L’art à l’ère d’Instagram

L'art à l'ère d'Instagram : quand les musées misent sur une scénographie attractive

En 2018, Instagram a dépassé le milliard d’utilisateurs. Une véritable aubaine pour les entreprises en termes de communication pour toucher un large public. La cible des marques ? Les « millennials », cette génération née avec la technologie, entre la fin des années 80 et les années 2000. Depuis quelques années, la tendance semble se généraliser et toucher les sacro-saints musées, ces temples de la culture, de l’art et de patrimoine historique. Non pas en leur proposant des collaborations mais en attirant ce nouveau type de public entre leurs murs. Alors, les musées à l’ère du numérique, qu’est-ce que ça donne ? 

Afin d’attirer ce public né dans la technologie, les musées déploient diverses stratégies dont le but est de se cultiver tout en ayant l’opportunité de faire des « photos tendances ».

The Egg House, Shanghai

Jouer sur le spectaculaire. 

A l’occasion des 30 ans de la Pyramide du Louvre, impossible, pour qui a Instagram, d’avoir échappé aux multiples photos de l’oeuvre fabriquée par l’artiste d’art contemporain, JR. Ce collage impressionnant posé sur le sol de la Cour Napoléon a toutefois été (très) rapidement détruit. Conséquence : l’oeuvre de JR n’a été visible qu’une seule journée. Ce que l’on peut retenir, c’est que le Musée du Louvre (qui compte 2.8 millions de « followers » et 2.7 millions de hashtags « Louvre » sur Instagram) a parfaitement intégré l’importance et l’influence du réseau social pour accroître son nombre de visiteurs  (y compris virtuels) et de présence sur Internet. 

S’allier avec les célébrités de la pop culture.

Autre stratégie de communication déployée par le Louvre : servir de plateau de tournage. En effet, le Louvre est à l’honneur du clip Apeshit de Beyoncé et Jay-Z. Celui-ci a suscité 166 millions de vues sur Youtube à l’heure où cet article est publié).  Suite à la diffusion du clip vidéo, le Louvre a enregistré une hausse de 25% en termes de fréquentation par rapport à l’année précédente. Selon les sources du site MCE TV, le clip a permis au Louvre de vendre 10.2 millions de billets d’entrée. Un record.

Pour jouer la carte de la pop culture jusqu’au bout, le musée propose un parcours thématique d’une heure trente. Tout en marchant dans les pas du couple, les dix-sept oeuvres que l’on perçoit dans le clip sont expliquées aux visiteurs.

Création de musées éphémères. 

Le but des musées éphémères est de créer de l’engouement médiatique, d’en faire des « places-to-be ». Pourtant, ces musées n’en sont pas vraiment. Pas de présence d’oeuvres d’artistes, pas de commissaire d’exposition, pas de curateur, ces « musées » proposent avant tout des expériences visuelles, aux couleurs souvent acidulées, rappelant les bonbons ou les jouets d’enfance. C’est le cas des musées Candytopia ou The Egg House. Ce dernier est un musée itinérant qui s’est déjà installé à New York et à Shanghai en passant par Los Angeles. Ce type de musées mesure son succès en fonction du nombre de photos postées sur Instagram. En effet, plus il y a aura de photos sur le réseau, plus le musée suscitera de l’envie.

Color Factory, New York

Un concept qui plaît…

Aux États-Unis, ce nouveau concept cartonne.Certains musées, à la base, éphémères sont même devenus permanents. Parmi eux, le très populaire Museum of Selfie à Los Angeles et le Museum of Ice Cream (San Francisco). Ces deux musées proposent une balade au milieu d’installations aux décors doucereux et aux accents pop (avec la possibilité dans le second cas, de se promener cône de glace à la main! Impensable dans les musées « traditionnels. »). 

La scénographie des lieux est étudiée pour être photogénique, pour rendre le lieu « instagrammable » … quitte à s’interroger sur nos propres pratiques. En dehors de la fonction première de ces lieux qui est clairement d’être pris en photo, on se rend compte que l’émergence des réseaux sociaux tels qu’Instagram favorise un culte du narcissisme car ces photos sont prises dans le but de montrer sa présence dans un lieu « à la mode ». Ce type de « musées » démontre ainsi un fait de société qui pourrait devenir inquiétant car il préconise des expériences conçues pour être vécues à travers l’écran de notre téléphone et  par le filtre d’Instagram.

… malgré son prix

De plus, cette démarche a un prix. Pour se prendre en photo au milieu de décors pailletées, il faut compter une trentaine de dollars. À titre d’exemple, l’exposition parisienne la plus chère du moment, Les trésors de Toutânkhamon, à  la Grande Halle de la Villette, coûte, tout au plus, 24 euros. De quoi faire réfléchir. Cette nouvelle génération de musées et ses records en termes de fréquentation pourrait faire croire à un épisode de Black Mirror, focalisée sur une société qui ne vit plus qu’à travers son téléphone et sa soif de popularité sur Instagram. De quoi également inquiéter les musées traditionnels qui paraissent à côté, poussiéreux.

Multiplication des expositions immersives.

Pour palier le côté trop « sérieux » prêté aux musées classiques, on a pu remarquer ces derniers temps la multiplication d’expositions immersives. En France, la société privée Culturespaces en a fait sa spécialité. La société a d’abord créé La Carrière des Lumières, concept initié en 2012, à Les Baux-de-Provence. Fort de son succès, Culturespaces a inauguré il y a un an l’Atelier des Lumières à Paris. La première exposition réservée à Gustav Klimt a attiré plus d’un million de visiteurs en neuf mois. Par comparaison, le Grand Palais a reçu le même nombre de visiteurs pour ses expositions consacrées à Gauguin ou Michael Jackson.  Quant à l’exposition «Picasso. Bleu et Rose » au Musée d’Orsay, elle a été vue par 670.667 visiteurs.

Le succès de ce type d’expositions visuelles a donc de quoi faire pâlir les puristes de l’art. Ceux-ci y voient une source de divertissement plutôt qu’un réel intérêt pour les artistes présentés. Ces propos sont toutefois à nuancer. Effectivement, on peut interpréter ces expositions comme une forme d’initiation ludique à l’art, par exemple, auprès des plus jeunes. 

TeamLab Au-delà̀ des limites, à La Grande Halle de la Villette (Paris)
2018 © teamLab

Les musées aux contenus « instagrammables », un fléau ? 

La réponse n’est pas si simple. Ça ne l’est pas si l’on considère les musées comme des institutions ancestrales, qui intéressent peu les plus jeunes, biberonnés aux téléréalités et aux filtres Snapchat. En s’ouvrant aux nouvelles technologies, aux réseaux sociaux, les musées réalisent la triple performance d’accroître leur chiffre d’affaires en faisant venir plus de monde, de s’offrir une plus grande visibilité sur les réseaux sociaux mais aussi d’attirer un public pas forcément enclin à l’art. L’influence des réseaux sociaux permet ainsi une manière différente de se cultiver, de s’ouvrir à l’Histoire de l’art. Mais il ne faut pas pour autan considérer Instagram comme un nouvel outil de médiation culturelle.

Partons d’une observation toute personnelle : lorsque je me suis rendue à l’exposition consacrée à la Lune au Grand Palais, j’ai entendu une adolescente dire à ses amies que les photographies exposées dans l’une des salles « font trop Instagram » avant de dégainer son portable et de prendre une série de photos, sans prendre la peine de lire les cartels. Un peu plus loin, une scénographie réalisée par l’agence bGc Studio représente un parterre de Lunes éclairées. Tout autour : des personnes assises à même le sol, se prenant en selfie avec les Lunes en question. Certaines attendaient sur les côtés leur tour pour pouvoir prendre les mêmes photos. Sans vouloir pour autant généraliser, on peut se demander si ce public « Instagram » s’intéresse vraiment aux oeuvres d’art présentées, d’un autre point de vue qu’esthétique.

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