Les hashtags #payetongyneco et #balancetonutérus diffusés récemment sur les réseaux sociaux ont levé le voile sur la réalité des violences obstétricales en donnant la paroles aux victimes d’expériences traumatiques. Aujourd’hui, il devient urgent de nous interroger sur les effets de ces violences sur la santé psychique des victimes. Ô Magazine a rencontré Diane Garnault, psychologue dans une maternité parisienne, pour discuter de la question très complexe du psychotrauma après l’accouchement.
Les vécus traumatiques de l’accouchement et leurs effets sur la santé
Ô Magazine : Pourquoi avez-vous commencé à vous intéresser à la question des violences obstétricales ?
Diane Garnault : Mon point de départ, ça a été l’année 2010, durant mon parcours doctoral. En écrivant ma thèse, consacrée au rapport de la médecine au corps créateur féminin, je me suis rendue compte que certaines de mes patientes utilisaient les même mots pour décrire leur accouchement que ceux utilisés pour raconter un viol. Pour certaines, les soins en maternité pouvaient donc être vécus de manière très violente, et laissaient des séquelles graves. J’ai écrit ma thèse sans me référer au concept sociologique de “violences obstétricales”. Je parlais plutôt de la question du vécu traumatique de l’accouchement. Et donc, la question du psychotrauma. Le terme de “violences obstétricales”, je le trouve indispensable. Mais, quand je reçois une femme, ou quand je travaille avec les médecins, ce n’est pas avec une position militantiste ou de sociologue. En réalité, c’est depuis mon domaine de compétence, le psychisme.
ÔM : Quels sont les effets physiques de l’accouchement ? Comment se relient-ils au psychotrauma ?
D.G : Ce qu’on peut voir, ça va être des dyspareunies (les douleurs aux rapports sexuels). Le retard du redémarrage de la vie sexuelle, parce qu’il y a des évitements, et des peurs de douleurs, du vaginisme. J’ai des patientes ici, qui ont toujours des douleurs aux dates anniversaires. J’ai une patiente qui, pendant un mois après son accouchement, avait mal tous les mardis à 16 heures. C’est le moment où elle avait été césarisée en urgence. Quand on a retracé l’horaire, ça a cédé : le corps n’avait plus besoin de lui rappeler cela. Certains ostéopathes vous parleraient de la mémoire du corps.
ÔM : Pourquoi certains actes médicaux seront-ils vécus comme violents pour certaines, et non-violents pour d’autres ?
D.G : Parce que nous sommes des êtres de langage, essentiellement. L’accompagnement des actes médicaux par la parole et la qualité de la relation de soins est déterminante. Certaines paroles peuvent être affolantes, par exemple : “votre bébé est en souffrance fœtale, il faut que j’intervienne.” Là, tous ses warnings s’allument. Elle, je la rencontrerait sûrement en secteur Mère-enfant. Parce qu’il y aura eu une parole malheureuse dans un moment où elle est complètement vulnérable.
ÔM : Lorsqu’il y a des problèmes durant la grossesse ou l’accouchement, peut-il y avoir une culpabilisation de la parturiente ?
D.G : Est-ce qu’il y a une culpabilisation des femmes, oui, bien sûr. L’esprit humain est fait de telle sorte que lorsque vous vivez quelque chose de choquant, vous essayez de mettre du sens dessus. Si l’autre vous dit qu’il n’y est pour rien, qui reste-il ? Vous-même. Ou alors, certaines vont même chercher plus loin : si, par exemple, elles ont souhaité avorter en début de grossesse, elles peuvent avoir le sentiment de payer pour ça.
ÔM : Pourquoi ce sentiment de culpabilité est-il si fréquent ?
D.G : Parce qu’il y aussi dans notre société une sorte d’idéalisation… L’idéalisation de la maternité, de la “bonne mère”, celle qui est censée tout sacrifier par exemple. Cela s’ancre aussi dans l’accouchement. D’où les femmes qui vont dire qu’elles n’ont pas accouché, parce qu’elles ont accouché par césarienne. Parce qu’en fait, il faudrait souffrir pour être mère. Il y a de nouvelles normes sur l’accouchement. L’accouchement physiologique, aussi, peut en devenir une. Il ne suffit pas d’avoir mal, en plus il faudrait avoir “bien accouché”. Tous ces aspects font le lit de la dépression post-natale, caractérisée par le sentiment de culpabilité. Ainsi, le premier levier pour sortir du psychotrauma, ça va être que soit reconnu ce qui a été vécu. Reconnaître ce qu’il s’est passé, ça permet de soulager. Les femmes arrêtent de se dire que c’est leur faute. Elles arrêtent de se dire qu’elles sont folles.
ÔM : Vous avez introduit la notion de psychotrauma. Quels sont les signes qu’une personne en souffre ?
D.G : Le mauvais vécu d’accouchement peut entraîner ce que le DSM-5 décrit comme les troubles liés au traumatisme : détresse psychique immédiate, et état de stress aigu à partir de trois jours Et à partir d’un mois si cet état de stress aigu persiste, on va parler d’état de stress post-traumatique. Le psychotrauma repose sur cinq éléments. D’abord, avoir été exposé à une expérience traumatique, et on sait qu’un accouchement peut l’être. Après, il va y avoir de l’hyper-vigilance, de l’hyper-réactivité : les femmes qui vont se plaindre d’insomnie, d’incapacité à dormir. L’autre effet, ça va être les phénomènes d’intrusion. Les flash-back, les cauchemars… Puis, il y a les conduites d’évitement. Elles ne veulent plus parler de leur accouchement, qui fait appel à trop d’émotions. Enfin, il y a aussi toutes les altérations cognitives, et de l’humeur, avec une altération possible de l’estime de soi.
Les violences obstétricales : le symptôme d’un dysfonctionnement institutionnel ?
ÔM : Il y aurait donc aussi la question de la rentabilité des hôpitaux qui influerait sur l’accompagnement des parturientes ?
D.G : La crise du COVID a pu montrer les failles, non pas de l’hôpital, mais de la manière dont l’hôpital est traité au niveau étatique, notamment avec la tarification à l’acte, qui fait qu’aujourd’hui les maternités doivent réduire le temps de présence humaine auprès des parturientes. Elles sont obligées de rationaliser les coûts, pour rester rentables, ce qui est discutable. L’hôpital a-t-il à être rentable ? Il assure une mission de santé publique, et de prévention, notamment en maternité. Et à long terme, plus une femme accouche dans de bonnes conditions, moins elle risque d’être sujette à une dépression post-natale, moins elle sera susceptible de recourir à un prolongement de son congé maternité. Pourtant, les services médicaux n’ont d’autres choix que d’essayer de limiter les moyens humains proposés aux femmes.
Ce dont une femme, ou un couple, a le plus besoin, par-delà la sécurité bien sûr, c’est d’accompagnement, et d’un personnel attentif à son vécu singulier. Si les équipes prennent en compte l’histoire de la parturiente, elles vont être en mesure de désamorcer de possibles réactivations traumatiques, en redoublant de précautions à certains moments clés de l’accouchement.
ÔM : En France, quelles sont les différentes possibilités offertes aux femmes pour accoucher ?
D.G : En ce qui concerne la question de la liberté du choix des femmes de leur lieux d’accouchement en France : il n’est pas garanti. Il y a l’accouchement à domicile, très décrié en France, mais dont les études menés dans les pays où il est courant montrent qu’en réalité, il n’y a pas plus de risque. Il y a aussi les maisons de naissance, recommandées pour les femmes qui souhaitent un accouchement physiologique. Néanmoins, vous ne pouvez pas accoucher en maison de naissance si vous avez déjà accouché par césarienne, ou si vous avez 40 ans et plus. Ce qui exclut donc certaines candidates. Et en plus, il n’y a pas assez de places pour la demande. Mais il y a aussi celles qui ne veulent pas aller en maison de naissances, parce qu’elles ont besoin – et ça les rassure – d’aller en maternité.
ÔM : D’après vous, pourquoi y a-t-il autant de silence autour de la question des violences obstétricales ?
D.G : Je pense, d’abord, que c’était tabou pendant très longtemps. Les femmes n’étaient pas supposées parler de ça. Les femmes ne sont pas supposées dire que la maternité, c’est pas que du bonheur. Parce qu’elles se culpabilisent en se disant que si elles remettent en question l’idée que l’accouchement est le plus beau jour de leur vie, ça veut dire qu’elles n’aiment pas leur bébé, qu’elles n’aiment pas être devenues mères.
ÔM : Et pourquoi cette normalisation au sein du monde médical ?
D.G : Parce que, aussi, balayer devant sa porte, c’est compliqué pour les équipes médicales, comme pour tout un chacun. Et c’est également douloureux parce qu’ils sont aussi dans des injonctions contradictoires, c’est-à-dire qu’on leur demande de s’occuper des femmes, sans leur en donner réellement les moyens. Je me réjouis, par exemple, que dans le service dans lequel je travaille, un groupe d’analyse des pratiques existe, pour que les équipes puissent faire part auprès d’un psychanalyste, ou d’un intervenant extérieur, de ce qui rend compliqué le sentiment de bien faire son travail.
Surmonter le psychotrauma
ÔM : Avec quel outil, ou quelle thérapie, aidez-vous une patiente atteinte de psychotrauma ?
D.G : Dans ma pratique j’associe écoute, psychanalytique et traitement EMDR. L’EMDR (Eye Movement Desensitisation Reprocessing), une technique anglo-saxonne mise au point dans les années 80 par Francine Shapiro, est destinée principalement à traiter le psychotrauma, avec des mouvements oculaires qui viennent retraiter l’information. En fait, le psychotrauma fait que l’événement choquant n’a pas pu être correctement mémorisé, et provoque de la sorte des rappels douloureux et divers symptômes.
ÔM : Que conseilleriez-vous pour aider à surmonter le psychotrauma ?
D.G : Une femme qui a mal vécu son accouchement et/ou a le sentiment d’avoir vécu des violences peut notamment s’adresser à la psychologue de la maternité. Elle peut aussi demander audience à l’équipe médicale, dès la sortie de la salle de naissance, pour une reprise de son accouchement. Et surtout, je dirais à une femme qui a un mauvais vécu d’accouchement, qu’elle a le droit de ressentir ce qu’elle éprouve, et de demander écoute et donc réparation.
Le trauma se soigne, et ce n’est pas simplement survivre à un bombardement. Depuis 1994, il y a une reconnaissance internationale de l’accouchement comme un événement pouvant engendrer un vécu traumatique.
Diane Garnault.
Le psychotrauma après l’accouchement a des répercussions sur la plupart des aspects de la vie d’une femme. Il peut fortement altérer son estime d’elle-même, le lien avec son bébé, sa relation conjugale, sa reprise de l’activité professionnelle… Mais, grâce à la psychanalyse, et à certaines techniques comme l’EMDR, il est possible de réintégrer ce vécu traumatique dans son histoire comme un événement qui a du sens, et pas simplement celui d’une défaite, d’une dépossession.
Ô Magazine remercie Diane Garnault pour cet entretien très révélateur. Ce dialogue nous a permis de mettre en lumière les contresens de l’institution médicale française, notamment le besoin de l’instauration d’un dialogue et d’un accompagnement, imposé sur des services devenant de plus en plus rentabilisés.