Mode modeste : une femme libre est-elle couverte ?

Kami, marque de mode modeste indonésienne, dév

La mode modeste s’illustre par des vêtements amples et confortables, recouvrant certaines parties du corps. Elle est d’abord une mode religieusement correcte. Alors qu’elle provoque des polémiques dans un monde où la libération du corps de la femme bat son plein, elle rassemble de nombreuses femmes de tous horizons afin de redéfinir la féminité.

Les origines de la mode modeste

Un courant issu des vertus religieuses

La mode modeste est initialement une mode influencée par les codes vestimentaires préconisés par l’Islam. En effet, les musulmans doivent se vêtir selon des codes qui répondent à certaines conceptions de la décence : dans le Coran (VII, 26), la tenue vestimentaire est liée à la pudeur et a pour fonction essentielle de cacher la nudité. La base alors à appliquer pour les croyants est de revêtir un « vêtement de piété » qui refléterait leur pureté intérieure.

Ainsi, les hommes et les femmes doivent porter des vêtements longs et amples afin de couvrir leur corps et de « ne montrer que ce qui est manifeste » (Coran 24:30-31). De là apparaissent alors les longues tuniques et les foulards qui recouvrent la chevelure et la poitrine des femmes notamment. C’est pourquoi de jeunes créatrices, pour la majorité musulmanes, se lancent dans la mode modeste. De cette manière, elles peuvent porter des vêtements appropriés qui leur permettent de s’exprimer en tant qu’individu, sans avoir à sacrifier leurs convictions religieuses.

Les consommateurs musulmans: une niche pour les créateurs

Depuis les années 2000, la mode modeste a pris de l’ampleur dans la mode et la consommation des femmes musulmanes. Féminines, passionnées de mode et fières de leurs origines, certaines créatrices et influenceuses se tournent vers un sujet de niche : la mode et le monde musulman. Par faute de représentation, ces jeunes femmes ont décidé de promouvoir elles-mêmes leur culture et leur vision de la femme moderne. C’est le cas de Galeries Zarafet, fondatrices du premier salon de mode dédié à la mode modeste et aux créatrices du monde arabe (mais pas que) en France. De par leurs évènements, elles cherchent à promouvoir la mode modeste au delà des frontières arabo-musulmanes.

Alors que le monde musulman s’enrichit et représente un enjeu économique majeur pour le secteur de la mode, Dolce & Gabbana déclare que « les exigences vestimentaires de ces clientes sont trop souvent délaissées par les grandes maisons de couture et de prêt-à-porter européennes » après avoir dévoilé leur collection de hijabs et d’abayas en 2016. Depuis lors, de grandes marques, comme H&M et Tommy Hilfiger, ont tenté de développer des collections spécial Ramadan à l’occasion de l’évènement.

Néanmoins, cette mode ne concerne pas uniquement les femmes de confession musulmane. En effet, les femmes de toute confession religieuse voient en cette nouvelle mode plus inclusive, une manière de respecter la pudeur et la décence préconisées par leur foi tout en étant élégante. Ces deux notions n’étant pas liées uniquement à la religion permettent à la mode modeste de devenir une mode spirituelle.

A gauche, The Modist via The Mod “Making Waves”. Au milieu, Celine Printemps 2018 de prêt-à-porter via Vogue Runway. A droite, la nouvelle catégorie Mode modeste d’ASOS.

Les mutations de la mode modeste: de la religion vers un idéal féminin

Une mode spirituelle 

Plus généralement, la mode modeste fait référence à une tendance par laquelle les femmes vont porter des vêtements qui révèlent peu leur peau, de manière à satisfaire leurs exigences spirituelles et stylistiques. Ainsi, la mode modeste est à la fois un courant de mode et de pensée. Elle est incarnée par des femmes cherchant à redéfinir ce qu’est la féminité grâce à des vêtements oversize, des silhouettes couvertes et du layering (art de superposer plusieurs couches de vêtements) qui vont couvrir le corps de ces dernières selon leur propre confort personnel.

Par exemple, The Modist met en avant des tenues pudiques et modernes de haute couture. La marque Céline, lorsque Phoebe Philo en était la directrice artistique, proposait un style modeste et minimaliste, basé sur une palette de couleur épurée afin de donner à la fois de l’allure et du confort à ses clientes. Des marques, comme ASOS, ont inclus à leurs catégories celle de « Mode modeste » et d’autres essayent d’offrir davantage de vêtements hijabi-friendly, comme Uniqlo, Zara ou Mango.

Alors que pendant des générations, les créateurs ont cherché à découvrir et émanciper le corps de la femme des normes sociales patriarcales, on observe aujourd’hui qu’un intérêt commun de rester relativement dissimulé tout en atteignant un niveau d’esthétique suffit à rapprocher les femmes issues de frontières religieuses, raciales et culturelles différentes.

Une nouvelle mode féministe

En effet, depuis quelques années, on observe un retournement de tendance quant au vêtement approprié pour une femme. Autrefois, et même en Occident, les vêtements d’une femme répondaient à des moeurs conservatrices, et recouvraient en totalité le corps de celle-ci : mains, chevilles, poitrine, cheveux. Plus tard, la nouvelle vague de créateurs bouscule les codes de l’habit féminin : les jupes sont raccourcies afin de laisser apparaître les chevilles, les cheveux sont découverts, les mains sont dénudées et le pantalon devient un vêtement pour femmes.

On observe alors que plus on avance dans le temps, plus le corps de la femme se libère des moeurs rigides d’en temps. En effet, la mini jupe fait son apparition et les femmes brillent dans de jolis décolletés. Aujourd’hui, il n’est plus choquant de voir la peau des femmes, dans la rue ou à la télévision. Ces mêmes femmes ont utilisé leur corps dénudé en guise de protestation afin de reprendre le contrôle sur leur féminité. En dénudant certaines parties de leur corps, elles ont cherché à rompre le tabou sur l’importance de la pudeur attribuée trop souvent à la femme.

Néanmoins, en réaction à cette mode qui serait devenue trop provocante, certaines femmes ont, depuis quelques années, décidé de se couvrir à nouveau. Alors que la voix de la femme se libère et cherche à faire valoir ses droits, de nombreuses femmes voient en ce style vestimentaire une forme de contestation envers l’hypersexualisation dont le corps de ces dernières fait les frais.

Ainsi, une contre-tendance apparaît selon laquelle beaucoup de femmes choisissent une mode qui serait liée à l’oppression féminine, en signe de libération. Pourtant, bon nombre de femmes restent sceptiques quant à la vogue actuelle de cette mode moderne et conservatrice.

A gauche, la mannequin Halima Aden pour la collection Max Mara Automne 2017 de prêt-à-porter via Teen Vogue. A droite, The Modist pour son édito The Mod “We are one”.

La mode modeste dans l’air du temps

Les polémiques que provoquent la mode modeste

La mode modeste s’est vue attribuée certaines critiques auprès de féministes notamment. En effet, les femmes qui cherchent à normaliser leurs atouts physiques, s’insurgent quant à la glamourisation de ces tenues modestes, autrefois symboles de soumission religieuse. Ces mêmes personnes n’acceptent pas que le marché de la mode se penche sur cette nouvelle tendance, qui signifierait que les marques encouragent ce type d’enfermement féminin.

En effet, en France par exemple, le port du voile et le burkini sont sujets à débats épineux. Selon ces débats, une femme couverte est une femme opprimée, soit par des moeurs conservatrices, soit par des codes islamiques initiés au Moyen-Orient, où la femme doit dans certains pays porter le voile intégral.

Or, l’idée que la mode modeste est oppressive est une idée fausse car dans les pays dits « pays libres », des femmes se couvrent, car elles l’ont choisi. Ces femmes, peut-être ennuyées par l’extravagance et l’exhibition du corps féminin dans la mode, choisissent une autre forme de libération : elles se couvrent afin de manifester leur féminité et leur libre arbitre. Pour Tamara Hostal, fondatrice de l’école Esmod à Dubai, la mode modeste « ce n’est pas la charia en vêtement ».

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Le mot de la fin

La mode modeste, qui répondait d’abord à des besoins vestimentaires en termes de convictions religieuses, a réussi à susciter de l’intérêt pour des non-religieux. De ce fait, la première Modest Fashion Week a eu d’abord lieu à Istanbul en 2016 avant de s’étendre jusqu’à Londres puis Dubai en 2017 et Jakarta en 2018.

A première vue, la mode modeste est loin de ce qu’une femme moderne et laïque pourrait porter. Cependant, elle s’est vue se transformer pour être plus inclusive. Elle offre d’autres alternatives aux femmes en matière d’élégance, de confiance en soi, et d’originalité afin qu’elles puissent s’affirmer en tant qu’individu. Néanmoins cette mode ne fait pas l’unanimité et met en relief un problème actuel au sein de notre société : la liberté des femmes.

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