Dans un monde de plus en plus préoccupé par les inégalités de richesse entre les pays du Nord et les pays du Sud, Ô Magazine vous propose de revenir sur le concept de « commerce équitable » et d’en expliquer le fonctionnement. Avec l’aide d’Annelise B., responsable de « L’Escale », magasin de commerce équitable à Wissembourg dans la région Grand-Est, nous allons aborder ce thème et les enjeux qui en découlent.
Ô Magazine: Bonjour, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Annelise B.: Je m’appelle Annelise, je vais avoir 64 ans. Je suis embauchée à l’Escale à mi-temps depuis l’année 2003 par une association qui s’appelle l’association « Rencontre ». De formation, j’étais secrétaire et je suis restée à la maison pour élever mes trois enfants. Après, j’ai été un peu dépassée par le numérique et je travaillais comme vendeuse en Allemagne. C’est ce qui m’a servi de formation pour tenir ce magasin. Durant ces vingt années, il y a eu entre 20 et 30 bénévoles. Moi, je suis ici le matin : je passe les commandes et je m’occupe de toute la gestion. Et l’après-midi, il y a des bénévoles qui viennent une fois par mois. Ça a bougé avec le temps, mais on était déjà une soixantaine de personnes à un moment.
ÔM: Pouvez-vous présenter plus en détail votre magasin ?
A.B.: Dès le début, nous nous sommes engagés à ne vendre que des produits issus du commerce équitable. Nous avons donc travaillé longtemps avec notre fournisseur principal Artisanat SEL français (Service d’Entraide et de Liaison). Malheureusement, ils ont fermé leurs portes il y a trois-quatre ans. Mais le directeur d’Artisanat SEL a pu trouver un contrat avec El Puente, qui signifie « le pont ». C’est un fournisseur en commerce équitable allemand et on travaille essentiellement avec lui. Il y a aussi un autre fournisseur qui fait la centrale d’achat d’Artisans du monde. Cette centrale d’achat s’appelle Solidar’Monde et nous achetons chez eux pour tout ce qui est alimentaire.
ÔM: Pouvez-vous nous éclairer sur ce que représente le commerce équitable ?
A.B.: Equitable signifie juste. Au départ, ces artisans sont mieux rémunérés avec des garanties sur le long terme et des avances pour démarrer le travail. Le commerce équitable garantit aussi qu’il n’y a aucun enfant qui deviennent esclaves du travail. Par contre, les enfants, il faut toujours le préciser, aident après l’école. Ces dernières années, quand on a entendu parler de toutes ces personnes qui se sont noyées en Méditerranée, j’ai toujours dit (Pause), c’est justement le commerce équitable qui travaille pour que ces personnes puissent rester dans leur pays et puissent vivre de leur travail. Après, il y a eu beaucoup de magasins qui se sont posés la question : « on les aide là-bas pour qu’ils puissent continuer à travailler, mais ici aussi on doit travailler ». Donc la balance était dans le sens nord-sud puis à un moment donné, elle était de nouveau dans le nord-nord.
Ces dernières années, quand on a entendu parler de toutes ces personnes qui se sont noyées en Méditerranée, j’ai toujours dit (Pause), c’est justement le commerce équitable qui travaille pour que ces personnes puissent rester dans leur pays et puissent vivre de leur travail.
Après, c’était aussi une vague des années 70. Toutes ces personnes qui se sont lancées à ce moment-là sont, quarante ans après, à l’âge de la retraite. Il manque les ressources humaines pour ces magasins. Ce n’est pas trop mirobolant et avec la crise sanitaire, beaucoup de choses se sont écroulées. Nous, nous fermerons parce que nous avons choisi d’arrêter de porter ceci en tant qu’association. Et aussi parce que nous avons vu qu’il y a des jeunes qui veulent reprendre (ndlr : le local), en faire un café associatif. Ils réfléchissent encore pour savoir s’ils vont garder un petit coin pour ça. On nous dit tout le temps « Qu’est-ce qu’il est beau votre magasin ! », mais il faut quand même dire que presque la moitié, au moins 40% de notre clientèle, est allemande (ndlr : Wissembourg se trouve en Alsace, à la frontière avec l’Allemagne).
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ÔM: Quelles ont été vos motivations et vos objectifs ?
A. B.: J’étais membre de l’association dès les débuts et j’ai toujours voulu aider les plus pauvres. Durant 20 ans, nous avons nous-mêmes confectionné des objets en bois, des bougies, etc. On les vendait ensuite pour soutenir un hôpital à Vanga en République démocratique du Congo. Donc, l’idée d’aider un peu les plus pauvres à se relever, elle était là dès ma tendre enfance. Il faut dire que j’ai un oncle qui a passé 35 ans de sa vie en Afrique. Ça joue (Rires). Nous avions toujours eu la certitude que nous vivons bien ici et que nous ne devions pas oublier ceux qui vivent moins bien.
ÔM: Que ferez-vous quand le magasin fermera ?
A. B.: Je viendrais comme bénévole dans le café associatif ça c’est sûr ! (Rires) Je suis aussi engagée dans ma paroisse protestante où on fait beaucoup d’actions pour les plus pauvres. Mais nous sommes aussi une association avec l’ensemble des fondateurs. Nous étions des jeunes chrétiens catholiques, protestants, évangéliques, tout ce que vous voulez. Nous avons eu cette certitude qu’il ne faut pas seulement être chrétien, prier, chanter et aller aux cultes ou aux messes ; mais aussi aider pratiquement, concrètement. Le moteur, au départ, c’est notre foi.
ÔM: Comment vos produits arrivent-ils en magasin? Pouvez-vous nous décrire brièvement le chemin qu’aura parcouru un de vos produits ?
A. B.: Les produits sont commandés par des commanditaires qui vont dans les pays et qui choisissent ce qu’ils veulent comme objets. Après, c’est fabriqué, envoyé de ces pays dans la centrale d’achat. Et nous, nous avons un catalogue, nous commandons et ça arrive par transporteur ici. Les produits viennent principalement d’Asie : Inde, Indonésie, Bangladesh, Vietnam. Ensuite, il y a les pays africains : le Maroc, un peu l’Afrique noire et l’Amérique du Sud avec le Pérou, la Colombie, le Guatemala.
ÔM: Etes-vous déjà allée dans l’un de ces pays ?
A. B.: Pas dans le cadre du commerce équitable. Mais j’étais en Afrique au Burkina Faso. J’y ai vu, en pleine brousse, des Africains sécher des mangues. Elles sont ensuite arrivées en Bretagne par l’intermédiaire d’Artisanat SEL. Elles ont été emballées là-bas et envoyées ici. Donc, les mangues que j’ai vu sécher au soleil au Burkina Faso, je les ai vendues par après.
Les mangues que j’ai vu sécher au soleil au Burkina Faso, je les ai vendues par après.
ÔM: Que pensez-vous du fait que, contrairement à d’autres pays, la France encadre légalement le commerce équitable ?
A. B.: On voit par exemple très vite que pour les produits bio, tout peut être nommés bio. Pourtant, les règles de base ne sont pas respectées. Au niveau du commerce équitable, on a très vite pu dire qu’il fallait clarifier les filières d’achat, etc. pour être sûr qu’on ne vend pas n’importe quoi. Les objets qui en sont issus passent par la douane. C’est toujours cette garantie que nous voulons donner à nos clients que cela se passe dans les règles de l’art. Il y a beaucoup de gens qui vendent des objets sur un marché en disant que c’est issu du commerce équitable (Pause) et quand je leur demande s’ils sont affiliés à la plateforme du commerce équitable, ils ne savent même pas ce que c’est. Il faut vraiment être affilié par cette plateforme pour être vraiment conforme au commerce équitable.
ÔM: Que pensez-vous des labels estampillés commerce équitable tels que “Fairtrade” ?
A. B.: Ce que je constate en tout cas, comme je suis là-dedans depuis plus de vingt ans maintenant, c’est que petit à petit le bio et le local prennent le dessus sur le commerce équitable. Les gens disent « Ah tous ces transports, ça pollue l’air ». Il y a une réflexion beaucoup plus globale aujourd’hui, mais ça n’empêche pas qu’il faut continuer à soutenir ces pays du sud. Mais je crois que le bio et le local ont vraiment pris le dessus dans la tête des gens parce qu’on en parle beaucoup plus maintenant. Et le commerce équitable, « c’est encore tous ces pauvres qu’il faut soutenir alors qu’ici aussi il y a des pauvres » : c’est un discours que j’entends un peu souvent.
ÔM: Comment les consommateurs peuvent-ils agir au quotidien ?
A. B.: Avec la pandémie, on a vu combien le monde était lié. On ne peut plus séparer un pays de l’autre, un continent de l’autre ; nous sommes liés de force, malgré nous. Alors, faisons-en quelque chose de positif et soutenons-nous, essayons de trouver une justice. Mais ce sera toujours pareil, la justice, c’est un thème depuis la nuit des temps. On entend que les plus riches deviennent de plus en plus riches, que les pauvres deviennent de plus en plus pauvres. Il y a de quoi faire pour palier et ne pas permettre que ce gouffre se creuse de plus en plus. Et le commerce équitable est un acteur là-dedans.
On entend que les plus riches deviennent de plus en plus riches, que les pauvres deviennent de plus en plus pauvres. Il y a de quoi faire pour palier et ne pas permettre que ce gouffre se creuse de plus en plus.
ÔM: Un dernier mot pour nos lecteurs/lectrices ?
A. B.: Je pense qu’on peut aider ce monde à rester debout de différentes manières. Nous avons essayé de mettre notre petite goutte d’eau dans l’océan et j’espère que d’autres, des jeunes comme vous, vont prendre le relais pour réfléchir à ce monde et essayer de générer plus de justice, plus d’équité, plus d’équilibre nord-sud, mais aussi nord- nord et sud-sud. C’est mon espoir et j’y crois. Je crois en la jeunesse, à cette génération qui se lève, qui récolte un peu ce que nous avons semé … mal semé aussi au niveau écologique. C’est terrible. L’ensemble du monde a mal géré ça. Les multinationales ont mal géré ça. Je vous souhaite beaucoup, beaucoup de courage pour vous attaquer à tout ça. C’est maintenant à votre génération de se lancer, de s’engager.
Ô Magazine remercie Anne-Lise pour tous ces éclaircissements concernant le commerce équitable. C’est maintenant à chacun d’agir et de se mobiliser en faveur d’un monde plus juste. Propos recueillis par Tara Abeelack.
Retrouvez plus d’informations sur le commerce équitable ainsi qu’un catalogue de vente sur le site d’Artisans du Monde.