À quand remonte la dernière fois que vous avez lu un roman sentimental ? Était-ce hier, il y a quelques mois, quelques années ? Vous en avez peut-être ressenti un grand plaisir, en même temps qu’une certaine gêne, tout en vous adonnant à votre genre littéraire favori ! Introduite en France en 1978 par Harlequin, la littérature sentimentale (ou romance) est pourtant un genre littéraire rassemblant de nombreux fans à travers le monde.
Pour nous en parler, nous avons rencontré Marianne Zankel, Directrice Marketing Harlequin (HarperCollins France). Cette dernière souligne la capacité de la romance à se renouveler sans cesse, avec de nouvelles autrices, de nouveaux thèmes… Aux origines de la romance, on trouve Mary Bonnycastle, la femme d’un éditeur canadien. La première, elle a l’idée de proposer des romans qui parleraient aux femmes, donnant ainsi naissance à la fameuse maison d’édition Harlequin dès 1949. Cependant, c’est à partir du moment où Harlequin rachète en 1971 Mills & Boon, éditeur anglais spécialiste de la romance, qu’elle devient la championne de ce genre littéraire, partout dans le monde.
Les ingrédients du succès de la littérature sentimentale
Selon Marianne Zankel, « Harlequin propose des récits très intenses ». Les livres mettent systématiquement en scène un couple en butte à une situation impossible qu’il lui faudra surmonter. Les histoires, émaillées de nombreux rebondissements, sont généralement menées à un train d’enfer. Comme l’explique Marianne, « les lectrices vont vivre les mêmes aventures et ressentir les mêmes émotions que leurs héroïnes ».
Bien entendu, dans la romance, l’histoire d’amour occupe le cœur de l’intrigue. Marianne poursuit : « En outre, les héros doivent résoudre un conflit difficile. Néanmoins, cela se termine invariablement bien. Le happy end est une règle sacrée en littérature sentimentale ! »
Certains personnages sont également emblématiques de la romance : patrons d’industrie, médecins ou encore princes d’Orient. Ces derniers tombent généralement amoureux d’une héroïne de condition plus modeste. Tandis que les personnages masculins relèvent du fantasme pur, les personnages féminins sont plus réalistes, favorisant ainsi l’identification avec la lectrice.
Romance et érotisme
Par ailleurs, la littérature sentimentale n’exclut pas les scènes de sexe, même si cela varie d’une collection à l’autre. Marianne nous explique ainsi que « la collection ‘Azur’, plus importante collection d’Harlequin, est spécialisée dans les univers fantasmatiques : exotisme, milieu privilégié, scènes de sexe torrides. En ouvrant leur livre, les lectrices se retrouvent au contact d’un univers très éloigné de leur quotidien, beaucoup plus intense ». À l’opposé, la collection ‘Blanche’, consacrée à l’univers médical, met en scène des familles, recomposées pour la plupart. Cette collection se caractérise par un univers plus doux, plus romantique et moins fantasmatique.
Marianne poursuit : « Nous avions autrefois une collection très sexe : ‘Audace’. Dans ce type d’histoires, la scène torride faisait partie des promesses de lecture. Nous avons depuis arrêté cette collection car elle ne correspondait plus aux attentes de nos lectrices. Ces dernières, si elles sont loin d’être prudes, souhaitent néanmoins que le sexe représente l’aboutissement naturel d’une histoire d’amour ».
Romance : une littérature de divertissement
Certes, il y aura toujours ceux qui critiqueront les livres de littérature sentimentale, en les moquant : « romans de gare » ou encore « littérature à l’eau de rose », disent-ils. À ces esprits chagrins, Marianne répond : « Nous sommes dans une littérature de divertissement. Nos lectrices veulent être plongées dans une histoire qui va les captiver, qui se lit assez vite et facilement ».
En outre, Marianne constate que la romance permet à certaines jeunes femmes de s’initier à la lecture et de découvrir ce qui pour elles deviendra peut-être leur plus grand plaisir. Il est ainsi prouvé que les consommatrices de romance lisent énormément, et de tout. « En cela, fait remarquer Marianne, la littérature sentimentale offre un débouché idéal à ces lectrices compulsives, avec des romans brefs, vendus à prix modiques et avec de nombreuses sorties tous les mois ».
Ces dernières années, la romance est revenue sous le feu des projecteurs avec Fifty Shades of Grey (E.L. James). Marianne se félicite de l’effet de traction que ce succès de librairie a représenté pour l’ensemble du secteur. Vendue à plus de 125 millions d’exemplaires dans le monde, adaptée au cinéma, la trilogie des Fifty Shades a redonné ses lettres de noblesse à la romance. D’abord vendue au rayon ‘littérature générale’, la trilogie a finalement amené à la romance de nombreuses nouvelles lectrices. « Car il s’agit finalement de romance au sens le plus traditionnel du terme, y compris dans les scènes de sado-masochisme sur lesquelles le marketing a très bien joué. Cela a permis de renouveler et de rajeunir notre lectorat ».
Les dernières tendances de la romance
Le New Adult
Nouvelle preuve que la romance peut facilement être adaptée au grand ou au petit écran, After (Anna Todd) a lancé un nouveau genre : le ‘New Adult’. Ses héros, plus jeunes, appartiennent à un univers urbain. L’éventail des métiers exercés par les héros s’est ouvert aux chanteurs de rock et autres sportifs. Il est en effet important de pouvoir continuer de faire rêver l’héroïne (et les lectrices).
Le rapport de domination qui pouvait sous-tendre la relation entre le héros et l’héroïne dans les histoires du passé, n’est ici plus de mise. Le rapport a même fini par s’inverser au profit de cette dernière. En revanche, l’évasion et le fantasme sont toujours là, car sinon « cela ne fonctionnerait pas », nous dit Marianne.
La romance historique
Sur le modèle de Bridgerton, la série à succès de Netflix, on assiste à un renouveau de la romance historique. En effet, la série TV lui a donné un nouveau souffle. De la même façon, chez Harlequin, la collection ‘Victoria’ met en scène des héroïnes indomptables en les replaçant dans des circonstances historiques. Marianne fait ainsi remarquer que Bridgerton et les livres de la collection ‘Victoria’ fonctionnent selon le même principe. « Dans les deux cas, on trouve souvent des héroïnes qui veulent s’affranchir de leur milieu. Par exemple, nous avons récemment publié une romance écrite par la duchesse d’York Sarah Ferguson : À la conquête de sa liberté. Son livre fonctionne sur le principe même de la romance historique. ».
Romance et numérique
La romance est un type de littérature qui se prête assez bien au format des ebooks. Ces derniers représentent 25% du chiffre d’affaires d’Harlequin, et cela depuis des années. Selon Marianne, « cela permet à certaines lectrices, n’assumant pas toujours leurs goûts littéraires, de garder une certaine discrétion. De plus, quand on est une lectrice avide, il est difficile de stocker tous ses livres. Enfin, les ebooks sont un peu moins chers ».
Par ailleurs, l’interactivité permise par le numérique a pris une place importante pour la communauté des lectrices. Elles apprécient ainsi de pouvoir partager leurs coups de cœur sur les réseaux sociaux. Comme Marianne l’explique, « il existe une importante communauté de blogueuses/influenceuses qui nous suivent, notamment par le biais d’un groupe que nous avons créé : la ‘Love Society’. Quand nous désirons moderniser la charte graphique d’une autrice, par exemple, nous leur soumettons plusieurs projets de couvertures et sollicitons leurs avis ».
Les autrices de langue française enfin mises à l’honneur
Née chez les Anglo-saxons, la romance est d’abord introduite en France par le biais de traductions. Ce n’est qu’en 2013 que naît la romance de langue française. Marianne s’en souvient encore : « Nous avions décidé de lancer un concours d’écriture, en promettant de publier la lauréate dans la collection Harlequin ‘HQN’. Le concept de cette collection repose sur le numérique et la publication d’autrices de langue française exclusivement. C’est ainsi que nous avons découvert Emily Blaine. Depuis que nous l’avons publiée, elle a connu un succès incroyable avec plus de 700.000 romans vendus ! »
L’importance du lien entre autrices et lectrices
Certes, les codes de la romance proviennent de la culture anglo-saxonne. Les autrices francophones, elles-mêmes des lectrices de romance au départ, ont nécessairement été influencées par toutes les autrices qu’elles ont pu lire : Danielle Steel, Sylvia Day, Jackie Collins, etc. Certaines situent même leurs intrigues aux États-Unis, par souci d’exotisme. Cependant, d’autres autrices de langue française hésitent de moins en moins à afficher leurs couleurs. Par exemple, Emily Blaine écrit aussi des histoires françaises. Elle-même bretonne, elle a par exemple publié La Crêperie des petits miracles, située… à Saint-Malo !
De plus, avec les autrices françaises, les lectrices parviennent plus facilement à nouer un lien de proximité fort. Selon Marianne, « quand Emily Blaine participe au salon du livre, la file de lectrices qui se déplacent pour la voir est tout à fait impressionnante ! Ce sont des personnes de tous les âges, qui viennent très nombreuses pour rencontrer leur autrice favorite ! » Cette proximité est d’ailleurs cultivée par Emily qui met en avant son côté de « femme normale ». Mère de famille, elle a souhaité continuer de travailler à la SNCF en tant que formatrice, malgré son succès !