Alors que nous sortons à peine de la pandémie, l’avancée des géants du numérique, Amazon en tête, semble annoncer la fin des commerces de proximité. C’est sans compter le puissant mouvement d’opinion en faveur du localisme, dont les commerçants de proximité se font aujourd’hui le porte-étendard. Certaines applis tentent même de concilier le digital avec le local. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, Jessica Nguyen, Directrice Europe de FlipNpik, réseau social dédié aux commerces de proximité, nous explique son concept…
Localisme contre universalisme : le débat ne date pas d’hier. Dès 1789, l’abbé jésuite et polémiste Augustin Barruel jette un pavé dans la mare des révolutionnaires universalistes. Il en vient à prôner localisme et attachement pour le lieu où l’on habite. Depuis, droite et gauche n’ont cessé de se disputer ce thème. Ainsi, la droite souverainiste met en avant un localisme identitaire et conservateur. La gauche souverainiste, dans la lignée de Jean-Pierre Chevènement et d’Arnaud Montebourg, appelle à démondialiser. Le but consiste à stopper l’ultralibéralisme qui écrase les peuples.
Dans une acception plus modérée, le localisme recouvre depuis une vingtaine d’années un niveau d’action économique et politique de proximité. Les entreprises sociales et solidaires (ESS) ou encore les jardins partagés en sont des manifestations. Il s’agit d’un mouvement d’inspiration écologique venu là encore en réaction aux excès de la mondialisation. Même les consommateurs s’y mettent. En 2019, deux Français sur trois affirmaient que l’engagement des marques en matière de développement durable et éthique constituait un critère de choix important pour eux.
Jessica Nguyen, passionaria des petits commerçants
Ayant d’abord travaillé dans l’immobilier, Jessica Nguyen s’est très vite aperçue de son attirance pour la vente et le marketing. Lassée de toujours se battre pour obtenir les faveurs de grands comptes, elle s’est petit à petit intéressée au « retail » ou commerce de détail. Constatant le manque de visibilité de ce dernier, elle s’est mise en quête du moyen de faire émerger cette partie de notre tissu économique trop souvent négligée au profit des « gros ».
L’opportunité qu’elle recherchait s’est présentée sous la forme d’une appli de rencontres entre retail et consommateurs. Partie au Canada pour y faire la connaissance d’Henri Harland, à l’origine de ce concept, elle est rentrée en Europe avec l’application FlipNpik dans ses bagages. Afin d’adapter cette dernière au marché local, elle y a ajouté certaines caractéristiques.
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Défendre les petits commerçants, c’est défendre nos emplois et nos centres-villes
Selon Jessica, les commerçants de proximité valent bien la peine qu’on se penche sur leur sort. « Quand vous allez faire vos courses chez un commerçant indépendant, la dépense que vous y faites demeure au sein de votre communauté. Le commerçant emploiera ses revenus à renouveler son infrastructure en aménageant sa boutique. Ou bien il en profitera pour faire plaisir à sa famille. Si, au contraire, vous fréquentez une grande chaîne, vous aurez seulement permis à ses actionnaires de s’offrir une énième maison sur la côte ».
« En outre, poursuit Jessica, le commerçant ou l’artisan de proximité vont transmettre leur savoir-faire. Ainsi, ils vont apprendre leur métier à leurs apprentis. D’une façon plus générale, ils contribuent à l’économie locale, car la valeur qu’ils créent ne sert pas seulement à les enrichir personnellement. Leur activité impacte également leur environnement immédiat. Par leurs dépenses et les impôts qu’ils acquittent, ils réinjectent une partie de leurs revenus dans l’économie locale et permettent à leur ville de renouveler ses infrastructures. À l’opposé, les géants du numérique n’acquittent pas leurs impôts dans les pays dans lesquels ils font du business ».
Un mode de consommation au plus près de nos besoins et de nos préoccupations
La proximité est d’autant plus intéressante qu’elle est économiquement viable. Ainsi, le fait de consommer les produits de saison directement auprès du producteur ne revient pas plus cher en réalité. « On va sans doute moins consommer, mais consommer mieux », insiste Jessica. « De même, nous aurons sans doute moins recours à des produits suremballés. De plus, nous achèterons seulement la quantité dont nous avons besoin, alors que les grandes surfaces poussent à acheter par lots… »
Enfin, nos habitudes de consommation, en pleine évolution au sortir de la pandémie, sont très influencées par les préoccupations des millenials. Selon Jessica, « ces nouveaux consommateurs se montrent beaucoup plus attentifs à la provenance des produits qu’ils achètent. Ils sont également sensibles aux circuits courts. Leur philosophie s’articule ainsi autour d’une consommation durable, locale et responsable ». Un nombre croissant de marques sont ainsi obligées de se justifier par rapport aux desideratas des millenials. Elles proposent alors des produits respectueux de l’environnement, de la nature et des droits de l’homme.
FlipNpik, un réseau social de niche s’adressant aux commerces de proximité et leurs clients
Par rapport à ces préoccupations, FlipNpik entend se positionner comme le champion du made in local. En militant pour une consommation locale, durable et responsable, l’appli remet le commerçant indépendant au cœur de notre système économique. Selon Jessica, « aujourd’hui, ce dont on se rend compte, c’est que ces commerçants sont cantonnés dans une ruelle peu passante. Nous proposons de les remettre sur une ruelle passante, avec du trafic, en augmentant leur visibilité ».
En Europe, FlipNpik a été lancée en 2018. Dès ses débuts, les créateurs de l’appli se sont rendu compte que cette dernière répondait à un réel besoin de la part des commerçants de proximité : gagner en visibilité sur le web. En effet, par manque de budget et de compétences en interne, par manque de moyens aussi, ces derniers rechignent à embaucher un community manager à temps plein pour s’occuper de leur présence numérique. Pourtant, depuis la pandémie mondiale et les restrictions sur les contacts interpersonnels qu’elle a entraînées, « les commerçants indépendants ont pris conscience de l’importance du digital. Ils se sont également rendu compte que des outils comme les nôtres pouvaient leur être utiles ».
FlipNpik réconcilie digital et proximité
Peut-on résumer la valeur ajoutée de FlipNpik au simple fait de proposer un annuaire des commerçants de sa ville ? Jessica nous répond : « Non, car sinon cela n’aurait qu’un intérêt limité. Car tellement d’annuaires de ce type existent déjà : Google, Facebook, Instagram, TripAdvisor, TheFork, etc. Dès notre installation en Europe, nous avons voulu donner un plus à l’appli en y ajoutant un volet ‘récompense’. Nous avons donc examiné les avantages qu’offrait la block chain, ce nouvel outil du numérique. Nous avons mis à profit cette dernière pour monter un système de points-mérite, comme lorsqu’on va dans un supermarché et qu’on passe sa carte de fidélité ».
FlipNpik a donc l’ambition d’aider les petits commerçants à économiser de l’argent, du temps et de la data. C’est pourquoi elle leur offre sur un plateau l’équivalent d’une campagne de communication sur les réseaux sociaux. L’appli incite ainsi les consommateurs à faire découvrir leurs commerces préférés en partageant des photos des biens ou des services qui les ont particulièrement comblés, sur la page dédiée du commerçant dans l’application mobile. De son côté, l’appli récompense le consommateur en lui attribuant un point correspondant à une certaine rémunération. « Nous incitons donc les clients à créer du contenu favorable à leur commerçant favori », résume Jessica.
Les institutionnels embarqués
Loin de se contenter de mettre en relation les commerces de proximité et leurs clients, FlipNpik noue des partenariats stratégiques avec des acteurs institutionnels. « Ainsi, explique Jessica, nous travaillons avec les applications proposant du stationnement en centre-ville. Nous leur proposons d’offrir 30 minutes de stationnement gratuit aux automobilistes qui seront ainsi d’autant plus incités à aller rendre visite à leurs commerçants de proximité. C’est le drive to store, autrement dit le fait d’être incité à se rendre physiquement dans les boutiques ».
Il s’agit pour les petits commerçants et tous les acteurs parties prenantes de l’animation des centres-villes (communautés de communes, villes et autres collectivités territoriales) de reprendre l’initiative… et d’offrir des gratuités aux consommateurs, face aux giga centres commerciaux implantés en périphérie. Nous voyons donc que l’issue de la bataille entre les David et les Goliath du retail est loin d’être décidée…
Et vous, comment faites-vous vos courses ? Aimez-vous aller en ville vous approvisionner auprès de vos commerçants de proximité ? Ou alors avez-vous l’habitude de vous rendre en voiture dans les grandes surfaces de la périphérie ? Dites-nous tout dans la section des commentaires !