prend des photos au plus près de la population alors en plein soulèvement contre le dictateur de l’époque, Somoza. Elle photographie un homme en train de lancer un cocktail molotov, déclenchant l’obturateur alors qu’elle est à quelques mètres seulement de lui. « Il y a de l’action, du mouvement et de la couleur dans ses photos », remarque Sylvie.
Cela lui a été d’ailleurs reproché. Car, traditionnellement, on ne photographie pas la guerre en couleurs. Il a fallu qu’elle se justifie, car elle a heurté certaines sensibilités, avec ses prises de vue de personnes au milieu des décombres. « C’est inattendu, il est vrai. Mais il s’agit de sa façon propre de s’exprimer et de témoigner », explique Sylvie.
… au Salvador des escadrons de la mort
L’année suivante, Susan Meiselas se rend au Salvador. Et là, cela se passe moins bien. Le Salvador est aussi en plein soulèvement. Cependant, le gouvernement en place est aidé par les Américains. Comme le décrit Sylvie, « sur un des clichés de Susan Meiselas, nous avons un champ de tir dont les Américains se servent pour entraîner les milices gouvernementales. Susan semble venir cette fois après les évènements. Elle raconte ne pas s’être sentie du tout en sécurité pendant ce voyage ».
Les photographies sont donc différentes par rapport à son expérience nicaraguayenne, car le point de vue a changé. Susan Meiselas se retrouve dans un environnement hostile. Elle revient au noir et blanc sauf pour une photo de la porte d’une habitation marquée du sigle des escadrons de la mort réalisé à la peinture blanche (la paume et les doigts d’une main). Il s’agit d’une photo à suspense. On devine que les escadrons ont visité cette maison, qui abrite un leader politique. Or, tout ce qu’on voit, c’est une porte rouge avec cette marque de main faite à la peinture blanche. Selon Sylvie, « c’est une photo qui parle et fait frémir ».
Carolyn Cole : une esthète de la photographie de guerre
Quant à Carolyn Cole, photographe américaine d’une soixantaine d’années, « nous avons eu beaucoup de plaisir à la voir lors du vernissage, confie Sylvie. À l’heure actuelle, elle est retournée sur le terrain, en Ukraine cette fois. Elle a mené toute sa carrière de photographe en collaborant au Los Angeles Times, affirmant à chaque fois son regard d’esthète ».
Il y a dans l’exposition une photo de cadavres qui en témoigne. Selon Sylvie, « elle redonne une identité à tous ces corps en les photographiant en gros plan. Elle souligne la beauté des visages. Ils ont presque l’air de dormir. Du coup, le spectateur regarde la photo en se demandant pourquoi ces visages sont recouverts de terre et de sable. Puis, tout à coup, les traces de coup, les blessures deviennent évidentes. C’est une façon particulière de photographier un charnier. Je trouve que son approche est intéressante. Cela se passe au Libéria ».
Carolyn Cole et la mort en direct
Elle a également pris des photos dans l’église de la Nativité à Bethléem. On y perçoit l’atmosphère quasi-mystique baignant les lieux. Or, dans la réalité, il s’agit d’un moment très dur. « Des Palestiniens se sont réfugiés dans cette église. Parmi eux, des policiers, des militaires. Il s’agissait d’une opération de représailles après un attentat en Israël. Les snipers israéliens encerclent le bâtiment. L’un des Palestiniens est sorti et s’est fait tirer dessus. Cela donne une très belle photo de décès quasiment en direct, sous nos yeux médusés. En même temps, la photo est tellement douce. Il y a tant d’empathie et de solidarité autour du protagoniste… que la photo en devient quasi-acceptable ».
Évidemment, cette photo représente un moment difficile dans la vie de Carolyn Cole. Entrée dans l’église en catimini, avec des militants pacifistes, elle réalise vite qu’elle est prise au piège pendant plusieurs jours Lorsqu’elle peut enfin sortir, elle a la présence d’esprit de donner discrètement la carte mémoire contenant toutes ses prises de vue à un prêtre. Alors qu’elle est fouillée lors de l’évacuation, on lui prend son appareil photo, mais ce dernier est vide. « Elle est allée récupérer ses photos par la suite », raconte Sylvie.
Carolyn Cole en Irak : les soldats incompris
Carolyn Cole a aussi beaucoup documenté la guerre en Irak. Elle s’est notamment intéressée aux relations de l’armée américaine avec la population locale. En effet, elle se sentait comptable des mauvaises relations entretenues par l’armée de son propre pays avec les Irakiens. Il lui semblait ainsi que les soldats ne comprenaient rien à la population locale. Et moins ils la comprenaient, plus ils la maltraitaient. En particulier, ils ne faisaient pas de distinction entre les terroristes potentiels et ceux qui passaient simplement par là. « Elle a été le témoin de scènes de maltraitance », insiste Sylvie.
« Carolyn Cole a également beaucoup travaillé sur l’auto conditionnement des soldats, poursuit Sylvie. Sur une de ses photos, un jeune homme s’est maquillé lui-même avant de partir au combat. Personne ne lui a pourtant demandé de se camoufler de la sorte. Simplement, il l’a fait de sa propre initiative, revêtant une sorte de peinture de guerre. Or, quand on regarde le cliché attentivement, on s’aperçoit que le jeune homme en question a tellement peur qu’il en sue abondamment ».
Anja Niedringhaus : l’addiction de la guerre
Anja Niedringhaus est une photographe allemande, morte sur le terrain dans un attentat en Afghanistan, alors qu’elle n’avait pas 50 ans. Elle a fait beaucoup de photographies de guerre, en alternant avec des images sur le sport. Visiblement, elle avait besoin de changer d’air de temps en temps.
Néanmoins, ses photos traduisent à quel point elle était ‘dedans’, sans jamais vraiment parvenir à s’en sortir. « Par exemple, elle prend une photographie de soldats canadiens qui patrouillent en Afghanistan. De son côté, Anja Niedringhaus vient de prendre un thé avec des Afghans. Elle a l’impression que cela se passe plutôt bien dans le village. Puis, elle prend cette photographie qui est un peu anecdotique. Dans la seconde qui suit, le groupe a été attaqué et pulvérisé. Elle-même a été blessée. Rapatriée, elle y est retournée dès qu’elle a pu. Cela révèle l’addiction liée à la guerre ».
Elle a également suivi des évacuations médicales en prenant des photos assez difficiles à regarder. Sylvie explique : « les photos sont prises en couleurs. Néanmoins, Anja Niedringhaus tenaient à ce qu’elles soient développées en noir et blanc. Nous avons donc eu recours à son propre tireur pour avoir des tirages en noir et blanc, conformément à son souhait ».
Anja Niedringhaus filme le désarroi des soldats
Anja Niedringhaus vivait avec les soldats. Elle a donc voulu montrer à quel point ils avaient besoin de se rassurer, en montrant le désarroi et la perte des repères. Sur une de ses photos, un soldat patrouille avec sa mascotte, une poupée GI Joe fixée à l’arrière de son sac à dos. La puérilité de son geste souligne son très jeune âge, comme pour la plupart de ses frères d’armes.
Sur d’autres clichés, elle montre des soldats perdus au milieu d’un pays qu’ils ne connaissent pas, malgré leur matériel de navigation hyper sophistiqué… Sur un autre cliché encore, des soldats sont en train de fouiller une habitation. Ils semblent perdus et effrayés, en comparaison des femmes de l’habitation, plutôt calmes. D’une façon générale, sur les clichés d’Anja Niedringhaus, les soldats ont l’air perdus, apeurés, angoissés ou bien dans l’attente. Dans tous les cas, ils n’ont pas l’air de très bien comprendre ce qu’ils font…
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