Nous voudrions signaler à nos lectrices l’expo photo d’Igor Douplitzky se tenant à Villers-sur-Mer, près de Deauville. Igor partage l’affiche avec Emmanuel Lefebvre. Le premier nous emmène loin dans l’espace et le temps. En effet, ses clichés nous montrent un visage pacifique de la Syrie, avant le déclenchement de la guerre qui ravage le pays depuis 2011. Le second nous ramène sur les bords de la Manche. Il se dégage pourtant de la personne et des clichés d’Igor une impression subtile de proximité et d’intimité partagées. En mettant en avant la part d’humanité des personnes qu’il photographie, il fait entrer notre propre part d’humanité en résonance avec ses clichés.
Parcours et inspirations d’un portraitiste
Cadre dans les télécoms le jour, photographe itinérant le reste du temps, visage pâle, Igor arbore la silhouette gracile d’un éternel adolescent. Avec des mots murmurés mais néanmoins choisis, il nous invite dans son univers. Il raconte ses expériences de photographe, n’hésitant pas à se montrer ému quand il évoque la guerre en Syrie.
Son double parcours d’ingénieur et d’artiste est inscrit dans l’histoire de sa famille. Ses deux cousins sont acteurs, la mère de son père était pianiste. Il perfectionne sa technique à San Francisco auprès d’un vieux photographe. Ce dernier est spécialisé dans les portraits en noir et blanc des minorités américaines : Latinos, Noirs. Auprès de lui, Igor apprend à réaliser des tirages en noir et blanc. Il perfectionne également sa technique du cadrage. Il apprend à choisir son sujet. Son maître l’encourage à nouer une relation avec la personne qu’il veut photographier, avant de l’inviter à poser.
Son inspiration, il la trouve auprès du critique d’art Daniel Arasse (Histoire de peintures). Ce dernier qualifie notamment Vermeer de “peintre de l’intérieur de l’intérieur”. Vermeer situe ses personnages dans un espace clos. En outre, ils sont représentés comme perdus dans leurs pensées. Igor s’inspire de cette double intériorité lorsqu’en Syrie, il photographie un petit marchand de tissus à l’intérieur de son échoppe. En effet, l’adolescent, légèrement en retrait, semble plongé dans un songe. Igor s’aperçoit alors qu’il cherche inconsciemment à reproduire dans ses photos la composition des tableaux qui l’ont marqué.
Les expos d’un globe-trotter
Alors qu’il n’y avait jamais pensé, une amie lui conseille d’exposer son travail. Sa première expo a lieu en 2005 dans la crypte de l’église des Abbesses à Montmartre, sur le thème des Transitions de voyage. On peut y apercevoir un bac traversant le lac Titicaca, des gares en Roumanie, des gens en mouvement. Un an après, il organise sa deuxième expo sur le Yémen. Il y présente des portraits d’habitants des hauts plateaux. Ces portraits sont le résultat de contacts qu’il noue avec les Yéménites qui le logent, ou l’invitent à mâcher le qat, ou lui adressent simplement la parole. En 2010, il sillonne l’Éthiopie et s’intéresse aux peuples de la vallée de l’Omo. Là encore, il refuse toute mise en scène, à la recherche d’une certaine authenticité, entre photojournalisme et ethnologie. Davantage que l’instant décisif, il cherche à saisir le moment où son sujet se révèle fugacement.
En 2018, ses pérégrinations l’amènent sur la côte normande, où il s’amuse à prendre des photos imparfaites avec de vieux smartphones, qu’il retouche numériquement. Contrairement à son approche précédente plus naturaliste, ses photos normandes sont artificielles, recadrées, retouchées. Elles sont destinées à installer une atmosphère. Il les présente lors du festival Planche(s) Contact de Deauville.
La Syrie au cœur
Sur les traces d’un grand-père légionnaire
Il entre en contact avec la Syrie par le biais de son grand-père paternel, ancien membre de la garde impériale de Nicolas II. Celui-ci quitte précipitamment la Russie en 1917 avant d’arriver en France où il s’enrôle dans la Légion. En 1941, le régime de Vichy envoie son bataillon en Syrie pour affronter les Anglais qui veulent mettre fin au protectorat français. Fait prisonnier, il reçoit la permission de voyager librement dans le pays en attendant son rapatriement vers la France. Il en profite pour prendre des photos de voyage en noir et blanc. Cette histoire donne très tôt l’envie au jeune Igor de se rendre en Syrie pour suivre les traces de son grand-père.
Un pays mosaïque
Il se rend donc en Syrie une première fois durant l’été 2000, puis une deuxième fois pendant l’hiver 2010-2011. Il découvre un pays composé d’une mosaïque de différentes communautés : Druzes, Sunnites, Alaouites, Chrétiens parlant encore l’araméen, la langue de Jésus, mais aussi des Bédouins plus ou moins apatrides ou encore des Kurdes.
Des rencontres fortes
Sur place, Igor fait des rencontres qui le marquent. Il se souvient ainsi du père Paolo Dall’Oglio, ancien gauchiste italien devenu jésuite. Parcourant la Syrie, ce dernier décide de restaurer un monastère en ruine perdu au milieu de la montagne, à Mar Moussa. Il en fait un lieu d’échanges œcuméniques, essayant d’établir un dialogue inter-religieux. Igor garde le souvenir d’une force de la nature, d’un colosse à la belle élocution, très érudit. Il avait l’habitude de célébrer la messe en suivant le rite syriaque. Igor passe une nuit dans le monastère de Mar Moussa, au sein duquel locaux et visiteurs étrangers s’entremêlent.
Déjà, Dall’Oglio avertit Igor des tensions sous-jacentes qui travaillent le pays. Paroles prémonitoires : Dall’Oglio est désormais porté disparu, victime des événements tragiques qui secouent le pays depuis une dizaine d’années, alors qu’il œuvrait pour la libération d’otages. Igor ne cache pas son admiration pour la grandeur d’âme de ce personnage, au milieu de tant de cruautés et de violences. Il se montre ému également, se souvenant de toutes les personnes qu’il a photographiées et dont il craint qu’elles n’aient été tuées ou blessées…
La paix pour la Syrie !
L’exposition d’Igor contraste avec la situation actuelle de la Syrie, déchirée par une guerre cruelle et dévastatrice. Elle donne à voir un pays certes pauvre, mais dans lequel il est encore possible pour ses habitants de vivre normalement, sans craindre ni la faim, ni les attaques. Lorsqu’Igor regarde Pour Sama, un film documentant le blocus d’Alep, il a du mal à reconnaître la ville qu’il a amoureusement photographiée. Le conflit actuel ne doit pas faire oublier la richesse de la culture, de l’artisanat, du savoir-faire de ce pays à l’histoire pluri-millénaire. Prions donc pour nos frères Syriens, souhaitons-leur la fin prochaine de cet horrible conflit, plaie ensanglantant la surface de notre globe depuis dix ans déjà. Les Syriens, entre tous les peuples, ont aussi droit à l’espérance !
Chère lectrice, avez-vous connu la Syrie d’avant ? Conservez-vous l’espoir de voir un jour le pays renaître de ses cendres ? N’hésitez pas à nous livrer votre témoignage dans la section des commentaires ci-dessous !
Informations pratiques : Exposition photo au Villare, centre associatif et culturel situé au 26 rue du Général de Gaulle, 14640 Villers-sur-Mer, du 7 au 13 octobre 2020, de 10 heures à midi et de 14 à 18 heures (fermé dimanche et lundi). Accès libre et gratuit.