Jusqu’à présent, chacun d’entre nous a été bercé par l’illusion d’une croissance infinie. Aujourd’hui, par suite du Covid et de ses restrictions, ce rêve a été balayé par un nouvel idéal : la sobriété. Que cela concerne l’alimentation (moins de viande, moins de gaspillage) ; les voyages (moins loin, moins souvent) ; les transports (le vélo plutôt que la voiture, le train plutôt que l’avion), l’habillement (de seconde main) ; ou encore… le numérique (moins de temps passé devant les écrans). Pour nous en parler, nous avons rencontré Edouard Bliek, directeur des opérations chez Stedy, cabinet de conseil en nouvelles technologies. Il nous a expliqué les raisons pour lesquelles, de façon paradoxale peut-être, il a fait sien l’idéal de sobriété numérique…
Passé par British Telecom puis Deutsche Telekom, Edouard Bliek a ressenti le besoin de se repositionner. Il a donc choisi d’intégrer Stedy, une entreprise à taille humaine pour se rapprocher de ses équipes et du terrain. Stedy fait partie des ESN (Entreprises de Services Numériques) dont le métier consiste à recruter des experts en technologies numériques. Ces derniers sont principalement issus d’écoles d’ingénieurs. Ils assureront ensuite des missions temporaires de conseil et d’assistance technique auprès d’entreprises clientes. Parmi les ESN classiques (3.000 sociétés en France), Stedy a voulu se distinguer. Dès son lancement en 2020, elle a cherché à fédérer les jeunes talents ne se reconnaissant pas dans le modèle traditionnel de l’ESN. Ces derniers avaient jusqu’alors l’impression d’être recrutés puis positionnés sur des projets un peu au hasard. De plus, la facturation opaque les démotivait.
Stedy, le conseil en ingénierie et technologie – nouvelle génération
Stedy (Groupe Gorgé) s’est définie dès le départ comme une structure spécialisée dans l’ensemble des métiers du numérique. Focalisant ses efforts de recrutement sur les jeunes professionnels disposant de premières expériences significatives, elle cherche aujourd’hui à répondre aux attentes de ces derniers. C’est la raison pour laquelle elle s’est engagée sur la transparence financière, la flexibilité, le choix des missions laissé aux consultants, et enfin la souplesse contractuelle.
Du point de vue de la transparence financière, Stedy a ouvert le capot de son rôle d’intermédiaire entre talents et clients finaux. Cela a boosté la confiance des premiers, avec notamment un indicateur fixe de marge brute. Par ailleurs, Stedy offre à ses talents un cadre contractuel souple, entre CDI, contrat de portage ou free lancing.
Enfin, Stedy a introduit, dans sa plateforme d’intermédiation entre clients et talents, un algorithme d’intelligence artificielle. Faisant intervenir le deep learning, cela a permis une meilleure adéquation entre missions proposées, d’une part, et profils des candidats, d’autre part. Édouard a rappelé que « le deep learning [était] une technologie capable d’apprendre de ses propres expériences. Elle s’affine donc avec le temps. Et permet d’amener des profils de plus en plus ajustés par rapport aux besoins du client ».
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Pourquoi la sobriété numérique ?
Stedy fait donc partie du cœur même de l’écosystème des entreprises du numérique en France. Il est donc étonnant de la voir embrasser les principes de la sobriété numérique. Selon Édouard, « Stedy est une entreprise qui s’enorgueillit d’être à l’écoute des vœux des talents qu’elle recrute ». Or, les jeunes candidats ont tendance à privilégier les employeurs faisant montre de bienveillance numérique. Édouard a poursuivi : « les jeunes talents observent le fonctionnement des entreprises qu’ils prospectent. Ils s’intéressent notamment à leur usage du numérique. De plus, ils scrutent leur politique en matière d’écoresponsabilité, avant de leur envoyer leur CV. Ce type de critères qualitatifs arrive désormais en troisième position chez les jeunes diplômés en recherche d’emploi. »
La sobriété numérique est un thème ayant émergé il y a dix ans. Cependant, il a été mis sur le devant de la scène par la crise du Covid. Il a accompagné la montée des préoccupations liées à l’écoresponsabilité et au droit à la coupure. Ces revendications se sont amplifiées avec le télétravail obligatoire. Selon Édouard, « le sujet est remonté jusqu’à nous par suite de doléances liées à la sur-connexion ou à l’absence de coupure. Nous avons alors pris conscience que l’usage du numérique ne devait pas devenir une source de stress pour nos talents ».
Les conséquences humaines de la numérisation tous azimuts
Rapports professionnels, rapports familiaux, rien n’échappe au numérique désormais. Selon le Shift Project, think tank ayant soulevé la question de la sobriété numérique en premier, les 13-18 ans passent en moyenne 6h40 par jour devant un écran. Cela représente 40% de leur temps d’éveil. Le recours au numérique affecte les relations entre les membres d’une même famille. Les moindres échanges entre parents et enfants affectent le développement cognitif de ces derniers, leur estime de soi et plus généralement la qualité de leurs liens avec les autres.
Une empreinte carbone en croissance exponentielle
Par ailleurs, le Shift Project a relevé qu’en 2019 déjà, 4% des émissions carbonées mondiales étaient dues à la production et à l’utilisation du numérique. Cela représentait davantage que les 2% générés par le transport aérien. Comme l’usage du numérique augmente de 8% par an, sa part dans les émissions carbonées devrait représenter 8% en 2025. Soit la même proportion que celle des voitures et deux-roues (Déployer la sobriété numérique, The Shift Project, 2020).
Ce développement sans frein entraîne une augmentation drastique de l’empreinte carbone des équipements mis en jeu par le digital. On note ainsi une augmentation du nombre de terminaux connectés. Les écrans XXL deviennent la norme. De même, les outils dédiés aux salariés nomadisés sont de plus en plus puissants. Des réseaux wifi sont déployés dans les lieux publics. Quant à la 4G, elle se généralise dans les transports. Face à ce constat, Édouard a tenu à souligner que « la production, tout comme le fonctionnement de ces équipements, [présentaient] un impact sur l’environnement loin d’être négligeable. Cela entraîne l’épuisement des terres rares, la surconsommation d’énergie, sans compter des déchets toxiques à foison ».
L’addiction à l’autoplay
À l’origine de cette course folle au tout-numérique, The Shift Project a mis en avant la logique addictive promue par les plateformes diffusant des vidéos en streaming. Selon le Shift, « les techniques de conception des plateformes cherchent à capter l’attention de l’utilisateur. Elles ont ainsi recours à l’autoplay des vidéos suivantes ; la suppression des génériques de début et de fin dans les épisodes de séries ; l’aperçu automatique des vidéos avant même leur lancement ; le scrolling ininterrompu ; ou encore la réactualisation automatique du fil d’actualité au moment où l’utilisateur s’apprête à quitter le réseau social ».
Or, le visionnage de vidéos en ligne représente 60 % du trafic mondial de données, soit une empreinte carbonée comparable aux émissions annuelles de l’Espagne. Le seul visionnage de vidéos pornographiques au niveau mondial a généré en 2018 des émissions carbonées équivalente à celle du secteur résidentiel en France. Quant à Netflix ou Amazon Prime, ces derniers ont produit autant d’émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale que l’intégralité de l’économie du Chili en 2019 (The Shift Project).
Que faire pour favoriser la sobriété numérique ?
Face à cette inflation hors de contrôle, Édouard préconise une action à triple niveau. Au niveau individuel, il s’agit de distinguer besoins réels, d’une part, et automatismes induits par le design addictif, d’autre part. « De même, a-t-il ajouté, surtout en cette veille de fêtes de fin d’année, il convient de se poser la question suivante : ai-je vraiment besoin de remplacer mes équipements numériques ? »
Au niveau des entreprises, la sobriété numérique passe par la limitation du nombre et de la taille des écrans d’affichage. Les employeurs peuvent également diminuer leur parc de smartphones en combinant les usages personnels et professionnels sur un même terminal. Les entreprises peuvent enfin considérer d’augmenter la durée de vie des smartphones (pas moins de trois ans et demi) et des ordinateurs (pas moins de cinq ans).
Enfin, last but not least, les États pourraient réglementer les techniques de design addictif. Pourquoi ne prioriseraient-ils pas certains usages du numérique, « sur la base de leur pertinence, de leur caractère essentiel, au service de l’intérêt général » (Climat : l’insoutenable usage de la vidéo en ligne. Un cas pratique pour la sobriété numérique, The Shift Project, 2019) ?