Jodi Long : enfin la consécration pour l’actrice sino-américaine ! (2/2)

Jodi Long : enfin la consécration pour l’actrice sino-américaine !

Dans un précédent article sur Jodi Long, actrice sino-américaine, Ô Magazine était revenu sur son exceptionnelle carrière, couronnée par un Emmy le 18 juillet dernier. Dans ce deuxième article, nous mettrons davantage en lumière les aspects militants de son travail. Car Jodi souhaite défendre et valoriser la communauté asiatique-américaine négligée dans les médias, et depuis peu l’objet d’attaques racistes. Voyons comment l’actrice s’y prend…

Jodi Long est une femme humble, touchante et passionnée. Ainsi, l’actrice nous a confié que sa nomination aux Emmy avait représenté une énorme surprise pour elle. Puis, elle avait très vite acquis l’intime conviction que la victoire lui reviendrait. « Je pensais que j’allais gagner, je ne sais pas pourquoi ».

Cette récompense a représenté pour elle un moment fort et émouvant. Après tant d’années passées dans le milieu du spectacle, son travail était enfin officiellement reconnu. En effet, à ses yeux, cette récompense sanctionnait tout ce qu’elle avait accompli au fil des ans, au-delà de son rôle dans la série Dash&Lily.

Modeste, elle a attribué le succès de la série au travail d’écriture et de caractérisation des personnages. Jodi a choisi de faire partie de l’aventure en suivant un élan du cœur, parce que le personnage de Basil E. lui plaisait, tout simplement !

Jodi Long : enfin la consécration pour l’actrice sino-américaine (2/2)
Jodi Long – (c) Benjo Arwas

Une femme de cœur

Passionnée par son métier, Jodi Long a toujours tenu à interpréter ses rôles comme elle l’entendait. Ainsi, les personnages qu’elle a incarnés devaient entrer en résonance avec une part d’elle-même. Professionnelle sur le plateau, elle n’en a pas moins toujours obéi aux élans de son cœur dans ses choix de carrière. Adepte de la méditation et du yoga, Jodi analyse avec sagesse l’ensemble de son parcours. Selon elle, « il faut attendre que l’univers permette que les choses arrivent. C’est sans doute parce que je suis âgée à présent que je suis devenue beaucoup plus fataliste. Quand j’étais plus jeune, j’étais beaucoup plus volontariste et je mettais en place des stratégies de réussite. À présent, je suis simplement heureuse de pouvoir faire ce que j’aime tout en gagnant ma vie comme cela ».

C’est sans doute ce trait de caractère qui la porte spontanément vers des réalisateurs méditatifs, tels Jim Jarmusch, Wim Wenders ou encore Terence Malick :

« Je suis sensible aux réalisateurs capables de raconter de belles histoires et de les magnifier visuellement sur grand écran, à partir d’un script. Terence Malick, parmi d’autres, possède cette qualité. J’ai eu l’occasion de travailler avec lui sur une pièce de théâtre. J’ai aimé sa sensibilité, même si son travail ne peut pas être apprécié par tout le monde, en raison de la lenteur de son rythme. Les histoires qu’il raconte et les personnages qu’il invente ont une profondeur qu’il est capable de magnifier visuellement. »

Propos de Jodi Long, au cours de notre entretien.

Jodi Long à l’assaut des discriminations de Hollywood

Malgré les rencontres extraordinaires et les moments magiques, le cinéma et le théâtre peuvent parfois réserver des déconvenues. Certes, comme tant d’autres, ils ont fait rêver Jodi depuis sa plus tendre enfance. Mais, en tant que femme d’origine asiatique, elle a trop souvent été confrontée aux préjugés et représentations caricaturales.

Lorsque nous avons abordé le contexte tendu entre les différentes communautés aux États-Unis, Jodi a avoué que les attaques essuyées par certains membres de la communauté asiatique l’avaient affectée. « C’est vrai que les événements récents m’ont un peu effrayée. J’en étais venue à être réticente à l’idée de sortir de chez moi, alors que j’habite un quartier tranquille de New York ». Face à cette vague d’actes haineux, Jodi espère que son Emmy sera le signal d’un renouveau, puisqu’elle est devenue la première actrice asiatique-américaine à recevoir une telle distinction.

Elle espère que son prix permettra de faire évoluer les mentalités, même si la situation est encore loin d’être idéale, y compris dans le monde du spectacle. Elle est revenue à ce propos sur une anecdote qui lui était arrivée en tant que membre de l’Académie des arts et des sciences du cinéma, qui organise chaque année la cérémonie des Oscars. En 2016, Sacha Baron Cohen, connu pour son humour potache souvent limite, avait proposé de faire un sketch douteux. Il s’agissait alors de représenter des enfants asiatiques en train de calculer les votes visant à départager les lauréats. L’intermède humoristique faisait clairement référence à la bosse des maths que tout jeune Asiatique était censé posséder. Choqués, la vingtaine de membres de l’Académie d’origine asiatique, emmenés par George Takei, ont mis leur veto en rappelant que ce type de plaisanteries était inacceptable.

Comme Jodi le déplore, « le racisme anti-asiatique a toujours été là. Ce n’est que maintenant que les gens s’en rendent compte, à la lumière d’évènements tragiques qui les ont réveillés ». Jodi dédie son Emmy à sa communauté, en se déclarant « heureuse que cette dernière, à travers elle, soit mieux reconnue ».

Jodi Long : jouer est un acte politique

Quand elle se retourne vers son passé, Jodi ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment d’injustice face aux portes que le cinéma et le théâtre ont refermées sur elle. « Je souhaitais ardemment jouer Juliette dans Roméo et Juliette. Mais j’en étais empêchée, contrairement à d’autres, sur le seul critère de mon apparence physique ». Dans notre pays, Omar Sy a par exemple su captiver les Français en interprétant avec justesse le célèbre Docteur Knock, incarné en 1951 par Louis Jouvet, ou plus récemment encore Arsène Lupin. Il a su démontrer qu’il n’était nul besoin d’enfermer un personnage dans une représentation excluant des acteurs non-caucasiens.

Pour Jodi Long, jouer s’apparente donc à un acte politique. « J’ai toujours pensé que le fait de me montrer sur un écran revenait à faire une déclaration politique. Je pense ainsi qu’une personne, quels que soient son type ou ses origines, doit être en mesure de jouer tout type de rôle ».

A contrario, Jodi croit que « nous devrions aussi être en mesure de raconter notre propre histoire. Car c’est nous-mêmes qui la connaissons le mieux. Ainsi, s’il est vrai que tout le monde connaît Roméo et Juliette (Shakespeare), La Ménagerie de Verre (Tennessee Williams) ou encore La Mort d’un commis voyageur (Arthur Miller), nous ignorons parfois les histoires plus spécifiques de notre communauté. C’est la raison pour laquelle j’ai fait en 1994 All-American Girl, le premier sitcom asiatique-américain depuis Mr. T and Tina (1976). J’ai également participé, en 2012, à Sullivan & Son, dans lequel j’interprétais la mère abusive coréenne de l’un des protagonistes ».

Jodi a poursuivi : « C’est l’âge venant que je me suis rendu compte que nous avions besoin de ces histoires particulières. Si personne ne les racontait, elles disparaîtraient, niant l’existence même des personnages qu’elles représentent. Pourtant, ces histoires ont vocation à enrichir et à faire partie intégrante de la culture américaine ».

Une personnalité solaire aux multiples talents !

C’est en alternant les projets mainstream et les projets davantage tournés vers sa communauté que Jodi Long a su laisser sa marque dans le monde du spectacle. En 1986, elle a fait une apparition remarquée dans le clip du groupe de new wave britannique New Order, Bizarre Love Triangle. Dans une courte séquence en noir et blanc, elle « refuse le principe de la réincarnation, car elle ne tient pas à revenir sous la forme d’un insecte ou d’un lapin ». Elle se rappelle avoir fait cette vidéo car elle connaissait alors Robert Longo, un artiste très connu dans le New York des années 80.

Plusieurs années après, « une femme m’a contactée sur Facebook. Elle m’a dit qu’elle ne savait pas que j’étais dans ce clip. ‘Mais Jodi, s’est-elle exclamée, cette vidéo a eu un impact énorme au sein de la communauté asiatique !’ J’ai été surprise, je ne savais pas. Apparemment, cette chanson est jouée partout, y compris à l’heure actuelle… en particulier dans les bars à karaoké. Pour l’anecdote, mon partenaire dans la séquence n’est autre que E. Max Frye, le scénariste du film Something Wild (Dangereuse sous tous rapports). Il était alors en post-production de ce film quand nous avons tourné le clip de New Order ». Souvenez-vous de sa façon de répondre à Jodi, avec le plus grand sérieux : « You’re a real UP person » (‘Toi, tu es vraiment l’optimisme même’).

Jodi Long : enfin la consécration pour l’actrice sino-américaine ! (2/2)
Jodi Long dans le clip de New Order Bizarre Love Triangle (1986)

Après notre entretien, nous avons eu hâte de retrouver Jodi Long, femme altruiste et talentueuse, être humain solaire, à l’écran. Si vous n’avez pas encore vu Dash&Lily, nous vous invitons à combler cette lacune au plus vite !

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Article écrit en collaboration avec Jérôme Ziel

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