Cet article propose d’explorer de quelle manière le cerveau se modifie sous l’influence des violences sexuelles. Pour survivre à ce traumatisme, le cerveau déconnecte son circuit émotionnel et sensoriel. Cet état de sidération bloque alors la mémoire des événements traumatisants. Cela peut aller jusqu’à l’amnésie.
Violences sexuelles : une réalité statistique alarmante
En 2017, suite à l’Affaire Weinstein, un mouvement d’une ampleur international apparait, notamment sur les réseaux sociaux, permettant une libération de la parole des victimes de violences sexuelles. La vague #metoo entraîne jusqu’aujourd’hui une prise de conscience et un soulèvement inédit contre une culture du viol qui semble n’épargner personne. En effet, 1 femme sur 5 et un homme sur 14 seront victimes d’agressions sexuelles durant leur vie. Chaque année 102 000 personnes adultes – 86 000 femmes et 16 000 hommes – sont victimes d’un viol ou d’une tentative de viol en France métropolitaine. Concernant les enfants, un rapport récent de l’OMS souligne que près de 20 % des femmes et 5 à 10 % des hommes rapportent avoir subi des violences sexuelles pendant leur enfance.
Pour tenter de mieux comprendre et mieux soigner les victimes de violences sexuelles, les chercheurs ont observé les effets de ce traumatisme sur leurs cerveaux.
Sous l’effet des violences sexuelles, le cerveau opère une dissociation
Les scientifiques ont observé des modifications visibles sur le cerveau des victimes de violences sexuelles. Celles-ci affectent les circuits émotionnels et de la mémoire. Cela est dû à un mécanisme neurobiologique de protection mis en place par le cerveau pour survivre à un stress extrême : la dissociation.
Deux structures cérébrales fondamentales sont en jeu lors de cette dissociation. D’une part, l’amygdale, qui gère les informations sensorielles et émotionnelles. D’autre part l’hippocampe, structure consacrée à la mémorisation et au repérage spatio-temporel. Lors de la dissociation, les souvenir restent piégés dans l’amygdale et ne sont pas traités par l’hippocampe, dont elle est déconnectée. Cette anesthésie émotionnelle a donc une conséquence directe sur la mémoire. La victime ne se souvient plus de l’événement traumatisant mais conserve dans sa mémoire inconsciente et émotionnelle toutes les images et les sensations vécues pendant le traumatisme : on parle alors d’amnésie traumatique.
L’amnésie traumatique : quand le cerveau emprisonne les souvenirs
Conséquence directe de la dissociation, l’amnésie traumatique est reconnue en psychiatrie comme un trouble de la mémoire. Il se définit comme « l’incapacité de se souvenir d’éléments importants de l’événement traumatisant ». Elle est très fréquente chez les victimes de violences sexuelles. Selon une enquête Ipsos de 2019, initiée par l’association Mémoire Traumatique et Victimologie ,”39% des victimes ont connu des périodes d’amnésie. Pour un tiers d’entre elles ont duré plus de 20 ans”.
L’amnésie traumatique entraîne une véritable souffrance quotidienne. Mal-être, sentiment d’étrangeté, perte des repères, sentiments de dépersonnalisation, d’isolement et absence d’estime de soi. N’ayant pas accès à ses souvenirs, la victime de violences sexuelles est incapable de comprendre la cause de cette souffrance. Et cela peut parfois durer de longues années.
Alors comment les victimes de violences sexuelles peuvent-elles à sortir de cette amnésie traumatique?
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Le cerveau doit être prêt à sortir de l’amnésie traumatique
Selon la psychiatre Muriel Salmona, spécialiste de la mémoire traumatique, il est possible de sortir de l’amnésie traumatique. Le déclic ne vient pas de la personne, mais du cerveau lui-même. Lorsque celui-ci retrouve une atmosphère sécurisante, le système de mémoire se reconnecte. Le souvenir du traumatisme resurgit alors et les victimes de violences sexuelles vont revivre à l’identique les moments traumatiques. La même terreur, les mêmes douleurs, les mêmes ressentis sensoriels vont se réactiver sous forme de flashbacks. Les images, les bruits, les odeurs ou les sensations.
Douloureuse, cette mémoire ravivée est pourtant synonyme de libération. En effet, si la victime ressent à nouveau la douleur du traumatisme vécu, c’est qu’elle est déjà sur la voie de la guérison. Son cerveau est désormais prêt à réintégrer ses souvenirs de manière consciente et à y faire face. Il est donc primordial de mieux diagnostiquer et accompagner les victimes de violences sexuelles, notamment les enfants. Car nous savons aujourd’hui que si la victime est protégée et soignée tôt, l’amnésie traumatique disparaîtra plus facilement.
Si vous, ou un proche, êtes victime de violences sexuelles, n’hésitez pas à vous rendre sur le site Violences sexuelles | Arrêtons les violences (arretonslesviolences.gouv.fr) et/ou à composer les numéros d’urgence (17 ou 3919).