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Une interview impossible sans Dieudonné

Une interview impossible sans Dieudonné

Le plus dur est sans doute de rencontrer ce grand timide de Dieudonné. Et je n’ai pas réussi. Faut dire que j’ai insisté auprès de l’accueil mais pour y arriver il aurait fallu que j’aie les moyens de The A-Team. Et puis je n’ai pas que ça à faire, non plus de courir la France à la recherche de petites salles discrètes pour y trouver un comique acide-sulfuré. Toutefois j’ai fait mon travail à ma manière, en restant confinée, pour des raisons différentes que d’habitude.

Article rédigé par Bénédicte

Ennemi public n° 1 dans la catégorie humoriste. Le mot « Dieudonné » tapé sur internet et les indicateurs de sécurité des GAFAM clignotent. Comme quoi, il peut suffire de parler pour qu’on veuille faire taire. Mais trêve d’allusion politique, mon investigation concerne l’épaisseur proprement comique du personnage.

Des imitations décomplexées

Ce ne serait pas juste de dire que ses imitations sont des caricatures ethniquement limite. Nous ne sommes pas dans du Michel Leeb ou du Leluron des années 80, ni du Lecoq animant feu les Guignols. Dieudonné balance sans préparation, au milieu de ces personnages hargneux ou naïfs, des imitations génériques et plutôt réalistes. Le choc vient de la cible qui reste des types qui sont, eux, des caricatures. Il ne force pas toujours le trait des beaux pour les rendre risibles, mais plutôt il reproduit les traits de ceux qui nous paraissent si naturellement étranges.

Des histoires terribles sur des frontières floues

Et il nous raconte, prétextant ses propres malheurs, pour défendre en plein contraste des opinions qui finissent secondaires par rapport au bon temps que l’on peut passer. Il faut de la dérision pour se retrouver mis à l’index, au milieu de la salle, par un comique qui nous agresse parce que l’on rit, qui nous ordonne de nous taire, qui nous dénonce comme une erreur sociale. Il le fait. Régulièrement. Avec ses rires de hyène et son sifflement aspiré qui jauge les niveaux, c’est sa signature comique.

Il enchaîne alors avec cohérence des histoires qui évoluent dans un jeu de scène, entre un podium et un bureau. Parfois accompagné de Jacquie ou d’une hôtesse de magicien (sans le costume sexy), il parle de la société. Il se fout de nous.

Peut-on rire de tout ?

On ne peut pas rire de tout avec tout le monde. Dieudonné le tente pourtant encore. Il cherche les objets les plus malodorants, met son doigt dedans et remue. Puis il en fait des jeux de mots. Le public averti en rit. Mais tous les publics ne pourraient pas accepter autant d’ironie sur des thèmes plutôt socialement passionnés. Pour apprécier, il faut être impliqué mais pas investi. Les thèmes qui posent les désirs privés et les prétentions publiques sont toujours offusquant en heure de grande écoute. Le porno sous toutes se formes doit rester crypté. Créneau dangereux, s’il en est.

Des représentations plus secrètes que des réunions de maçons

Dieudonné continue de jouer, de se représenter, de faire son métier. Évidemment, les spectacles s’égrènent en pointillés espacés géographiquement dans les villes de 3e zone. Mais les spectacles sont là, en production devant un public toujours actif.

Tous les ans un nouveau spectacle, qui propose une nouvelle approche de la folie qui s’empare de notre société. C’est un vrai travail d’écriture en continu. Comme si la résignation fatiguée n’arrivait finalement pas. Comme s’il restait encore quelque chose à tenter.

Mais, ne sachant pas quoi faire pour que ça aille mieux, il ne reste à l’artiste qu’à écrire que tout va de mal en pis. De l’écriture comme d’autres prophétisaient les fléaux divins ; Dieudonné comme une Cassandre dont on n’aurait qu’à rire.

Le voir ou pas, là est la question

Les restes médiatiques de Dieudonné démontrent que le spectacle peut encore être engagé, que le rire inquiète toujours la politique. Il montre le danger qu’il peut être, et le danger que le monde est déjà. Parler reste un risque. Tout n’est pas encore confit de bonheur bien conçu.

L’expression de la pensée pose encore débat. Et quelque part c’est un grand ouf de soulagement que l’Histoire n’est pas finie. Chaque idée n’a de valeur qu’étroitement en vie dans des limites brûlantes, qu’entre des murs à fissurer, que frottée aux blocages des institutions mentales, des frustrations nombrilismes et des incompréhensions faciles.

Back to the jungle pour l’humoriste

Bientôt Dieudo retournera dans sa forêt camerounaise, pour s’y promener sagement comme un vieil ermite qui aurait perdu le goût de la chasse mais pas celui des plaisirs envieux. Il vise cette retraite de paix et de retour aux sources, même si pour l’instant il reste debout au fond du fossé. Rassurons-nous, il devrait encore payer ses impôts dans l’hexagone.

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