L’état instable par Shani Rhys James

Livre de Shani Rhys James

Il faisait beau à Londres ce début mai. Je sortais du travail en fin d’après midi et me dirigeais vers la galerie d’art contemporain Connaught Brown sur Albemarle street. Ce soir, on inaugurait l’ouverture de l’exposition “Inconstant state” de l’artiste Galloise, Shani Rhys James. J’entrais dans la galerie, seule, et me trouvais nez a nez avec les toiles aux sujets écorchés vifs, leur visages roses aux yeux bleus grands ouverts. Partout, peints en de grosses touches de couleurs, des bouquets de fleurs jaunes, bleus et rouges sur des fonds parfaitement noir. Je cherchais l’artiste des yeux; elle s’était déplacée pour l’inauguration. Je la trouvais. Nous discutions.

Pour vous aujourd’hui, j’ai eu la chance d’interviewer une artiste que j’admire énormément. Une femme sensible et terriblement talentueuse qui tente de matérialiser le passage du temps dans sa dernière exposition personnelle “The Inconstant State”.
Dite “une des plus importantes artistes du Pays-de-Galle”, la peintre anglo-australienne puise également son inspiration en Charente Maritime, dans la maison de campagne de sa mère.
Un miroir dans une main, un pinceau dans l’autre, Shani peint son portrait comme un paysage, avec distance et émotion.

The Inconstant State, ou L’état instable

Si vous avez lu Marcel Schwob, alors peut être verrez vous aussi en ces visages austères au regard brillant le reflet de Monelle, personnage unique et universel. Parmi ses oeuvres, vous découvrirez les visages du doute, du questionnement, du choc. Vous y verrez le visage de Shani, vous regardant calmement derrière les vases bleus et blancs, les tables rouge vif et les coupes de fruits jaune.
Dans cette exposition, Shani Rhys James nous présente sa vision du temps et de la fugacité de l’Etre, rien de moins.

Interview le Shani Rhys James

Les fleurs sont présentes un peu partout dans votre oeuvre. Lesquelles préférez-vous peindre?

J’adore toutes les fleurs. Les plantes aussi. Mais si je devais en choisir une, je pense que je choisirais une rose, un beau rosier grimpant.”

La littérature vous inspire-t-elle dans votre travail?

“Oh oui. énormément. Les pièces de Hendrick Ibsen, Anton Chekhov et Gustav Flaubert m’inspirent beaucoup. La thématique de la place de la femme dans la société, ses frustrations et ses peines. Son sentiment d’impuissance, d’asservissement face à la figure masculine et à la société toute entière. Son incapacité à entrer le monde de la politique, de la médecine; sa prédestination à rester confinée dans son rôle de femme et de mère, bloquée à la maison. Le diktat de l’apparence et de la beauté. C’est finalement très moderne comme sujet. J’apprécie egalement beaucoup Samuel Beckett qui a souvent écrit en français a propos de la condition humaine.
Également, les pièces de Shakespeare (un classique) dont les sonnets expriment et présentent la faiblesse humaine, comme au travers de Hamlet, le procrastinateur, Othello, le jaloux, et le roi Lear, le vaniteux.”

Voyez-vous une réelle différence entre vos oeuvres exécutées au Pays de Galle et celles faites en France?

“Il y a, en effet, une réelle différence entre mes travaux réalisés au Pays de Galle et ceux faits en France. Ces deux pays sont si différents ! La lumière en France est incroyable. Les murs des maisons sont beiges/dorés, ce qui reflète considérablement bien la lumière. Les rosiers grimpant sur les pierres des vieilles bâtisses sont incroyables. Je ne m’en lasse jamais; quand je les vois, j’ai besoin de les peindre. En France, j’aime également peindre les intérieurs des vieilles maisons, très authentique. Au Pays-de-Galle, en revanche, mon travail est nettement plus sombre et psychologique.”

Quel matériel utilisez vous pour travailler?

“C’est vraiment compliqué de trouver une peinture de bonne qualité sans mastic. Même chose pour les pigments, ils sont souvent trop concentrés. Michael Harding est bien. Old Holland également. Pour ce qui est des outils, j’utilise des pinceaux, une petite palette, un couteau, un chiffon… et c’est tout !”

Les toiles que vous peignez sont parfois très larges. Comment decidez vous de la taille que vous utiliserez pour votre prochaine oeuvre?

“Cela dépend vraiment de ce que je visualise dans ma tête. Des fois je ressens l’urgence de peindre quelque chose d’énorme, des fois quelque chose de très petit. Également, une exposition publique en galerie est une bonne opportunité de présenter des peintures expressives très larges. La dernière que j’ai faite a New York a, par exemple, été pour moi l’occasion d’exposer mes toiles en lin de très grandes dimensions.”

Une dernière question. Avez vous toujours une idée précise de ce à quoi ressemblera le résultat final lorsque vous commencez a peindre?

“Absolument pas ! Je commence par une idée plus ou moins précise mais la peinture peut changer radicalement, suivant le cours de mes idées.”

Je tiens à remercier Shani Rhys James pour son temps et sa patience et vous invite vivement à regarder son travail sur son site internet ou sur celui de la galerie Connaught Brown ou elle est exposée jusqu’à début juin.
Prêtez attention à chaque détail, à chaque couleur. Laissez libre cours à votre interprétation. Mais attention, ne voyez aucune mélancolie dans les regards énigmatiques. Il n’en est rien. Ressentez plutôt le calme et l’application apportés à chaque toile. Chacune d’elles est lourde d’émotion et de sens.

‘La rose d’automne dure une saison ; chaque matin elle s’ouvre et tous les soirs elle se ferme. Sois semblable aux roses ; offre des feuilles à l’arrachement des voluptés, au piétinement des douleurs.’
Monelle, Marcel Schwob.

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