Azzedine Alaïa est connu pour l’audace de ses lignes, soulignant la féminité des femmes, notamment leur chute de rein. À tel point que les anglo-saxons le surnomment the King of Cling, le “roi du moulant”. Par le biais de ses créations, il impose son personnage, sa méthode artisanale et son perfectionnisme au monde de la mode. Il parvient rapidement à fidéliser une clientèle privée. En s’appuyant sur l’amour que lui portent les femmes, notamment les supermodels des années 80, il finit par s’imposer par son talent de couturier et sa réputation de collectionneur.
Azzedine : sa vie, son œuvre
Son implication
Né en 1935, alors qu’il étudie la sculpture aux Beaux-Arts de Tunis, Azzedine apprend la couture sur le tas. C’est en regardant faire sa sœur Hafida, qui reproduit des modèles de couture parisiens pour des clientes locales, que naît son intérêt pour la mode. Il conservera durant tout son parcours cette volonté de s’impliquer dans la fabrication de ses vêtements de A à Z. Ce qui lui vaudra sa réputation d’artisan de la mode. Chez lui, la phase du dessin n’est pas ce qui compte le plus. Azzedine préfère confectionner ses modèles sur mannequin vivant. Il aime couper, coudre, découdre, s’y reprenant à plusieurs fois si nécessaire. Il conserve toute sa vie sa démarche de couturier, en modélisant rapidement, en coupant puis en cousant.
Son inspiration le porte vers un style “sexy”. La silhouette féminine est allongée, affinée et moulée dans des robes droites, zippées ou lacées. Ses créations semblent cousues à même la peau. Il recourt abondamment aux nouvelles matières stretch enserrant les hanches, tandis que ses coupes en biais soulignent les tailles. Le travail du cuir devient aussi une de ses spécialités : il le travaille comme de la dentelle. En 1986, sa collection Printemps-Été met en vedette ses robes tube de bandes de jersey rappelant les momies égyptiennes.
Son talent de couturier
Comme nous l’avons vu, Azzedine privilégie avant tout l’approche du couturier aux dépens de la communication ou du business. Ainsi, il n’accorde que très peu d’interviews. Il laisse venir à lui les journalistes dont les articles dithyrambiques le propulsent dans la fashion stratosphère. Michel Cressole écrit en 1979 dans Libération le tout premier article sur le couturier, celui qui “a tout déclenché”, selon Azzedine lui-même. Ce dernier réussit des coups d’éclat médiatiques fondés sur son travail, non sur son image ni sur sa parole.
Par exemple, il est à l’origine de la robe rose que porte Grace Jones dans une séquence culte du film James Bond de 1985, Dangereusement vôtre. De même, pour les célébrations du bicentenaire de la Révolution en 1989, c’est Azzedine qui habille Jessye Norman d’une ample robe tricolore à capuche, tandis qu’elle chante la Marseillaise, véritable climax des cérémonies démesurées voulues par le président Mitterrand.
Sa passion et sa spontanéité
Par ailleurs, Azzedine ne se montre guère intéressé par les aspects financiers de son activité, même s’il cherche passionnément à développer sa griffe. Il montrera ainsi peu d’empressement et de nombreuses hésitations avant de se résoudre à prendre appui sur Prada en 2000, puis Richemont en 2007. À chaque fois, il semble regretter sa liberté et son indépendance perdues d’artisan de la mode. Pour lui, les intérêts mercantiles doivent se soumettre au rythme de la lente élaboration de ses modèles. Ainsi, en 1988, il présente sa collection Printemps Été deux mois après tout le monde. Alaïa préfère désormais exposer ses créations quand elles sont prêtes, faisant fi du calendrier officiel des défilés.
Enfin, dans un milieu restreint comme celui de la mode, où le politiquement correct est capital si l’on tient à conserver les faveurs des “personnes qui comptent”, il n’hésite pas à parler avec son cœur. Il critique ainsi ouvertement la puissante (et glaciale) Anna Wintour et même le Kaiser Karl Lagerfeld.
Certes, cette spontanéité lui fera perdre quelques soutiens ainsi que des points de parts de marché, mais il n’en a cure. Pour lui, l’important est ailleurs : tant qu’il peut continuer à faire de belles robes, entouré de ses nombreux et nombreuses ami(e)s qu’il invite à venir souper sans façon dans sa cuisine, Azzedine considère que l’essentiel est sauf.
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Alaïa & Balenciaga sculptent l’allure des femmes
La Fondation Alaïa organise jusqu’au 24 décembre 2020 une exposition croisée des créations d’Azzedine et de Cristobal Balenciaga, source d’inspiration majeure du couturier tunisien. Ces pièces proviennent du travail d’archiviste accompli par Azzedine, notamment en 1968, au moment de la fermeture de la maison Balenciaga. Notre couturier récupère alors in extremis des modèles sur le point d’être dispersés. La directrice de Balenciaga, qui était la tante de l’une de ses vendeuses, lui propose de venir et de lui faire un prix. Il revient de cette expédition avec deux sacs poubelles pleins !
En visitant l’exposition, on réalise la filiation entre les deux maîtres, chacun apportant sa patte aux robes, aux boléros et autres tailleurs qui ont fait le succès de chacune des deux griffes.
Généralement, les modèles de Balenciaga paraissent plus couvrants, conservateurs et structurés que ceux d’Alaïa : question d’époque et d’inspiration sans doute. Balenciaga conserve l’image du couturier de la famille royale d’Espagne. Il crée la plupart de ses modèles dans les années 1950-60, alors que l’Espagne demeure sous le joug du régime franquiste. Alaïa est un créateur des années 80, époque débridée autorisant toutes les audaces, aussi bien au niveau des coupes que des matières.
Les corps se donnent à voir dans leur perfection, la sexualisation des modèles est outrée. Balenciaga, bien qu’audacieux pour son époque, est plus discret et influencé par une certaine morale… dont les cadres ne demandent qu’à exploser ! Après tout, il est également l’un des couturiers préférés des sulfureuses Marlene Dietrich, Elizabeth Taylor ou Ava Gardner…
La collection d’Azzedine
L’exposition révèle un autre aspect de la personnalité attachante du couturier : celle du collectionneur. En 1963, il acquiert sa première œuvre d’art, une tête copte sculptée, ayant appartenu à la “duchesse de Guermantes”. Au cours des années, il accumule un grand nombre d’objets comme des costumes de cinéma, des pièces de design. Mais également des vêtements de nombreux couturiers qu’il admire : Madeleine Vionnet, Balenciaga, Paul Poiret ou Schiaparelli.
En 2004, Azzedine ouvre dans le Marais une galerie d’art décorée par Julian Schnabel où sont exposées des œuvres liées au design et à la photo, reflétant la vie du couturier et ses sources d’inspiration : la mode, mais aussi l’art, le design, l’architecture, la musique et le théâtre. Il fonde, en 2007, l’Association Azzedine Alaïa dans le but de protéger son œuvre et sa collection. Enfin c’est en 2020, que la Fondation prend la suite, exposant le travail de ce dernier ainsi que sa collection personnelle dans les lieux mêmes où il a vécu et travaillé.
L’expo Alaïa Balenciaga : un must pour les fashionistas !
Fort de ce qui précède, nous invitons tou(te)s les fashionistas ou les plus curieux à venir au 18 rue de la Verrerie, dans le Marais à Paris, pour admirer l’exposition “Alaïa et Balenciaga : Sculpteurs de la forme”, ouverte tous les jours entre 11 et 19 heures. Elle a été réalisée sous la direction d’Olivier Saillard, historien de la mode, actuel directeur artistique de J.M. Weston, ancien directeur du Palais Galliera, et proche d’Azzedine Alaïa. Vous y verrez des pièces magnifiques d’Alaïa comme de Balenciaga, présentées côte à côte pour en faciliter la comparaison. Chères lectrices, n’hésitez pas à nous faire part de votre sentiment sur les pièces que nous vous présentons. Nous vous invitons aussi à nous révéler quel est votre modèle préféré, suite à votre visite de l’expo !
Cet article a 2 commentaires
Balenciaga et ses créations toujours aussi intéressantes ! ??
Nous sommes d’accord ! 🙂