À la sortie du métro Denfert-Rochereau, près du Lion de Belfort, vous pouvez visiter les Catacombes, certes. Mais, en faisant preuve d’un peu de curiosité, vous découvrirez le Musée de la Libération de Paris – musée du Général Leclerc – musée Jean-Moulin qui se trouve juste en face. Nous y avons rencontré Sylvie Zaidman, qui en est la directrice. Elle a évoqué pour nous ‘Femmes photographes de guerre’, exposition montrant l’extraordinaire destin de ces femmes reporters de l’extrême !
Article rédigé par : ZIEL Jérôme
Historienne, conservatrice générale, directrice du Musée de la Libération de Paris – musée du général Leclerc – musée Jean Moulin (ML), Sylvie Zaidman nous ouvre les portes de l’exposition Femmes photographes de guerre. Couvrant une période de 75 ans depuis la Deuxième Guerre mondiale jusqu’à la guerre menée par les États-Unis en Irak, cette exposition donne à réfléchir. Elle aide le spectateur à comprendre les conflits du temps présent, comme la guerre en Ukraine, à l’aune de ceux du passé. Dans la première partie de son interview, elle évoque pour nous les pionnières : Gerda Taro et Lee Miller.
Musée de la Libération de Paris – musée du Général Leclerc – musée Jean Moulin
Comme Sylvie le reconnaît, « le nom complet du ML est très long, ceci pour des raisons historiques. Il est né à la fois d’un legs sur Jean Moulin, regroupant des témoignages sur ce dernier ; d’une donation de la Fondation Maréchal Leclerc de Hauteclocque, composée de documents et autres objets concernant le Maréchal et la deuxième Division Blindée qu’il a dirigée lors de la Libération de Paris ; et enfin de la volonté de la Ville de Paris de se doter d’un musée dédié à sa libération. Le ML est donc centré sur ce thème, à travers les parcours du général Leclerc et de Jean Moulin ». Il donne notamment accès, à 25 mètres sous terre, au poste de commandement des Forces Françaises de l’Intérieur pendant toute la semaine qu’aura duré la Libération de Paris.
Avec Paris Musées, organisme gérant quatorze des dix-sept musées de la ville de Paris, parmi lesquels les Catacombes, la Maison de Balzac, le musée de la Vie romantique, le palais Galliera, le Petit Palais, etc., Sylvie veut offrir à son public des exposition variées. En allant des plus historiques aux plus artistiques, sans oublier celles abordant des thèmes plus contemporains. Comme elle nous l’explique : « Ce qui est important pour nous, c’est le public ! Nous voulons lui offrir la possibilité de réfléchir aux évènements qui marquent le monde d’aujourd’hui, grâce à l’histoire ».
Écoutons Sylvie nous raconter comment huit femmes photographes ont consacré leur existence à témoigner des conflits armés ayant ensanglanté notre monde depuis 1936. De ces conflits d’une violence souvent extrême, personne ne ressort indemne. Ni les populations civiles, ni les soldats, ni même les visiteurs qui viennent découvrir cette magnifique exposition !
Gerda Taro : en première ligne, aux côtés de l’armée du peuple
De son vrai nom Gerta Pohorylle, Gerda Taro est née en Allemagne en 1910 au sein d’une famille juive. Très jeune, elle devient une sympathisante communiste. Son profil en fait donc une victime toute désignée du nazisme dans l’Allemagne des années 30. Elle quitte alors son pays pour se rendre à Paris où elle rencontre un autre exilé qui lui, est hongrois : Endre Friedmann.
Tous deux vont se forger des personnalités d’emprunt, en devenant respectivement Gerda Taro et Robert Capa. Dotés de ces nouvelles personnalités, ils cherchent à placer leurs reportages auprès d’agences de presse. En 1936, ils partent en Espagne pour faire des photographies de la guerre civile qui vient d’éclater. Cette guerre, très dure, fait de nombreuses victimes parmi la population.
Gerda Taro porte un intérêt tout particulier aux femmes combattantes au sein de l’armée du peuple. C’est vraiment une nouveauté dans cette Espagne républicaine que de voir des femmes prendre les armes aux côtés des hommes. Par ailleurs, Gerda cherche à montrer l’armée républicaine en mouvement (soldats montant à l’assaut en courant). Elle montre également les réfugiés ou encore des cadavres à la morgue. En effet, ce conflit est marqué par de nombreux bombardements, entraînant de nombreuses victimes civiles.
Si on s’intéresse à la personnalité de la jeune photographe, on se rend compte qu’on ne la connaît que par les autres. « Elle était si jeune quand elle est morte ,» nous rappelle Sylvie. Ceux qui l’ont côtoyée soulignent son charme. Elle semblait rayonner et attirer les regards. Elle tenait à être impliquée au plus près des événements, quitte à se retrouver en première ligne. Cela finit d’ailleurs par lui coûter la vie, puisqu’elle est morte sur le front en 1937, écrasée par un char.
Comment distinguer les photos de Gerda Taro de celles de Robert Capa ?
Gerda Taro a fait des photographies sous son nom. Malheureusement, elles ont par la suite été mélangées avec celles de Robert Capa. Décédée très jeune, elle n’a pas eu l’occasion de défendre la postérité de ses propres photos. Comme Sylvie l’explique, « dans l’exposition, nous montrons un certain nombre de journaux d’époque. On s’aperçoit alors que les photos publiées ne sont pas individualisées. Elles sont simplement créditées ‘Capa & Taro’. On a donc eu du mal à retrouver les photos réellement prises par Gerda. Aujourd’hui, des chercheurs ont travaillé sur ces photos pour les attribuer chacune à leur auteur».
Les photos de Gerda et de Robert sont très proches, stylistiquement. Selon Sylvie, « il faut bien comprendre que lorsque des photographes de guerre vont sur le terrain, ils sont là en tant que professionnels cherchant à prendre un type particulier de photos. Il est donc normal que les prises de vue se ressemblent. Cependant, Gerda et Robert n’étaient pas tout le temps ensemble. On a pu en déduire l’attribution de certaines photos à Gerda, ou à Robert, en fonction du lieu où chacun se trouvait à un moment donné ».
Lee Miller : une fashionista au combat !
Lee Miller est une photographe américaine, passée à la postérité pour s’être fait photographier dans la baignoire d’Hitler. Elle a commencé en tant que mannequin puis elle s’est mise à la photo. Elle est ensuite venue en France où elle a fait la rencontre de Man Ray. Ce dernier l’a mise en contact avec les surréalistes. Elle a donc appris la photo dans un contexte artistique (jeux de lumière, dérision, prises de vue s’apparentant à des jeux de mots). Elle va toujours entretenir une certaine dérision par rapport aux sujets qu’elle photographie.
C’est le cas par exemple des images qu’elle fait après le débarquement. En effet, elle est l’une des rares femmes accréditées pour suivre l’armée américaine en Europe. Pourtant, elle travaille à l’époque pour un magazine de mode US du nom de Vogue. Elle prend donc des photos de guerre à l’attention d’un lectorat féminin intéressé par des thématiques légères, avec tout ce que cela implique de complexité. Pourtant, les deux univers de la mode et de la guerre n’ont rien à voir l’un avec l’autre, a priori.
Tout en suivant l’armée américaine, elle laisse une documentation importante sous la forme de notes personnelles. Quand elle photographie des femmes tondues à Rennes, on comprend qu’elle n’éprouve aucune empathie pour ces dernières. Outre le fait d’avoir entretenu des liaisons avec des Allemands, nombre d’entre elles ont dénoncé des résistants ou fait du marché noir. Comme le rappelle Sylvie, « la tonte, vengeance très genrée, livre ces femmes à la vindicte populaire. Il s’agissait d’une forme de lynchage, d’un procédé sauvage, en dehors de toute justice traditionnelle. Et cela se ressent dans les photos de Lee Miller, malgré le mépris qu’elle éprouvait pour ces femmes ».
Lee Miller ne se remettra pas de ce qu’elle a vu
Lee Miller passe par Paris, puis se rend avec l’armée américaine en Allemagne. Elle va couvrir la libération de certains camps de concentration. Cela a représenté pour elle un moment particulier. Elle a donc eu l’occasion de prendre des photos aussi dures que réalistes. Elle a ainsi affirmé l’esthétique de son style, à mi-chemin entre photo de mode et reportage de guerre. Elle a ainsi photographié les jambes d’un déporté dont on aperçoit le costume rayé, et les chaussures / chaussettes qu’il a fabriquées avec les bouts de matériaux glanés çà et là. Elle note alors cette phrase dans son carnet : ‘Les pyjamas rayés ne seront plus jamais à la mode’. Il s’agit pour elle de créer une distance, tout comme son cliché d’elle-même dans la baignoire d’Hitler.
Une fois qu’elle retrouve la vie civile, Lee Miller aura du mal à se réajuster. Elle épouse Roland Penrose, peintre, photographe et poète britannique, l’un des introducteurs du surréalisme en Angleterre. Malgré cela, elle sombre dans la boisson. Son fils découvre son passé de photographe de guerre à sa mort seulement, quand il range la maison de Lee Miller…