Depuis 1995, J.P. O’Connell travaille comme journaliste pour le magazine londonien Time Out, interviewant acteurs, réalisateurs, écrivains ou encore musiciens. Ainsi, alors qu’il est un grand fan de David Bowie, il a l’occasion d’interviewer ce dernier à New York en 2002. Aujourd’hui, il répond à nos questions concernant son dernier roman Hôtel Portofino, paru en juin dernier. Dans son livre, il nous conte la vie d’une communauté d’expatriés britanniques en Italie à la fin des années 1920. Sous le glamour de ces privilégiés, le drame…
Article rédigé par : ZIEL Jérôme
Depuis 2009, J.P. O’Connell se partage entre journalisme, écriture d’essais tel que Bowie’s Books (Les livres de Bowie) et de romans tel qu’Hôtel Portofino. Dans le premier ouvrage, J.P. O’Connell se livre à une analyse des goûts littéraires du célèbre chanteur, s’intéressant aux rapports entre sa vie et son travail. Dans le deuxième ouvrage, début d’une saga centrée sur la famille de Bella Ainsworth, il nous plonge dans le romanesque échevelé des relations entre ses personnages, alors qu’ils sont plongés dans le contexte troublé de l’Italie de la fin des années 1920…
Comment vous est venu le sujet de l’Hôtel Portofino ?
Le livre Hôtel Portofino est la novellisation d’une série télévisée portant le même titre, donc je dois admettre que ce n’était pas mon idée. C’était l’idée de Matt Baker qui en a écrit le script. Mon travail a consisté à transformer ce script en un roman – mais un roman qui ressemblerait à un roman à part entière, plutôt qu’à une adaptation.
Quel est l’intérêt d’avoir situé l’action d’Hôtel Portofino à la fin des années 1920 ?
La fin des années 1920, lorsque de riches Occidentaux découvrent les plaisirs de « l’étranger », représente l’âge d’or du voyage. Profitant des dernières technologies – avions, trains ou automobiles – ces gens sillonnent l’Europe à la recherche d’hôtels exclusifs et de lieux absolument ravissants. À condition d’avoir de l’argent et du temps, il était possible d’aller skier à St Moritz, avant de prendre le Train Bleu reliant Paris à la Côte d’Azur. De là, vous pouviez conduire le long de la côte jusqu’à Monte Carlo pour aller faire une partie de blackjack avant de traverser la frontière : direction la bella Italia …
C’était donc un milieu très glamour, et là où il y a du glamour, il y a du drame ! Après la Première Guerre mondiale, de nombreuses personnes ont fui la Grande-Bretagne pour la Méditerranée. Il y avait beaucoup d’amertume et de désillusion, en particulier parmi ceux qui avaient combattu et survécu. Ces « expatriés » cherchaient une idylle. Malheureusement, ce qu’ils ont trouvé sur place était plus compliqué, compte tenu de la situation politique de pays comme l’Espagne et l’Italie. Il existe un parallèle étrange, que le roman et la série télévisée explorent, entre l’essor de stations balnéaires comme Portofino et la popularité croissante de Mussolini.
Hôtel fait penser aux récits impliquant une communauté d’expatriés britanniques, depuis Chambre avec vue jusqu’à Marigold…
Oui, tout à fait. Pour avoir une idée de ce qu’était la Riviera italienne dans les années 1920, j’ai lu beaucoup de livres de voyages de l’époque et des romans comme The Hotel de l’écrivaine anglo-irlandaise Elizabeth Bowen (1927). L’intrigue se déroule dans un hôtel haut de gamme un peu comme l’hôtel Portofino. Bowen s’est fondée sur ses propres vacances passées en Italie en 1926 pour ce roman. Cependant, pour se rendre compte de la mentalité des Anglais séjournant en Italie, le meilleur écrivain demeure E.M. Forster. Alors j’ai relu Monteriano (Where Angels Fear to Tread) et Chambre avec vue.
Vous mêlez dans votre livre événements historiques et événements intimes propres à vos personnages. Quelle était votre intention ?
Oui, l’idée était de prendre un canevas historique très large, avant de se concentrer quasi-exclusivement sur les personnages. Cela vous fait réaliser à quel point leur vie est affectée par des événements historiques plus larges.
L’esprit libre de l’Hôtel Portofino est la ‘matriarche’ Bella. Fille d’un riche industriel, elle est la force motrice de l’hôtel et canalise son zèle entrepreneurial pour construire une nouvelle vie en Italie pour sa famille. Son mari, Cecil, est un aristocrate (et un goujat). Cependant, comme beaucoup de ses semblables dans les années 1920, il n’a pas d’argent. Leur fils artiste Lucian est sorti grièvement blessé des tranchées. Même si ses blessures n’ont pas réussi à altérer son charme, elles l’ont néanmoins forcé à une longue convalescence, qu’il a mise à profit pour se plonger dans des guides de voyages. Comme s’il avait voulu se persuader qu’une vie meilleure serait un jour possible, même si plus personne n’y croyait vraiment.
De nombreux autres écrivains et artistes ont ressenti la même chose. Le titre des mémoires de la Première Guerre mondiale que Robert Graves a écrites après avoir déménagé à Majorque – Good-Bye to All That (Adieu à tout cela) – est très explicite à ce propos.
Des personnages secondaires intrigants
Cependant, je pense que les personnages les plus intrigants sont ceux qui sont mûrs pour subir une transformation significative. Ainsi, quelqu’un comme Nish, le camarade indien de Lucian, se contente dans un premier temps de “s’intégrer” à ce monde colonial anglais de haut niveau. Cela lui est possible car il a fait ses études en Angleterre et passe à bien des égards pour un Anglais. Dans un deuxième temps, il décide que son avenir se situe au-delà de tout cela. En effet, il s’assume en tant que jeune homme gay et ne craint plus d’affirmer ses idées dans tous les domaines, quitte à en payer les conséquences.
Constance, la nanny, est également intéressante. Elle est très résiliente à cause de ce qu’elle a traversé dans sa vie et nous avons le sentiment que cette résilience pourrait, à l’avenir, la conduire vers une destinée extraordinaire.
Comment avez-vous défini votre style d’écriture pour ce roman ?
Mes livres précédents n’étaient pas des œuvres de fiction. Cependant, j’ai trouvé facile de passer d’un mode d’écriture à un autre. Une influence-clé pour le style que j’ai utilisé était le best-seller Cazalet Chronicles d’Elizabeth Jane Howard, en plusieurs volumes. Les Cazalet Chronicles suivent le destin d’une famille anglaise bien nantie depuis la période précédant la Deuxième Guerre mondiale jusqu’aux années 1950. Comme pour Hôtel Portofino, la saga d’Elizabeth Jane Howard est autant axée sur les personnages que sur l’intrigue.
Chez Howard, la variation du point de vue narratif est très révélatrice. De la même façon, l’énergie dramatique d’Hôtel Portofino provient surtout de la friction entre les différentes personnalités mises en présence dans le roman. Non pas tant des contorsions violentes liées aux événements historiques qu’ils traversent.
Quels sont vos prochains projets ?
J’espère commencer bientôt à travailler sur le deuxième volume d’Hôtel Portofino. Entre temps, je travaille sur un roman policier dont l’action se déroule dans les années 1930.
Pourriez-vous nous faire part d’une anecdote à propos d’Hôtel Portofino ?
Il était intéressant d’écrire le roman en même temps que le tournage de la série télévisée. J’ai pu voir des photos des essayages de costumes et des premiers rushs du plateau, ce qui m’a donné une idée précise de l’apparence des personnages aussi bien que des décors. Lorsque je décrivais un personnage, j’avais en tête le portrait de l’acteur qui allait l’incarner. Je pouvais donc m’appuyer sur son physique pour décrire le personnage qu’il incarnait !