Aujourd’hui, les maladies zoonotiques, qui se transmettent de l’animal à l’homme, se multiplient. Selon L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, 60 % des maladies infectieuses actuelles chez l’Homme sont des zoonoses. La santé humaine dépend donc directement de celle des animaux. Forts de ce constat, Manuelle Miller (vétérinaire), Etienne Guillard (pharmacien) et Arnaud Greth (vétérinaire biologiste) nous ont expliqué la raison pour laquelle ils avaient adhéré au concept One Health. Né au début des années 2000, One Health réaffirme l’interdépendance entre santés humaine, animale et écosystèmes. Ainsi, la pandémie de Covid trouve son origine vraisemblable dans le règne animal. Elle illustre ainsi la pertinence du concept One Health. Et elle souligne l’importance d’appréhender l’interdépendance entre les trois santés.
Vétérinaire, Manuelle Miller est spécialiste des questions de santé publique auprès d’Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières. Étienne Guillard, quant à lui, a reçu une formation de pharmacien. Il est aussi spécialiste du renforcement des systèmes de santé pour SOLTHIS (Solidarité Thérapeutique et Initiatives pour la Santé). Arnaud Greth, enfin, est vétérinaire et biologiste. Diplômé de l’École vétérinaire de Nantes et de l’École Normale Supérieure, il crée l’ONG Noé en 2001, qu’il préside depuis. Arnaud s’emploie depuis vingt ans à sauvegarder la biodiversité dans le monde. Son association est aujourd’hui implantée dans huit pays et compte 120 collaborateurs. Son slogan « Biodiversité : nos vies sont liées » fait d’ailleurs écho au message de One Health.
Face aux maladies émergentes
Concernant la santé humaine, Manuelle, Étienne et Arnaud reconnaissent que nous avons fait d’énormes progrès depuis le 19e siècle. Cependant, l’espérance de vie régresse aujourd’hui, même dans les pays développés. Pour expliquer ce phénomène, Étienne met en avant certains « déterminants sociaux ». Parmi ceux-là, il cite « une alimentation trop riche, une hygiène de vie dégradée, ou encore le tabagisme. Là-dessus, la pandémie de COVID est arrivée. Elle a touché toute la planète et a entraîné des morts en nombre bien plus important qu’Ebola, par exemple ».
Dans les pays en développement, c’est une autre histoire. En effet, selon Étienne, « les populations de ces pays font encore face à des maladies infectieuses. Parmi ces dernières, on citera le paludisme (300.000 morts chaque année), la tuberculose ou encore le VIH ». En outre, de nouvelles maladies non transmissibles, liées au diabète ou au cholestérol, y font désormais des ravages.
Dysfonctionnements des écosystèmes
Concernant les zoonoses précisément, la transmission des maladies de l’animal à l’homme et réciproquement n’est pas nouvelle. Dès le 19e siècle, les vétérinaires ont montré comment la variole pouvait sauter la barrière des espèces. Selon Étienne, « comme dans une mauvaise série télé, la nouvelle saison One Health est dominée par COVID. Son expansion a été foudroyante. Il a affecté un grand nombre de personnes. Mais il a ‘simplement’ pris la suite du SARS en Extrême-Orient, puis du MERS au Moyen-Orient. Les zoonoses n’ont donc rien de nouveau ! »
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Arnaud, quant à lui, remarque que les causes des maladies sont de plus en plus complexes à déterminer. Il se rappelle : « durant mes années de formation, les choses étaient plus simples. Telle maladie appelait tel traitement, généralement à base d’antibiotiques. Aujourd’hui, c’est plus compliqué à déterminer… et à soigner en raison de la résistance aux antibiotiques et aux antimicrobiens qui remet en cause les progrès réalisés depuis un siècle ! » Manuelle pointe également du doigt certaines pratiques humaines, comme l’épandage de pesticides sous toutes les latitudes, désormais. « Or, rappelle-t-elle, ces molécules représentent un très gros danger pour la santé humaine, animale et environnementale ».
La réponse One Health : vétérinaires, médecins et écologues dans le même bateau
Pour faire face à ces maladies émergentes, One Health a voulu incarner une nouvelle approche dès les années 2000. Selon Manuelle, il s’agissait, « premièrement, de reconnaître l’interdépendance entre la santé humaine, animale et celle des écosystèmes. Il existe ainsi une interconnexion entre ces trois sujets, si bien qu’agir sur l’un revient à agir sur l’autre. Deuxièmement, il s’agissait aussi de rassembler vétérinaires, médecins et écologues (spécialiste de la santé des écosystèmes). En effet, ces trois métiers travaillaient jusque-là chacun dans leur silo. Cela limitait donc la portée de leurs recherches. »
Le concept One Health a rapidement été approprié par les grandes organisations internationales, OMS, OIE et FAO en tête. Elles ont alors mis en place un agenda politique afin d’encourager les ministères (agriculture, santé) à travailler sur ces problématiques, à leurs échelles nationales respectives. Les associations ont joué le rôle de courroies de transmission des décisions prises en haut lieu auprès des populations locales.
One Health : une mise en œuvre au plus près des populations locales
Manuelle cite ainsi l’exemple du Cambodge. Avec AVSF, elle a aidé certaines communautés villageoises affectées par une pollution aux plastiques. « En effet, ces villages ne géraient pas bien leurs déchets. En conséquence, les eaux de surface étaient polluées. De même, certains de leurs animaux mouraient étouffés après avoir ingéré des sachets en plastique ». AVSF a donc mené un diagnostic conjoint avec ces populations. Ensemble, ils ont mis en place des actions de formation ainsi que des journées de la santé communautaire. Durant ces journées, au sein des écoles, ils ont mené des campagnes de sensibilisation. De la même façon, ils ont conduit des opérations de nettoyage collectif des villages. Cela a même incité les personnes à réfléchir collectivement à des solutions plus pérennes.
Quant à Arnaud, il rappelle que son association Noé gère, entre autres, la réserve naturelle nationale de Termit et Tin-Toumma au Niger. Il veille ainsi au maintien d’un équilibre entre les besoins de l’écosystème et ceux des populations pastorales locales. Comme il le rappelle, « ce sont des pasteurs Toubous, les derniers pasteurs noirs du Sahara, une population fabuleuse avec une sociologie particulière, centrée sur son cheptel. Nous gérons la réserve avec eux par le biais de la santé de leurs animaux. Ainsi, nous encadrons la vaccination du cheptel. Nous veillons également au respect des capacités de charge des pâturages, ce qui est vital dans un écosystème désertique. Finalement, nous arrivons à d’excellents résultats. Nous préservons les intérêts des Toubous (centrés sur leur cheptel), tout comme ceux de la faune sauvage de la réserve ».
One Health : circonscrire le biorisque au quotidien
Selon Étienne, la question des risques posés par la cohabitation entre humains et animaux n’est pas nouvelle. Elle se pose avec une acuité particulière chez les Peuls, par exemple, qui vivent en contact étroit avec leur cheptel. Il rappelle par conséquent l’importance de la vaccination, qui a permis l’élimination de la rage sous nos latitudes. Étienne en profite pour saluer « la force de la science qui, à l’heure actuelle, s’est montrée capable de développer rapidement des solutions technologiques, médicamenteuses et vaccinales face à ces maladies émergentes ».
Étienne souligne aussi que, dans une logique coopérative de type One Health, les propriétaires d’animaux domestiques se doivent de signaler tout comportement anormal chez leurs bêtes. Il en est de même pour les chasseurs qui doivent redoubler de prudence dans leurs contacts avec la faune sauvage. Il rappelle que « l’épidémie du VIH sida est sans doute née comme ça, suite à l’oubli des règles sanitaires de base dans la préparation du gibier ».
Principales mesures de biosécurité
Vis-à-vis des animaux de compagnie | – Rincer l’animal à l’eau claire après chaque baignade – Désinfecter ses plaies – Lui laver régulièrement les dents – Nettoyer ses yeux et ses oreilles – Nettoyer régulièrement son coussin et sa gamelle – Inspecter son pelage après chaque balade, pour repérer les tiques éventuelles |
Vis-à-vis des animaux d’élevage | – Empêcher tout contact avec la faune sauvage pour éviter la transmission de maladies – Suivre et auditer les élevages en permanence – Améliorer l’hygiène dans les abattoirs (mettre en place des ateliers de découpe mitoyens, notamment) |
Vis-à-vis du gibier | – Laver régulièrement ses vêtements de chasse – Laver son véhicule (intérieur & extérieur) – Porter des gants pour manipuler la venaison – Se tenir loin des élevages pendant au moins 48 heures après la chasse – Donner l’alerte en cas de mortalité anormale du gibier |
Des choix politiques et collectifs
Manuelle rappelle toutefois que les individus ne portent pas l’entière responsabilité de la dégradation des écosystèmes. Ainsi, la déforestation et le bétonnage, conséquences de certaines décisions politiques collectives, ont des impacts sanitaires insoupçonnés sur les populations environnantes. Elle prend l’exemple de la production de soja brésilien qui contribue à la déforestation en Amazonie. Ce soja est destiné à nourrir les élevages industriels européens et nord-américains. On voit ainsi la façon dont un choix politique délibéré de développement de filières agricoles produit des effets néfastes au niveau global. « Car un écosystème, c’est un équilibre complexe. Le battement d’ailes d’un papillon peut avoir des conséquences cataclysmiques à l’autre bout de la terre », conclut-elle.
Cet article a 2 commentaires
Merci pour cette interview croisée instructive sur un concept d’une seule santé qui devrait guider toutes nos réflexions et actions.
Merci pour ce commentaire. Les interviewés appellent en effet à élargir nos conceptions par trop anthropocentrées !