« Je ne suis pas une salope », le documentaire réalisé par Marie Portolano et Guillaume Priou a donné la parole aux femmes journalistes de sport hier soir sur Canal +. Du sexisme normalisé au harcèlement, les actes semblent aussi nombreux qu’inquiétants dans ce milieu professionnel qui tente de s’ouvrir.
Les femmes journalistes de sport ont pris la parole pendant 1h16 et 50 secondes sans interruption. Cette fois-ci, ça n’était pas pour parler de sport mais plutôt de la façon dont le milieu les a accueillies. Particulièrement certains confrères journalistes. Estelle Denis, Isabelle Ithurburu, Vanessa Le Moigne, Isabelle Moreau, Nathalie Ianetta, Cécile Grès, Clémentine Sarlat, Tiffany Henne, Margot Dumont, Lucie Bacon, Charlotte Namura, Amaia Cazenave, Frédérique Galametz, Mary Patrux et Laurie Delhostal ont chacune leur tour partagé leur expérience en tant que femmes journalistes de sport. Point commun entre ces seize parcours, le sexisme auquel toutes ont du faire face.
« Aujourd’hui je vais vous raconter une face cachée de mon métier » a annoncé Marie Portonalono. Harcèlement au travail, remarques sexistes, insultes sur les réseaux sociaux ou encore menaces de viol, voilà ce à quoi doivent faire face ces femmes journalistes de sport, parce qu’elles sont des femmes. Cela commence par des comportements en interne.
Le harcèlement au travail, la difficulté à en parler
“Mon non consentement n’était pas pris en compte” a regretté Cécile Grès, harcelée plus d’un an par un collègue. “Des textos le soir très tard, des appels en absence la nuit, des plannings modifiés pour être là en même temps que moi, des déclarations d’amour par mail.”, autant d’actes que de preuves qui ont finalement permis le licenciement de la personne concernée.
Si cela peut paraître facile de parler quand on est sur le devant de la scène, la journaliste explique que la réalité est toute autre. “C’est dur de devoir expliquer pourquoi t’es une victime”. La personne doit alors prouver les actes qu’elle a subis et justifier qu’elle n’avait pas eu de comportement aguicheur. Aucune personne mise en cause n’est finalement citée directement par les journalistes. Seuls certains extraits d’émission permettent d’en identifier quelques uns.
Par ailleurs, certains passages dans lesquels Pierre Ménès serait confronté à certaines de ses agressions auraient quant à eux été censurés par la chaîne, comme l’a rapporté hier le site Les Jours. Notamment sa réaction sur la séquence où il s’est permis d’embrasser Isabelle Moreau, sur la bouche. Le chroniqueur aurait alors estimé que la journaliste de Canal + réagit « à l’aune de #Metoo, de la société d’aujourd’hui ».
“Ça n’a jamais été normal c’est pas parce qu’avant on ne le dénonçait pas que c’était normal. Ce qui était anormal c’était -1 votre comportement -2 notre silence. Ça fait beaucoup d’anormalité” a donc signalé Nathalie Ianettta dans ce documentaire.
Dénoncer des pratiques, pas des gens
“Tu ne sortiras pas de la pièce tant que tu ne m’auras pas avoué que t’aimes les filles” a expliqué un rédacteur en chef à Tiffany Henne, la coinçant dans une salle. “Tu crois qu’elle suce celle-la” a pu entendre Frederique Galametz. “Bouche à pipe” semblait fantasmer un collègue d’Amaia Cazenave. “Une main au cul ça n’a jamais fait de mal à personne” a t-on expliqué à Nathalie Ianetta. Systématiquement, un caractère sexuel se fait entendre dans les remarques.
“Au tout début de Bein , il y a un collègue qui est venu et qui m’a dit il y a une rumeur qui circule, il parait que t’es là parce que t’as couché avec un tel” a témoigné Margot Dumont les larmes aux yeux. Une réflexion qui renvoie à la légitimité d’une femme dans ce milieu, souvent remise en question. Est-elle là parce qu’elle en a les compétences ou bien parce qu’il y a un quota à remplir?
“C’est comme pour le repassage c’est pas génétique” s’est exclamé Catherine Louveau, sociologue spécialiste sur la question du sport et du genre. “Les filles sont éduquées sur un doute à avoir sur leurs capacités sur leur légitimité” nous a t-elle appris. Et les témoignages le confirme. Certaines parlent d’un “syndrome de l’imposture”, parfois “ancré en nous” comme l’a souligné Isabelle Ithurburu.
De surcroît, souvent présentées comme des “atouts charme”, les femmes ne sont pas prises au sérieux. Tant par certains téléspectateurs que par certains collègues. “Une fois j’étais pas là on m’a remplacée par une plante verte” a déclaré Vanessa le Moigne. Bonne blague certains diront…
Femmes journalistes sportives et cyberharcèlement
Les réseaux sociaux non plus ne sont pas de tout repos. Laurie Delhostal a confié avoir reçu cinquante messages par jour d’un harceleur. Et ce, pendant un an. Ce dernier créait des “skyblogs” dans le but de l’insulter. “Je vais te saigner” disait-il entre deux menaces de viol. Une affaire mise par la suite dans les mains de la justice De son côté, Lucie Bacon a porté plainte après de nombreuses menaces d’une même personne sur les réseaux sociaux. Cette personne disait ainsi, avec classe, vouloir “jouer à la playstation dans (sa) chatte”.
Puis, Charlotte Namura avait remarqué que parmi tous les membres présents sur le plateau télé, elle était “la seule sur qui on revenait sur le physique, à qui on disait qu’on avait envie de (la) baiser”. Encore une fois, entre quelques menaces de viol. Or, c’était la seule femme. Ce que toutes semblent rapporter, c’est que d’une part elles n’imagineraient pas faire subir la même chose à leurs homologues masculins, d’autre part, ils ne sembleraient pas vivre la même chose. À savoir des remarques au quotidien sur leur sexe, leur légitimité, ou même leurs compétences.
« Femmes journalistes de sport, nous occupons le terrain ! »
Parallèlement au documentaire, le journal Le monde a publié une tribune signée par 150 femmes de la profession. Des étudiantes et des journalistes sportives en poste se sont unies.
“Nous, femmes journalistes de sport, voulons prendre la parole. Parce qu’elle nous est confisquée. A la télévision et à la radio – le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) vient de le révéler –, le temps de parole des femmes « dans le domaine du sport » représente 13 % : sur une journée consacrée au sport, on écoute donc des hommes en parler pendant vingt et une heures…”. Le texte fait ainsi savoir que les femmes sont là, veulent leur place et la mérite.
Une vague de soutien a émergé par la suite sur les réseaux sociaux. De quoi être positif pour l’avenir des femmes journalistes de sport. D’autant plus que la nouvelle génération semble plus ouverte et apte à travailler avec ses consoeurs. Le message est passé, “Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste”.