Nous vous prévenons tout de suite : ce livre est très difficile à lire. Cependant, c’est une lecture nécessaire. La vérité au bout des lèvres de Marine Gabriel est un recueil de témoignages choc qui expose la vérité sur les VOG (les violences obstétricales et gynécologiques). Rempli de récits aussi poignants que glaçants, La vérité au bout des lèvres met en lumière ce terrible non-sens médical que sont les violences vécues par les patientes aux mains des personnels médical et soignant.
Pourquoi devriez-vous lire l’oeuvre de Marine Gabriel ? La vérité au bout des lèvres est un livre qui va au-delà de l’anecdote, du “pas de chance, t’es tombée sur un con”. Marine Gabriel expose une réalité qu’on ne dénonce pas assez. Une réalité qui nous rappelle que notre société manque toujours autant de dispositifs pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Mais surtout, tout au long du livre, l’auteur ne cesse de nous rappeler que nous avons des droits. Non, les VOG ne sont pas normales, et oui, elles peuvent être punies par la loi. Ce livre, venant après les campagnes #BalanceTonUterus et #MonPostPartum, participe à l’effort de sensibilisation sur ce type de violences sexistes et sexuelles. Levons le voile sur ce tabou.
Les violences obstétricales et gynécologiques, qu’est-ce que c’est ?
Les VOG désignent un ensemble de gestes, de paroles, et d’actes médicaux qui viennent porter atteintes à l’intégrité physique et mentale des patientes de façons plus ou moins sévères. Selon le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE), il existe 5 types d’actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical.
- La non prise en compte de la gêne de la patiente.
- Les propos porteurs de jugements sur la sexualité, la tenue, le poids, la volonté ou non d’avoir un enfant, renvoyant à des injonctions sexistes.
- Les interventions médicales exercées sans recueillir le consentement éclairé de la patiente.
- les actes ou refus d’actes justifiés médicalement.
- Les violences sexuelles : harcèlement sexuel, agression sexuelle et viol.
À travers les divers témoignages, dont le sien, Marine Gabriel nous montre les formes que prennent ces violences sexistes et sexuelles au sein des institutions médicales.
Ce que nous montre Marine Gabriel
La normalisation de la souffrance
“C’est normal.” Cette phrase à l’apparence innocente reviendra à plusieurs reprises dans le livre (surtout par rapport aux douleurs de l’accouchement, mais pas que). Souvent, les VOG indiquent qu’il y a une normalisation des douleurs des patientes ou parturientes. Leur douleur serait perçue comme normal. Il est vrai en effet que l’accouchement à tendance à être une expérience extrêmement douloureuse pour beaucoup de femmes. Cependant, cela ne fait pas de l’accouchement un acte fondamentalement violent. Pourtant, ce qui est choquant dans les témoignages recueillis par Marine Gabriel, c’est à quel point on ignore la douleur des patientes, même lorsqu’elle est accentuée par des actes médicaux douloureux. Certains témoignages pourraient être qualifié de “boucheries”, et nous font ressentir le décalage profond entre l’énorme souffrance subie par la patiente/parturiente, et la conduite brutale du soignant.
La banalisation de la violence
Des gestes médicaux effectués sans consentement
Une épisiotomie fait sans avertissement, un touché vaginal surprise, et même une hystérectomie faite sans l’accord de la patiente… Beaucoup de violences obstétricales et gynécologiques sont en fait des actes médicaux effectués sans consentement. Parfois, ses actes remplissent la définition légale d’un viol. “Sans crier garde, il m’enfonce sa sonde tout au fond du vagin” ; “soudainement, sans me prévenir, il enfonce ses doigts dans mon vagin” ; “sans un mot, elle me l’enfonce violemment dans le vagin en brisant mon hymen“… Le scénario brutal se répète encore et encore.
Il arrive que le personnel médical lui-même se sente choqué ou en colère face aux comportements violents de leur confrères. Nous le voyons dans certains témoignages. “L’infirmière ferme la porte et elles insultent [le chirurgien]“, raconte une jeune fille après un examen effectué de manière violente dans un hôpital. L’accompagnant aussi fait l’expérience de ces violences, mais il se retrouve souvent en position d’impuissance. Une parturiente raconte la réaction de son conjoint quand la sage-femme extirpe violemment son bébé mort-né : “mon mari en reste bouche bée, choqué.”
La violence des mots
“La violence des mots… La violence d’une phrase qui paraît banale mais qui peut résonner comme une traumatisme pendant longtemps.”
La vérité au bout des lèvres, Marine Gabriel
La vérité au bout des lèvres nous parle aussi du rôle de la parole au sein des institutions médicales. Les violences verbales constituent aussi des VOG. En effet, dans certains cas, ce sont précisément des paroles, et non pas des actes, qui peuvent déclencher une expérience traumatique. Les insultes, les phrases infantilisantes, et les jugements moraux ou sur le physique constituent tous des VOG.
Mais, il peut aussi y avoir une violence dans les habitudes même des médecins ou gynécologues. S’exprimer avec maladresse, ou avec froideur, peut mettre les patientes en situation de stress intense. Dire à une parturiente de pousser plus fort, car son bébé ne peut plus respirer, peut la mettre en une situation de détresse profonde. La parole peut créer en elle une impression d’impuissance et de culpabilité devant le danger que son bébé encourt.
Quand les soins deviennent des traumatismes
Les VOG créent donc des traumatismes. La santé mentale des patientes se voit altérée par le vécu violent de l’expérience. Beaucoup de victimes de VOG souffrent de PTSD (post-traumatic stress disorder). Dès qu’elles reviennent sur le lieu de leur traumatisme, les souvenirs les renvoient à cette situation de souffrance et d’impuissance.
“J’étais en pleurs, prises de spasmes, en proie à une angoisse terrifiante.”
Témoin.
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Les violences sexistes dans le monde médical
La déshumanisation de la femme
La vérité au bout des lèvres souligne extrêmement bien la puissante déshumanisation que subissent certaines les patientes. “Que font-ils de ma dignité ?” se demande l’auteure, quand elle doit se diriger nue, et couverte d’urine et de vomi dans la salle d’accouchement. Nous pouvons parfois ressentir cette impression que la femme qui accouche, ou parturiente, n’a pas d’intimité. Sa nudité, son intimité, sa dignité, n’existe plus dès qu’elle est entre les mains du personnel médical.
Pourtant, la pratique de la gynécologie ne signifie pas forcément l’ignorance de l’intimité et de la pudeur de la patiente. En effet, en cabinet de gynécologie, il existe même la possibilité d’être auscultée “à l’anglaise”. Cette méthode, que nous ne connaissions même pas avant d’avoir lu ce livre, consiste à ausculter la patiente allongée sur le côté. Cette dernière peut aussi se couvrir d’un drap pour cacher sa nudité. Cependant, c’est une méthode peu pratiquée, et souvent refusée à la patiente. Le problème de déshumanisation semble donc venir du fait que la patiente n’est pas traitée comme une personne, mais comme un corps qui doit être manipulé durant les actes médicaux. Il y peut y avoir une objectification du corps de la femme : sa gêne, ses douleurs, ses peurs seraient mises de côté.
La culpabilisation des patientes : les victimes blâmées pour leur propres maux.
Une autre chose assez troublante révélée par le livre de Marine Gabriel, c’est la culpabilisation des personnes victimes de VOG. Le signe d’alerte a observé absolument lorsqu’on a à faire à des victimes de VOG, c’est la culpabilité. Dans une situation de violence qui est traumatique, la victime cherche à faire sens de son expérience. Si le personnel médical ne reconnaît pas sa faute, si son expérience est normalisée, alors il ne reste plus qu’un coupable : elle-même. D’où la nécessité de sensibiliser le public au VOG. Il faut dénoncer la normalisation de ses violences, et rappeler que les victimes ne sont pas responsables.
L’infantilisation et le mépris
Au sein du monde médical, la blouse blanche se porte parfois comme un symbole d’autorité. Les gynécologues, médecins, chirurgiens, et sage-femmes peuvent représenter une autorité à respecter. Se forme là donc une sorte de paternalisme, où l’avis de la patiente est méprisé. En effet, beaucoup de témoignages du livre montre une tendance à l’infantilisation, au mépris des femmes et leur libre choix, et à la minimisation de leur ressenti.
“Ah, parce que vous sentiez quelque chose ? Je pensais que c’était du cinéma.”
Chirugien à une patiente
Ce mépris peut se révéler particulièrement néfaste, car il retire à la patientes sa légitimité dans ses choix. Un exemple glaçant de cela : le point du mari. Cette pratique consiste à recoudre le vagin plus que nécessaire après une épisiotomie, afin d’assurer un plus grand plaisir sexuel au mari. Cela montre bien en quoi certaines VOG sont le produit d’un système sexiste, patriarcal et de mépris de la femme, choses qui peuvent être rattachées historiquement à la médecine.
Une lecture essentielle pour tous
Les VOG ne sont pas acceptables au XXIe siècle. Doucement, les tabous sur l’accouchement et la gynécologie se lèvent. Ainsi, parler de ce problème, c’est lutter pour la reconnaissance des victimes et leur combat. Cela permet aussi au monde médical d’entendre leurs plaintes.
Ce livre nous apprend aussi comment nous protéger et nous défendre. Marine Gabriel, après chaque témoignages, nous rappelle les lois qui existent. Prenons conscience de nos droits, en tant que patientes, en tant que femmes, en tant qu’êtres humains.
Enfin, La vérité au bout des lèvres met en place un dialogue. En plus des témoignages de victimes de VOG, il a aussi ceux des sage-femmes et des gynécologues. Ces spécialistes nous parlent de leur manière de combattre les VOG, et montre que ce problème nuit autant au monde médical qu’aux patientes.
Si vous avez été victime de VOG, sachez qu’il existe des moyens de guérir votre traumatisme. Sachez aussi, que vos expériences sont reconnues par la loi. Faire recours à la justice, c’est aussi amener de la visibilité à ce problème systématiquement ignoré.