“Je dis non Chef” : le compte Instagram dédié aux violences féminines en cuisine

violences féminines en cuisine

Depuis quelques années, le voile des violences faites en cuisine se lève peu à peu. Considéré comme un milieu machiste, la restauration a encore beaucoup à prouver pour rétablir une égalité entre les hommes et les femmes. “Je dis non chef” est un compte Instagram créé en juillet 2018 par Camille Aumont Carnel. En partageant massivement le témoignage de femmes harcelées, cette militante féministe compte bien mettre en lumière certains comportements des grands noms de la cuisine française.

La restauration n’a pas bonne réputation : entre 10 à 16 heures de travail par jour, des tâches physiques et manuelles où la charge à porter quotidienne représente un challenge pour les femmes, des conditions rudes avec de fortes chaleurs en été, un salaire insuffisant, et enfin, un milieu géré par les hommes. Dans certains restaurants étoilés, la brigade n’a même pas le temps de manger. Pourtant, c’est un art, un métier d’amour et de passion où la créativité s’exprime à travers tous nos sens : le goût, l’odorat, le toucher et la vue.

“Je dis non chef” regroupe des témoignages de cuisinières anonymes victimes de violences au travail. Un questionnaire est proposé pour celles qui souhaitent parler de leur expérience. Camille Aumont Carnel, ancienne élève de Ferrandi (l’une des écoles hôtelières les plus prestigieuses de France) nous explique le fonctionnement d’une cuisine :

“La loi du silence règne dans la gastronomie française, où les violences (verbales, physiques, sexuelles) sont moins l’exception que la norme. La culture machiste et ultra-hiérarchique qui règne dans les cuisines des restaurants n’épargne personne, en particulier les femmes et les minorités. Ce questionnaire ANONYME, dont les résultats seront rendus publics, est une première étape pour mesurer l’ampleur de ce phénomène qui gangrène le milieu de la restauration, et attirer l’attention du grand public sur les coulisses de cette excellence à la française.”

Je dis non chef, compte Instagram - citation
Je dis non chef, compte Instagram

#Metoo, un phénomène qui prend de l’ampleur

Metoo est un mouvement social encourageant la prise de parole des femmes. Le but est de permettre aux victimes de viol et d’agressions sexuelles de s’exprimer. Suivi par 37 200 abonnés, “Je dis non chef” mobilise la communauté Instagram pour révéler la triste réalité des femmes derrière les fourneaux. Ce phénomène a débuté en 2014 lorsque le journal Atabula publiait sa première chronique sur les violences féminines en cuisine. En effet, suite à un incident survenu dans les cuisines du Pré Catelan, trois étoiles au guide Michelin, le journal s’emparait de l’actualité et relatait les faits. Un chef de partie aurait brûlé un apprenti à plusieurs reprises avec une cuillère chauffée à blanc. À la découverte des faits, Frédéric Anton, le chef, réagissait immédiatement en licenciant l’agresseur.

La cuisine est un milieu militaire, dirigé par une hiérarchie très stricte. La durée hebdomadaire de travail dans la convention collective des hôtels, cafés, restaurants est de 39 heures. Or, tout le monde sait que la réalité se situe plutôt entre 45 et 70h. Si personne n’ose parler, c’est parce qu’en cuisine, tout le monde se connaît. Alors, lorsque vous vous plaignez d’une situation dérangeante, on vous prévient : “tu peux partir, mais ce sera la même chose ailleurs”. Pour évoluer dans ce secteur, il faut imposer son caractère et ne pas se laisser marcher sur les pieds. Car oui, les violences verbales, physiques et sexuelles sont monnaie courante. Il est donc grand temps de les dénoncer pour faire évoluer la restauration française.

A lire également : Créer un plan de carrière : définir vos objectifs et tracer votre parcours

Je dis non chef, compte Instagram - citation
Je dis non chef, compte Instagram

Tant d’inégalités, le résultat d’un mode de pensée encore trop ancien

Selon une étude réalisée par Les Grandes Tables du monde, on retrouve, en moyenne, seulement 3 femmes pour 14 hommes en cuisine. De plus, les femmes accèdent moins rapidement aux postes à responsabilités tels que chef de partie ou sous-chef. Seuls 41% des établissements contactés ont répondu à cette question, et les réponses collectées montrent un écart de salaire de 9,5% en faveur des hommes. Les préjugés sur la maternité restent un frein pour les femmes dans ce secteur. En effet, 60% des employeurs identifient ce sujet comme étant la contrainte principale. Le rythme de travail est difficilement compatible avec une vie de famille.

Récurer la cuisine du sol au plafond, frotter les joints avec une brosse à dent… Voici des exemples de tâches désobligeantes qu’utilisent les chefs pour montrer leur mécontentement. Mains baladeuses, remarques désobligeantes, rabaissements : quelques témoignages de jeunes filles qui ont osé se livrer.

  • Parfois, le sous-chef s’amusait à nous fouetter les jambes avec un torchon mouillé.
  • Notre posture doit rester droite, les mains le long du corps ou derrière le dos. Lorsque je m’adossais légèrement au plan de travail pour soulager mon dos, je prenais une béquille.
  • Pour monter en grade, il faut sucer et fermer sa gueule. Cette phrase est encore très représentative de la mentalité des hommes en cuisine.
À lire également : Oui, Cheffe : les femmes mettent les cuisines en ébullition.
Je dis non chef, compte Instagram - citation
Je dis non chef, compte Instagram

La réalité en cuisine est loin du compte de fée représentée par les émissions de cuisine comme Top Chef. Les conditions de travail sont rudes et la place des femmes encore trop marginale. Heureusement, les langues se délient et la prise de conscience prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux. “Je dis non chef” est un beau jeu de mots pour enfin exprimer la rébellion d’un système trop militaire. En effet, cette phrase s’oppose à “oui chef”, l’une des expressions les plus répétées par un cuisinier au travail.

Laisser un commentaire