Bad Bunny, artiste le plus streamé de l’année 2020 sur Spotify, fête ses 27 ans ce mercredi. Le Portoricain n’a pas fini de nous étonner tant sur le plan musical que sociétal.
La taille de l’île ne fait pas le talent. La première place du classement annuel de Spotify est occupée par un artiste portoricain : Bad Bunny. L’homme, qui fête ses 27 ans aujourd’hui, est le chanteur le plus streamé de 2020. Devant Drake, J Balvin, Juice Wrld et The Weeknd.
Ce succès aux tonalités espagnoles illustre l’importance grandissante des artistes hispanophones sur la scène musicale internationale. Et là où Bad Bunny a su prendre une longueur d’avance sur tous les autres artistes, c’est en offrant des morceaux tous plus orignaux et avant-gardistes les uns que les autres, à l’image de la personne qu’il semble être.
L’artiste prend position sur des sujets tabous
Artiste engagé, Bad Bunny n’a pas hésité à défendre la communauté LGBT publiquement à la télévision après l’assassinat d’un transsexuel dans son île natale. Benito Antonio Martinez Ocasio, de son vrai nom, avait arboré un t-shirt sur lequel était inscrit : « Mataron a Alexa, no a un hombre con falda. » (Ils ont tué Alexa, pas un homme avec une jupe). Message qu’il a fait passer en interprétant sa chanson Ignorantes sur le plateau de Jimmy Fallon. Sous les yeux des trois millions de téléspectateurs quotidiens.
Un acte courageux dans un contexte latino-américain peu ouvert sur ces différences. Près de 80 % des meurtres de personnes transgenres dans le monde ont lieu dans cette partie du globe. « Avec lui j’ai appris à être plus ouvert. Même sur les choses les plus stupides, vous pouvez trouver de l’art dans ça », a d’ailleurs reconnu le rappeur Residente dans un article du Rolling Stone.
Victoires musicales riment avec avancées sociales
Ses combats sont multiples, à l’image du nombre de prix qu’il reçoit. L’artiste souvent récompensé profite alors de sa parole publique en espérant faire rimer ses victoires musicales avec des victoires sociétales.
« Je veux dédier ce prix à toutes les femmes du monde entier, en particulier aux femmes latines et à Porto Rico, » avait-il expliqué le 14 octobre dernier en recevant le prix du meilleur artiste latin aux Billboard Music Awards, cérémonie américaine. « Sans vous, ni la musique ni le reggaeton n’existeraient, donc assez de violence sexiste contre les femmes, nous allons éduquer maintenant dans le présent pour un avenir meilleur ».
Un discours qui fait sens puisque toutes les deux heures, un féminicide est commis en Amérique Latine, selon le rapport publié en 2016 par la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL).
Quelques minutes auparavant Bad Bunny venait d’interpréter sa chanson Yo Perreo Sola (je fais la fête seule). Message ô combien important et encore parfois mal perçu par des personnes justifiant certaines agressions par la tenue des femmes. C’est pourquoi dans le clip de la chanson l’artiste portoricain n’a pas hésité à se transformer en femme. Mention particulière, il est même possible de l’observer en train de danser avec lui-même déguisé en femme.
Encore une fois, un acte jamais vu chez les artistes latino-américains. Son compatriote Ricky Martin le reconnaît facilement dans le portrait du magazine anglais. « C’est un génie créatif, Benito a confirmé que la musique n’a pas de barrières. Je pense que la façon dont il fait de la musique se connecte à un profond niveau indépendamment du langage et des différences culturelles » .
Son art a un sens
Il est vrai que l’esthétique de ses clips et les styles vestimentaires qu’il adopte pour chacun d’entre eux ont quelque chose de différent et profond. Qu’il mette des faux ongles, des longues boucles d’oreilles ou des jupes, le chanteur n’est jamais ridicule. Dans le sens où il arrive à rendre quelque chose de majoritairement admis comme anormal, normal. Ainsi, ses clips, toujours originaux, se détachent de ce qui est proposé dans les styles musicaux auxquels il touche.
C’est-à-dire que là où certains tomberaient dans la banalité d’afficher des jeunes femmes en sous-vêtements dans chacun de leurs clips, Bad Bunny, au contraire, n’en fera pas le point central et nécessaire de ses vidéos. L’artiste semble, en plus de cela, favoriser d’autres critères que la quantité de silicone présente dans le corps des figurantes.
Et le succès est quand même au rendez-vous… À tel point que les artistes le sollicite de plus en plus. Rihanna l’a d’ailleurs appelé pour chanter lors de son show Savage x Fenty.
C’est donc un artiste qui prête attention à la place et l’image qu’il donne à la femme. Ce qui se ressent aussi dans les paroles. Certes, des thématiques comme le sexe, l’alcool et la drogue peuvent être évoquées dans ses musiques. Pour autant, la femme n’y est pas dénigrée parce que c’est une femme.
Bad Bunny fait la promotion de l’Amérique latine à travers le monde
Et puis, ses clips mettent à l’honneur l’Amérique latine et plus particulièrement les Caraïbes, région chère à son coeur. Derrière cela s’exprime la fierté et la volonté de promouvoir ce qui s’y fait. Plutôt que d’effacer son identité au profit d’une langue ou d’un décor américain.
Dans le clip de La Romana, Bad Bunny s’est allié à El Alpha, rappeur dominicain, sur un tube mettant à l’honneur la République dominicaine. Île des caraïbes qui a propulsé Bad Bunny dans sa carrière.
L’artiste n’hésite pas à s’associer avec des artistes de la région, dont certains sont en train d’émerger comme El Alpha. Mais aussi d’autres qui sont mondialement connus tel Daddy Yankee. Quoiqu’il en soit, impossible de passer outre les origines du chanteur lorsqu’on prend connaissance de son art.
Son attachement pour l’Amérique latine va plus loin puisque Bad Bunny n’a pas hésité à s’engager politiquement. Notamment auprès de son île natale : Porto Rico.
Un artiste engagé politiquement auprès de son pays d’origine
« Je vais faire une pause dans ma carrière car je n’ai ni la tête, ni le coeur à faire de la musique. J’irai à Porto Rico », avait-il déclaré. L’artiste avait interrompu sa tournée européenne prévue en juillet 2019 afin de se rendre aux manifestations en faveur de la démission du gouverneur portoricain Ricardo Rosselló, lorsque des messages sexistes et homophobes de celui-ci avaient été divulgués.
Le centre de journalisme d’investigation avait publié 900 pages de conversations indécentes. Dans lesquelles Rosselló et d’autres membres du gouvernement s’attaquaient à des personnalités publiques dont Ricky Martin, ouvertement homosexuel. Des paroles qui avaient fait écho au comportement méprisant du chef, dénoncé notamment à la même époque pour des actes de corruption et son indifférence pour le peuple qu’il est censé protéger.
Il faut savoir qu’en mai 2017, cet homme politique a fermé des centaines d’écoles publiques lorsque l’île a été déclarée en banqueroute. En plus de cela, la même année, 15 millions de dollars destinés à la reconstruction du pays, ont été détournés par des membres du gouvernement. Frappée par l’ouragan Maria, l’île sombrait. Une catastrophe naturelle dont Roselló a d’ailleurs tenté de minimiser l’impact. Le gouverneur avait annoncé 3000 morts… alors que la tempête en aurait fait 4645.
Une des figures phares des contestations
Ce contexte politique a amené les célébrités portoricaines à se mobiliser avec leurs concitoyens. Bad Bunny, Daddy Yankee, Luis Fonsi, Ricky Martin faisaient entre autres partie des 500 000 manifestants. Soit 15,6% de la population. « Je ne resterai pas silencieux. Je ne laisserai pas faire, Porto Rico ne laissera pas faire », disait le chanteur de 27 ans. Juste avant d’écrire la chanson devenue l’hymne des manifestations : Afilando los Cuchillos.
Ces aspects de l’homme ont fait de lui un artiste dépassant désormais les frontières. Cette année, Bad Bunny a été le premier homme à faire la couverture de Playboy. Ainsi que le premier latino-américain en couverture du magazine Rolling Stone. Son ouverture d’esprit lui a ouvert le monde.