Le Test & Learn est une démarche distinguant les entreprises innovantes de celles qui sont restées coincées dans le passé. Ces dernières, centralisées à outrance, sont empêtrées dans une planification sclérosante. En conséquence, elles sont inadaptées à la complexité des enjeux actuels. Quelle est l’alternative ? Dans son livre paru le 9 septembre dernier aux éditions Vuibert, Adilson Borges nous propose sa méthode du Test & Learn. Impliquant l’ensemble des collaborateurs, elle permet de transformer les organisations en les rendant « apprenantes », agiles et innovantes. Autant de gages de succès, surtout dans la période d’incertitude que nous traversons. Explications de l’auteur…
Brésilien d’origine, économiste de formation, Adilson s’est très vite spécialisé dans les domaines du business et du marketing. Docteur en sciences de gestion, il débute à la Reims Management School, créant une chaire (poste de professeur titulaire) avec le groupe Auchan spécialisée dans la recherche et la formation exécutive. Il lance et dirige plusieurs programmes de formation, comme un master en retail management mis en oeuvre à la fois en Chine et en Europe. Au moment de la fusion entre les deux écoles de commerce de Reims et Rouen, combinées dans une nouvelle entité, la Neoma Business School, il prend la tête du corps professoral et de la recherche. Il va ainsi créer une culture commune pour la nouvelle école.
Aujourd’hui directeur du Learning & Development au sein de l’université corporate de Carrefour, il gère les efforts de formation du groupe. « Nous donnons ainsi plus de quatre millions d’heures de formation à plus de 300.000 personnes chaque année », a-t-il rappelé. Il s’occupe également des programmes de formation à l’attention du top management, en France et à l’étranger.
Test & Learn : une démarche pragmatique en vue de l’amélioration continue
Étant lui-même une personne pragmatique, Adilson est parti du constat suivant : « Une entreprise, finalement, c’est un ensemble de personnes qui essaient de résoudre des problèmes, collectivement ». Pour cela, elles peuvent s’inspirer de la stratégie de la qualité totale mise en place par Toyota dès les années 70. Ou alors des méthodes mises en place par les développeurs informatiques de la Silicon Valley.
Le Test & Learn (T&L) constitue une rupture par rapport aux méthodes du passé. Selon Adilson, « auparavant, nous étions dans un processus où l’innovation était l’affaire de quelques-uns seulement : les grands patrons entourés de leurs cabinets de conseil ». Ils montraient la direction à prendre. Ils avaient recours à la planification à outrance, fixant ainsi les étapes à suivre pour tout le monde. Comme Adilson l’a rappelé, « on centralisait au maximum. Ensuite, on déployait les nouveaux process de façon très peu flexible ».
À l’opposé, le T&L marque l’avènement d’un nouveau paradigme aux antipodes de l’ancienne économie. Cette nouvelle méthode considère que dans une organisation, tout le monde est capable d’innover. Selon Adilson, « nous sommes tous des êtres humains capables de réfléchir à la manière dont nous faisons notre métier ». Ce principe de départ, allié aux nouvelles technologies pour recueillir l’avis de chacun, a permis au T&L de s’imposer. Adilson a poursuivi : « Il s’agit d’un changement de culture organisationnelle et aussi d’une méthode d’expérimentation permettant aux personnes de tester réellement leurs idées. L’innovation devient donc diffuse et permanente ».
Innover comme on respire, dans un cadre sécurisant
La démarche T&L doit être vue comme un retour à l’essentiel. Elle doit nous permettre de retrouver nos instincts premiers. Avec le T&L, la démarche innovante devient presque aussi naturelle que de respirer. Pour nous le démontrer, Adilson a pris l’exemple d’un enfant cherchant à faire ses premiers pas. « Cet enfant n’a pas pris de cours d’anatomie, ni de physique, pour savoir comment il fallait se positionner. Il touche un objet, un canapé par exemple, sur lequel il s’appuie. Il essaie de se lever puis il tombe, une fois, deux fois, trois fois, etc. jusqu’à ce qu’il trouve son équilibre. »
La démarche T&L suit la même logique. Pour Adilson, vouloir améliorer les choses est aussi naturel que de vouloir marcher pour un enfant. L’être humain est naturellement curieux et désireux d’apprendre à mieux faire. Comme nous l’a dit l’auteur : « Nous devons nous réconcilier avec notre instinct d’apprentissage. Le tout, dans un cadre sécurisant ». Il faut donc que chaque collaborateur se sente libre d’expérimenter, quitte à se tromper. Et ce, sans être paralysé par la peur de l’échec. Si tel est le cas, il aura au moins contribué à la démarche d’amélioration continue. Lui-même ou d’autres s’appuieront sur ce qui n’a pas marché pour, petit à petit, se rapprocher de la solution idéale.
La tech permet de remplacer les croyances par les faits
En outre, la culture du T&L s’appuie sur des faits, non sur des croyances. Comme nous l’a expliqué Adilson, « avant, dans les entreprises, si nous voulions lancer une nouvelle formation sur la créativité par exemple, nous la construisions en travaillant avec des experts. Nous lancions un petit pilote pour nous permettre d’améliorer notre approche, avant de le déployer partout. C’était le règne des croyances de quelques experts. À l’opposé, dans la culture T&L, tout le monde peut participer, y compris les clients potentiels. Le déploiement s’effectue alors dans un premier temps à l’attention d’un nombre restreint de personnes. Les tests que nous conduisons nous permettent de comparer avec les collaborateurs n’ayant pas suivi la formation. Grâce aux nouvelles technologies, nous sommes désormais capables de mesurer l’efficacité de la formation que nous avons mise en place ».
Car les indicateurs de créativité existent : nombre de problèmes résolus, perception du surcroît de créativité par le manager ou par les personnes ayant suivi la formation. « En fonction des retours que je reçois, a poursuivi Adilson, je peux améliorer ma formation, avant de procéder à son déploiement sur l’ensemble de l’organisation. Plutôt que de nous fonder sur des croyances, nous nous fondons désormais sur des faits mesurables grâce à la data que nous recueillons au fur et à mesure du déploiement de notre formation ».
Le Test & Learn et la culture de l’humilité
Grâce aux technologies de l’information, nous avons en outre la capacité d’impliquer non seulement nos équipes mais également les équipes de tous les pays. Par le biais des visios, nous pouvons recueillir les avis des uns et des autres, du PDG à l’apprenti. Adilson a cité un exemple : « Je participais récemment à une réunion pour accroître l’impact de nos communications. Un apprenti a fait une proposition qui allait contre mon avis. Je lui ai dit : ‘Tu as raison, peut-être qu’il faut tester ce point. Personnellement, je crois que ça ne marchera pas’. Néanmoins, j’ai pris en compte sa proposition, car il avait de bons arguments ».
Par conséquent, le T&L apporte également une culture de l’humilité, favorisant l’introduction d’innovations par petits pas. Cependant, diffusés dans toute l’organisation grâce aux nouvelles technologies, les petits pas finissent par se transformer en pas de géants.
Test & Learn : lancer vite, même si tout n’est pas parfait
Le T&L est enfin une méthode particulièrement adaptée au contexte actuel, marqué par une incertitude croissante. Les modèles de prévision de l’ancienne économie ne nous donnent plus de réponses aussi nettes qu’auparavant. Fort de ce constat, le gouvernement a par exemple eu recours au T&L dans le secteur des spectacles, pour voir s’il pouvait à nouveau ouvrir l’accès aux théâtres.
Contrairement aux leaders infaillibles et omniscients des temps anciens, les leaders modernes sont conscients qu’ils ne peuvent tout maîtriser. Selon Adilson, « le gouvernement nous a dit : ‘Nous ne sommes pas capables de tout prédire. Nous allons donc plutôt expérimenter la réouverture sur certains espaces-tests. Nous allons ainsi limiter le risque de contagion et regarder ce qui se passe’ ». Le gouvernement a donc mesuré le nombre de personnes ayant finalement attrapé le Covid suite à certains spectacles d’essai, instaurant ainsi un cadre sécurisant… avant de procéder à une réouverture plus large.
Prenez aussi l’exemple des restaurateurs qui ont très rapidement proposé des plats à emporter. Ils n’ont pas fait de réunions théoriques ni de plans à six mois avant de lancer leur service de vente à emporter. Ils ont plutôt choisi de commencer « vite, même si pas parfait. Si on recherche la perfection, on a le temps de faire faillite dix fois ! »
C’est cela aussi la force du Test & Learn : en s’écoutant les uns les autres, on crée un environnement propice à l’innovation !