Parisien de longue date ou visiteur de passage, vous aurez certainement remarqué les drôles de silhouettes des célèbres bouches de métro vert bouteille. Les « Edicules Guimard », du nom de leur concepteur, sont parmi les œuvres les plus représentatives d’un mouvement que l’on surnommera en France « l’art métro ». Le fer forgé, ici mit à l’honneur, est arqué en de curieuses antennes rappelant la tige d’un muguet et les balustrades sont ornées de motifs floraux. Un thème très caractéristique du mouvement que l’écrivain belge Edmond Picard nomme en 1894 « Art Nouveau ».
Peut-être ne nous lasserons nous jamais de parler des années 1900, de leur atmosphère euphorique et de leur extraordinaire épanouissement économique et social. Les expositions universelles présentent au public les monumentales Galerie des machines (1889) et Globe céleste (1900) ainsi que les prouesses techniques des architectes Gustave Eiffel et Charles Girault. On y découvre le premier trottoir roulant, on y met en marche le premier métropolitain et on y admire les pavillons des Arts et Arts décoratifs.
Dans les théâtres, les ballets russes et cabarets de boulevards animent les nuits parisiennes, égayées par l’arrivée de l’électricité (1881). Tandis que l’aristocratie perd un peu de sa superbe, la bourgeoisie se relève et s’épanouit, embrassant les nouveaux loisirs parisiens. On s’amuse.
Le monde artistique, secoué par la révolution esthétique des modernes, s’émancipe davantage au travers du symbolisme, de l’humour satirique et de la mode féminine. L’orientalisme et le japonisme inspirent les artistes peintres, sculpteurs et architectes : artistes dont les origines sociales sont également plus diverses.
Les cafés à la mode, les costumes du dimanche, les week-ends à la mer et les bicyclettes sont autant d’éléments qui rehaussent considérablement le niveau de vie du prolétariat, permettant à des artistes tel que William Morris et Henry de Velde de faire leur place dans un milieu auparavant presque exclusivement réservé à la bourgeoisie.
En cette fin de XIXe siècle, il flotte dans l’air comme un doux parfum de modernisme qui ne manque pas d’inspirer quelques talentueux artistes, s’empressant d’investir l’espace publique de leur designs colorés et floraux.
Alors c’est quoi, l’Art Nouveau ?
L’Art Nouveau prend sa source en Belgique et inspire de nombreuses constructions à Bruxelles et en province (magasins, écoles…). Parmi elles les anciens magasins Waucquez et Wolfers et les Hôtels Van Eetvelde et Deprez-van-de Velde.
C’est un art total, couvrant l’architecture, le design, la peinture, la sculpture, les arts décoratifs, l’art de la céramique et du verre, les bibelots et bijoux, la mode, les posters, et même l’art funéraire. C’est un style de vie en phase avec son époque, refusant un classicisme aristocratique déjà bien entamé.
Tantôt lyrique ou frivole, fonctionnel ou érotique, L’Art Nouveau est à la fois enchanteur et étrange. Il exploite des thématiques et des modèles inspirés du Moyen-Age et de la Renaissance ainsi que de fortes inspirations Préraphaélites qui donnent au mouvement des airs un peu chevaleresques sur fond de légendes folkloriques celtes. L’atmosphère onirique, rendue par la densité des plantes et des couleurs, est mise en avant dans beaucoup de travaux, s’inspirant librement de l’imaginaire médiéval.
L’Art Nouveau est également caractérisé par l’utilisation presque automatique de la figure féminine ; de sa douceur et de sa sensualité. Une femme pure, distante et à la silhouette longiligne et gracieuse rappelant beaucoup celle des Préraphaélites.
Le 10 Juin dernier, on célébrait « La Journée de l’Art Nouveau » à travers toute l’Europe, date d’anniversaire de disparition de deux génies du mouvement : le Catalan Antoni Antonio Gaudi et le Hongrois Ödön Lechner.
En France, c’est bien l’Ecole de Nancy qui s’impose comme foyer créatif de l’Art Nouveau, dont les « Maîtres » qu’ils soient verriers, ébénistes, peintres, décorateurs, sculpteurs, dessinateurs ou architectes, magnifièrent la technique et la réalisation. La Chambre de Commerce, construite en 1908, illustre le savoir-faire des artistes Nancéens et affiche la puissance industrielle et commerciale de la ville. L’utilisation d’arabesques en fer pour la porte centrale, les ornements floraux des lucarnes et les vitraux aux couleurs vives, signés Jacques Gruber, inscrivent le bâtiment comme Monument Historique Français.
Une exposition est par ailleurs organisée à l’Ecole de Nancy jusqu’au 3 Septembre 2018, réunissant une importante collection de revues, affiches, mobilier et décorations. Valérie Thomas, conservateur du Musée de l’Ecole de Nancy en charge de la Villa Majorelle, nous fait l’honneur de répondre à quelques questions.
Comment résumeriez-vous l‘Art Nouveau ?
” L’Art nouveau est un mouvement artistique européen qui a touché plusieurs villes à la fin du XIXe siècle-début du XXe siècle. Il est parfois difficile à définir car ses réalisations, surtout dans le domaine de l’architecture et des arts décoratifs, sont diverses et variées selon les pays. François Loyer, historien de l’architecture, évoque trois notions communes à ce mouvement : l’identité territoriale, le rapport à l’industrie et la volonté de modernité.
’est justement ces deux dernières notions que nous avons voulu interroger à l’occasion de l’exposition L’Ecole de Nancy. Art nouveau et industrie d’art. Les artistes Art nouveau ont voulu innover tant dans les techniques, les formes que les décors. Ils ne voulaient plus se référer au passé mais souhaitaient créer des édifices, des meubles et des objets d’art fonctionnels et utiles, adaptés à la vie quotidienne de leur époque et pouvant si possible, être accessibles à un large public.
L’Art nouveau est ainsi très présent dans les immeubles d’habitation mais également dans les lieux liés au commerce : banques, cafés, pharmacies… C’est un mouvement assez utopiste dans ses principes.”
En quoi l’Ecole de Nancy impacte le mouvement Art Nouveau ? Quelle est la particularité de l’Ecole de Nancy dans l’Art nouveau européen ?
” Les artistes de l’Ecole de Nancy se sont surtout intéressés aux arts décoratifs. Cet intérêt est lié à une tradition et un savoir-faire dans ce domaine en Lorraine depuis la fin du XVIIe siècle. Les premiers édifices Art nouveau ont été construits à Nancy vers 1900 alors qu’Emile Gallé et d’autres créateurs étaient déjà connus pour leurs pièces de faïence, de verre et de bois et déjà reconnus comme les tenants de l’art décoratif moderne français.
Lors de l’Exposition Universelle de 1900 à Paris, plusieurs musées européens tels le Victoria and Albert Museum, le Musée des Arts Décoratifs d’Hambourg, voire américains, le Musée des Beaux-arts de Philadelphie ont acquis des pièces nancéiennes et en particulier des verreries de Gallé.”
En quoi le travail d’Emile Gallé est-il représentatif de l’Art Nouveau de l’Ecole de Nancy ?
” Emile Gallé est le chef de file de l’Ecole de Nancy, c’est lui qui a impulsé le renouveau des arts décoratifs dans sa ville natale. Botaniste, amoureux de la nature, il a puisé dans ce répertoire, des formes et des décors nouveaux et inédits. Au départ, céramiste et verrier, il a souhaité aussi créer un atelier d’ébénisterie au sein de son usine d’art, rejoignant les créateurs de cette époque qui n’aiment pas se cantonner à une seule technique, à un seul domaine.
Gallé est aussi représentatif de l’Art nouveau dans son souhait de rendre accessible sa production, dans sa volonté qu’une clientèle plus modeste puisse acquérir ses oeuvres. S’il crée des pièces exceptionnelles ou sophistiquées, il envisage ensuite de les décliner dans des modèles plus simples, moins riches. Dans l’exposition, le bureau forêt Lorraine ou la coupe Roses de France en témoignent.”
Quel est votre coup de cœur de l’exposition ?
” Nous montrons dans l’exposition, des dessins préparatoires de l’Atelier Gallé afin d’illustrer les processus de création. Ce sont des esquisses à l’aquarelle ou à la gouache reproduisant des fleurs, des plantes qui s’avèrent d’une grande délicatesse. Les végétaux sont reproduits de manière réaliste et en même temps, ils sont mis en valeur par la composition, la mise en forme ou les tonalités.
Bien qu’il s’agisse de modèles destinés à l’exécution d’un verre ou d’une faïence, nous pouvons de nos jours, les considérer comme des oeuvres à part entière.”
– Valérie Thomas
Nous vous invitons à consulter le site de l‘Ecole de Nancy et à visiter l’exposition, ouverte jusqu’au 3 Septembre 2018 au Musée des Beaux Arts d Nancy.
La diversité des collections présentées nous offre un panorama de la richesse du mouvement, de ses possibilités techniques et de l’éclat artistique d’une époque qui n’a pas finit de nous faire rêver…