A l’occasion de la nouvelle année chinoise, retour sur une robe emblématique par excellence : la Qipao. Avec son col scindé, ou col Mao, ses “boutons grenouille” et sa forme tantôt ample, tantôt cintrée, elle a traversé les époques tout en conservant sa flamme originelle. Alors, quelle histoire se cache derrière cette robe symbolique ?
La Qipao, des origines discutées
L’origine de la Qipao est incertaine. Certains historiens établissent son apparition durant la dynastie des Zhou de l’Ouest, il y a plus de trois mille ans. Les femmes étaient vêtues d’une robe cylindrique avec manches, similaire à la Qipao contemporaine. Sa coupe aurait ensuite été influencée par les robes mongoles. D’autres considèrent qu’elle serait apparue lorsque les Mandchous envahirent la Chine, alors sous la dynastie Ming. Ils prirent Pékin en 1644 et fondèrent une nouvelle et ultime dynastie impériale: les Qing (1644-1912). Une robe Mandchoue portée par les femmes de la cour correspondrait formellement à l’ancêtre de la Qipao.
Les Mandchous étaient appelés, durant la dynastie Qing, les qiren (旗人), « gens des bannières » en référence aux divisions administratives héréditaires auxquelles chacun appartenait. C’est de cette désignation que découle l’actuelle dénomination « Qipao ». En deux phonèmes, Qi, “le système social” et Pao, “un habit comportant une seule pièce”.
Le XXème siècle, témoignage d’une métamorphose
Le début du XXème siècle marque un tournant considérable pour l’avenir de la Qipao. En 1912, la dynastie Qing est renversée par la révolution chinoise démarrée un an plus tôt. Suite aux espoirs engendrés par la proclamation de la République, finalement déçus, l’intelligentsia chinoise réclame une évolution culturelle moderniste du pays, fondée notamment sur le modèle occidental, en opposition avec le Confucianisme.
Une émancipation sociale et vestimentaire
Tania Angeloff dans son article « Le féminisme en République populaire de Chine : entre ruptures et continuités » dans le volume 209 de la Revue Tiers Monde, paru en 2012, évoque cette transition.
” Le Mouvement du 4 mai 1919 constitue un second temps important dans la prise de conscience féministe. (…) Le thème de l’instruction des femmes et de sa généralisation est remis à l’ordre du jour. Dans les grands centres urbains, les femmes issues de la génération du 4 mai défendent elles aussi le droit à l’éducation. (…) Elles s’y impliquent désormais en devenant institutrices et en formant les élites de la Chine moderne. Comparée à la décennie antérieure, la nouveauté du 4 mai tient, pour ces femmes instruites, dans l’évolution des mœurs : meilleure instruction, relative indépendance économique par le travail, amour et mariage plus libres. “
Tania ANGELOFF – “Le féminisme en République populaire de Chine: entre ruptures et continuités” – Revue Tiers Monde
A Shanghai, cette émancipation sociale s’accompagne d’une révolution vestimentaire. Dans la continuité de ces revendications, les femmes réinvestissent massivement la Qipao. Portée sur un pantalon dans les années 1920, la robe subit peu à peu de nombreuses modifications. Ample à l’origine, destinée à camoufler le corps, elle est resserrée à la taille et épouse désormais davantage les formes. Elle est également légèrement raccourcie. Les bas remplacent progressivement les pantalons. La Qipao, sous le nom de Cheongsam, est reconnue par le gouvernement chinois comme un habit national en 1929.
Mais c’est au cours des décennies 1930 et 1940 que la Qipao telle qu’on la connaît aujourd’hui atteint son apogée. La robe est raccourcie jusqu’aux genoux et les fentes latérales font leur apparition. Les bas disparaissent eux aussi et la Qipao se porte désormais jambes nues.
Montée du communisme et Révolution Culturelle, un arrêt brutal du port de la Qipao
La montée du communisme puis la Révolution Culturelle (1966-1976) marquent un arrêt brutal pour la popularité de la robe. La Qipao est bannie, jugée outrancière et provocante par le gouvernement chinois.
Puis, dans les années 80, la jeune génération abandonne la Qipao, devenue symbole d’un archaïsme.
La réinvestiture de la Qipao
A la fin du XXème siècle et au début du XXIème, la Qipao trouve une nouvelle popularité à travers la culture du spectacle, par le cinéma notamment. Dans le film In the Mood For Love de Wong Kar-wai, célèbre outre-Pacifique et en Europe, l’actrice Maggie Cheung arbore une trentaine de Qipao majestueuses.
A l’écran comme à la ville, deux genres de robes se distinguent en particulier : la Qipao de style shanghaïen et la Qipao de style pékinois. Le premier met en avant la sensualité et l’élégance à travers des robes près du corps, comme celles portées par Maggie Cheung. Le second met en lumière la délicatesse et la grâce avec des robes légèrement plus amples et plus longues.
Contrairement aux années 1920, la Qipao n’est plus portée comme une tenue quotidienne mais demeure massivement choisie pour des occasions singulières. Les robes les plus chics, en soie et brodées, principalement faites sur mesure et à la main, sont arborées au cours de cérémonies officielles : mariages, événements politiques ou sportifs. La Qipao apparaît aussi dans certains uniformes scolaires chinois et uniformes de compagnies aériennes. Héritage d’une tradition, elle est choisie par certaines pour les fêtes, comme le Nouvel An chinois.
A l’étranger aussi, la Qipao séduit. La Haute Couture s’est emparée des courbes et plis somptueux de cette robe aux mille visages, citée par Pierre Cardin comme inspiration pour ses robes de soirée.
Héritage d’un passé impérial, la Qipao continue d’éblouir par la beauté de sa facture. Tissus brodés, boutons chinois faits mains, soie précieuse ou coton, autant de caractéristiques renforçant sa stature qui lui ont permis d’investir les tapis rouges autant que le prêt-à-porter.
L’histoire d’une conquête des cœurs entre tradition et modernité.
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