En ce moment, et jusqu’au 31 décembre 2022, un week-end à Verdun s’impose pour aller ailleurs et découvrir la France. Verdun s’impose bien sûr pour être la place de la mémoire de la guerre. Verdun s’impose comme une expérience à vivre. En ces temps où les portes de l’Europe s’enflamment comme si de rien n’était, l’exposition Art / Enfer nous présente quelques œuvres de ceux qui ont vécu la guerre en peignant.
La peinture en temps de guerre
Cette exposition s’intègre parfaitement dans la continuité du musée mémorial. Elle raconte le quotidien du front, et elle y révèle une part d’intimité qui rend encore plus humains ceux qui ont vécu, ou ceux qui sont morts de la Grande guerre. L’intimité des artistes qui peignent parce que le temps passe, parce qu’il faut attendre l’attaque, ou parce qu’il faut bien continuer de vivre.
Le premier espace de la visite présente la délicatesse d’amateurs qui ont anobli leur quotidien, dessiner quelques feuilles ou taillé des figurines. Dans la patience de l’attente. Embellissant les instants qui précèdent peut-être leur mort. Pour la tromper. Pour vivre, au moins maintenant.
L’espace suivant présente ces artistes connus qui ont produit pendant le front, pendant les obus, pendant le bruit, ou pendant une permission. Envahis du bruit du chaos, envahis de l’odeur de la boue, ils laissaient des traits soigneux, doux et calmes. D’un calme tendu. D’une tension graphique forte. D’une patience méthodique qui prépare son arme et son cœur pour l’assaut, sans y penser. Du côté français comme allemand, la tension s’exprime au travers une correspondance maintenue, une vie continuée. Peindre, écrire, composer… continuer quand même. La mort frappe au hasard, et en l’attendant il reste la vie.
Le dernier espace montre les œuvres des peintres qui sont venus témoigner, raconter. Un peu autocensurés qu’ils étaient. Un peu idéologiques qu’ils se voulaient. Pour soutenir ceux du front, pour que l’esthétique de la mort ne gagne pas sur les raisons d’aller au casse-pipe.
Et l’expo se terminera sur une terrasse ensoleillée, au sommet du mémorial. Face à une forêt qui renaît du champ de bataille. Ciblant le fort et le cimetière. Les arbres recouvrant le souvenir que nous retrouverons au cours d’une promenade sur les traces des poilus.
Comprendre, vivre. Quelque part entre les ondes telluriques, revivre. Non comme un souvenir imaginaire, mais comme une réalité très humaine. Si grand dans l’art, si fort dans la destruction. Immense dans l’histoire, misérable au quotidien.
Comprendre la guerre, confiné dehors
Le Mémorial de Verdun n’est pas qu’un musée. C’est l’œuvre de la guerre par ceux qui l’ont vécu. Ils ont pataugé dans la boue avec les pieds marqués pendant des journées. Il ne fallait pas que l’ennemi envahisse. Et qui était cet ennemi ? Pourquoi était-il là ? Pourquoi devions-nous être là ? Aucune réponse n’est donnée. C’était soit ça, soit le pire. On redoutait plus infernal que ce qui a eu lieu. On était prêt à perdre la vie pour ne pas avoir à vivre sous d’autres drapeaux. On voyait la vie partir, les copains mourraient, mais il fallait faire la guerre. L’expression « coûte que coûte » avait alors un sens pour tous.
La guerre n’est pas un trou noir où nous pouvons déverser toutes les poubelles de notre âme. Ce n’est pas le mal absolu qui se répète de seconde en seconde comme un carcan qui ne cesserait de resserrer son atroce étreinte. La guerre ce n’est pas grand-chose de plus que la paix. Nous la frôlons tous les jours ; j’en suis certaine. Nous la manquons souvent, par mauvaise habitude, par manque d’orgueil, par fainéantise. La guerre n’est pas sur un écran de cinéma, comme le combat n’est pas dans une salle de gym. S’il y a de la beauté, ce n’est pas dans une quelconque justice, mais uniquement dans la tragique vérité. Nous mourrons tous un jour ; nous mourrons tous, tous les jours.
La guerre c’est regarder la pluie rendre le sol boueux. C’est regarder les obus déchirer ce sol et l’éclater en brèches d’acier, pour n’y laisser qu’une glaise collante. C’est ne plus se plaindre du froid. Se plaindre à qui ? C’est manger des biscuits secs avec de l’eau croupie. C’est faire les corvées sans les interroger. Refuser de mourir, même blesser. 60 millions d’obus sur 200 km2. Il pleut. A chaque explosion on continue d’attendre ou de courir. On est toujours là. Plutôt immobile. Parfois lisant une lettre de la marraine ou peignant doucement. Le temps passe. Sans projet, sans calendrier. On compte la fin des dix jours pour revenir comme un cadavre sur pieds. On est enfermé dans un moment de vie trouble. On est confiné quelque part dehors.
Visitez Verdun un week-end, au moins.
En sortant l’on remarquera l’œuvre de l’artiste Olivier Nattes. Une reproduction d’un intérieur de bunker sous les bombes. Peinte à la graine de chia. La reproduction compte moins que le symbole d’une vie indépendante des volontés humaines, qui s’installe le temps d’un souvenir peint. Qui s’envolera, tombera ou sera picorée au fil des jours. Et qui finalement sera récupérée pour être plantée. L’œuvre est la victoire de la nature malgré les contraintes de l’homme. C’est aussi l’acte sacrant de l’artiste, comme l’on bénissait les récoltes. C’est le temps qui efface pour produire autre chose, au hasard de la nature, au hasard du monde.
La Grande guerre se trouve remise en perspective du désintérêt de cette nature qui n’a pas d’histoire, qui travaille à survivre, sans se soucier de ce qu’elle perd, ne pensant qu’à toujours gagner à la fin, au moins un peu. C’est ça qui fait l’homme, l’humanité : c’est l’histoire. La conscience que ce qui passe prend un sens, que nous devons donner un sens à ce qui a eu lieu. Sans quoi nous ne serons qu’une graine dévorée par un oiseau, oubliée par le vent, ou perdu entre deux cailloux.
Par Bénédicte, férule d’histoire