Homosexuels et nazisme : de l’oppression à la libération (Mémorial de la Shoah) (2/2)

homosexuels Europe nazie

Nous avons précédemment consacré un article à l’histoire des homosexuels et lesbiennes. En effet, une exposition sur le thème ‘Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie’ se tient en ce moment au Mémorial de la Shoah jusqu’au 22 mai 2022. Dans ce premier article, Sophie Nagiscarde, responsable des activités culturelles au sein du Mémorial de la Shoah, était revenue sur l’atmosphère des fêtes exubérantes ayant caractérisé l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, jusqu’à l’arrivée au pouvoir des nazis.

Article rédigé par : ZIEL Jérôme

Dans la deuxième partie de son interview, elle revient sur la place des homosexuels dans l’idéologie raciale nazie. Puis elle évoque les mouvements de libération des années 1970-80 ayant permis de libérer la parole des anciens détenus des camps de concentration. Suite de son interview…

Homosexuels dans l’idéologie raciale nazie

Comme Sophie le rappelle, « l’idéologie raciale nazie distingue et hiérarchise plusieurs races. Au premier rang se tient la race aryenne ; à la dernière place, les Juifs. Il s’agissait par conséquent de protéger la qualité et la pureté de la race aryenne en évitant toute interférence avec des éléments juifs. Dans ce contexte, les homosexuels ne sont pas bien vus. En effet, ces derniers ne font pas d’enfants. Or cela est incompatible avec la politique ultra-nataliste du IIIe Reich : tout Aryen a le devoir sacré de se reproduire. Par ailleurs, les homosexuels sont perçus comme souffrant d’une maladie. Leur retrait répond donc à un impératif ‘d’hygiène publique’ ».

Cette atmosphère répressive incite les homosexuels et lesbiennes à mettre en place des stratégies de vie leur permettant de continuer à vivre normalement. Ils se cachent, se marient, etc. Mais le régime combat ce type de manœuvres. Car elles soumettent la race aryenne au risque de se retrouver dévoyée par une infiltration d’éléments homosexuels. Par conséquent, les nazis cherchent à recenser, circonscrire, tenir à l’écart puis enfermer les homosexuels.

Peut-on parler de génocide homosexuel par les nazis ?

Cependant, l’idée qu’il fallait se débarrasser des homosexuels définitivement en utilisant des moyens de type ‘solution finale’ n’a jamais été formulée par les nazis. Cela n’a pas empêché de nombreux homosexuels de mourir dans les camps de concentration… ou sur les lignes de front « dures » où on les envoyait volontiers. On estime ainsi que, pendant la période nazie, entre 5.000 et 15.000 personnes ont été internées dans des camps au titre du paragraphe 175. Très peu en sont revenues.

Cependant, il est difficile d’évoquer un génocide homosexuel. Les nazis pensaient être en mesure de rééduquer les ‘invertis’. Comme le rappelle Sophie, « cette idée est encore présente aujourd’hui chez de nombreuses personnes. L’internement en prison ou en camps de concentration avait donc également pour but de rééduquer les homosexuels. Les nazis pensaient que les mauvais traitements subis leur feraient perdre leur pulsion. Évidemment, comme on l’a compris depuis, ça ne marche pas comme ça. Il n’empêche que, au nom de la rééducation, les homosexuels ont subi d’impitoyables maltraitances, sans compter les expériences médicales, telle que la castration ».

Retours de camps après la Deuxième guerre mondiale

Toutefois, le martyre des homosexuels ne s’achève pas avec la fin de la Deuxième guerre mondiale. En effet, le paragraphe 175 n’est pas abrogé et l’homosexualité continue d’être pénalisée. Les personnes sorties des camps ne peuvent donc pas faire témoignage ni demander réparation. Elles doivent attendre l’abolition de ce paragraphe en 1968 pour la RDA, puis en 1969 pour la RFA.

À ce propos, Sophie mentionne The Great Freedom de Sebastian Meise (2021). « Ce très beau film raconte l’histoire d’un jeune gars condamné pendant la guerre. Libéré par les Américains, il sera condamné à nouveau plusieurs fois successivement jusqu’à l’abolition du paragraphe 175 ».

homosexuels Europe nazie
Affiche conçue pour le projet Silence=Death par un collectif new-yorkais
© Wellcome Library

La libération homosexuelle des années 1970/80, en Allemagne…

Les associations homosexuelles ont joué un rôle extrêmement important dans l’abolition du paragraphe 175 à partir des années 60. Dans un premier temps, les homosexuels veulent d’abord s’affirmer en tant que tels. Après 1969 notamment, ils revendiquent à nouveau leur identité, ce qu’on n’avait pas vu depuis la République de Weimar. Dans un deuxième temps, ils ouvrent la parole sur la répression ayant touché leurs aînés sous les nazis.

Selon Sophie, « si les associations de la société civile n’avaient pas commencé à porter la voix de ces anciens détenus, ces homosexuels réprimés pendant la majeure partie de leur vie auraient sans doute continué à rester cachés. Cela concernait des gens qui étaient âgés, car adultes déjà durant la période nazie ». Les associations permettent donc l’émergence de cette mémoire en donnant la parole aux rescapés homosexuels des camps, en Allemagne puis en France.

… puis en France

En France, des associations voient également le jour. Ainsi, Jean le Bitoux, alors rédacteur en chef du journal Gai Pied, fonde le Mémorial de la déportation homosexuelle en 1978. De son côté, Guy Hocquenghem crée dans les années 70 le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR). Il s’agit de l’une des premières associations à évoquer le sujet des déportés homosexuels. Comme ils n’avaient pas d’études françaises sous la main, ils se sont appuyés sur des témoignages allemands. En France, Pierre Seel témoigne de sa déportation en 1982 seulement.

Comme l’explique Sophie, « Jean le Bitoux va beaucoup travailler avec Pierre Seel. On peut également citer Rudolf Brazda, déporté homosexuel allemand, qui après la guerre est venu s’installer en France. Il est repéré alors qu’il est déjà très âgé par les membres de l’association les Oubliés de la mémoire. Jean-Luc Schwab, membre de cette association, écrit un livre avec Rudolf Brazda pour raconter sa déportation. L’exposition montre d’ailleurs le témoignage de Rudolf recueilli par Jean-Luc ».

Ces associations se sont donc battues pour l’abolition des lois répressives. En Allemagne : le paragraphe 175. Puis elles militent ensuite pour l’abrogation de la loi différenciant l’âge de la majorité sexuelle selon que vous soyez homo (21 ans) ou hétéro (13 ans). C’est chose faite en 1994. Il en est de même en France. La discrimination sur la majorité sexuelle en fonction de l’orientation sexuelle est abolie dès 1982.

Encore un important travail de recherches à réaliser, notamment concernant les lesbiennes

À présent, dans les Länder et dans les universités allemandes, des chaires ont été créées sur ces thématiques de recherches. En France, nous avons quelques spécialistes mais ils ne sont pas très nombreux. Selon Sophie, « il reste encore beaucoup de travail de recherches à accomplir. La situation de la France diffère de celle de l’Allemagne car notre pays n’a pas connu l’équivalent du paragraphe 175. Certaines condamnations ont certes été prononcées, notamment en Alsace-Moselle sous administration allemande directe, ou encore dans la France occupée. Cependant, il n’y a pas eu de vagues d’arrestations massives comme en Allemagne. Certains homosexuels déclarés, tels Jean Cocteau, ont même pu passer la période de la guerre sans se faire inquiéter ».

Concernant les femmes, Sophie remarque qu’ « en Autriche, les lois visent également les lesbiennes, contrairement à l’Allemagne. C’est un sujet complexe. De nombreuses études doivent encore être conduites sur le sujet des femmes. Les premières historiennes à avoir abordé ce thème sont allemandes (Claudia Schoppmann). En France, la référence en la matière s’appelle Suzette Robichon, et nous avons d’ailleurs collaboré avec elle sur l’exposition ».

(Découvrez ici la première partie de l’interview de Sophie Nagiscarde.)

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(c) Mémorial de la Shoah, 2022

Exposition « Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie » du 17 juin 2021 au 22 mai 2022 au Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffroy-l’Asnier, 75004 Paris. Du dimanche au vendredi de 10h à 18h. Nocturne le jeudi jusqu’à 22h. Entrée libre.

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