Interview : entrez dans l’univers pop post-immigrant de Mentrix

Interview : Entrez dans l'univers pop post-immigrant de Mentrix

L’artiste d’origine iranienne, Mentrix, a tout récemment sorti son premier album My Enemy, My Love, qui nous offre une ode tumultueuse à la féminité. Sa voix onirique illuminée par le soleil d’Iran et ses percussions traditionnelles envoutantes nous transportent dans les terres arides de son pays natal, qui sont pourtant riches de culture et de poésie. Au travers de son oeuvre, la chanteuse utilise, avec humanisme, ses différentes existences en Europe et en Iran, et nous invite à la suivre dans sa quête du Soi. Ô Magazine a eu la chance de la rencontrer.

Samar Rad, de son vrai nom, est une chanteuse d’origine iranienne vivant à Berlin, qui fusionne les sonorités orientales et occidentales avec des chansons lyriques, des boîtes à rythmes et des instruments traditionnels, pour un premier album goth-pop audacieux et lumineux. La chanteuse et compositrice, d’inspiration soufi, puise sa pratique de la musique sacrée dans une exploration séculaire des illusoires dualités de l’Existence et de l’appartenance, à travers ses identités itinérantes entre l’Europe et le Moyen-Orient.

Résumant My Enemy, My Love, Samar dit : “Cet album reflète ma relation avec les mondes contrastés dans lesquels j’ai vécu, avec moi-même et toutes mes errances existentielles“. Son existentialisme lyrique est à la recherche de sens, une ode à ses origines tournée vers l’avenir. À travers un regard nouveau empreint d’occidentalisme, Mentrix nous invite à découvrir avec amour et spiritualité sa terre natale.

Mentrix offre, à travers son album My Enemy, My Love, une vision positive, poétique et mystique de l'Iran
Crédit @ Tomboy Lab

Bonjour Mentrix ! Expliquez-nous un peu votre nom de scène, « Mentrix ». D’où cela vient-il ? Pour vous, qu’est ce que cela signifie ? 

Mentrix : J’ai toujours eu une créativité artistique que je ne savais pas exploiter. Je dessinais, je faisais de la peinture, j’adorais le cinema et la danse… C’est beaucoup plus tard que je me suis tournée vers la musique, pour laquelle je n’avais aucun talent apparent. Cela a donc été — et continue d’être, un parcours d’apprentissage. Et qui dit apprenti, dit maître. J’ai donc façonné ce personnage que j’ai nommé Mentrix. C’est le nom féminin pour mentor que j’ai inventé. Ce personnage est une représentation de moi, mais aussi de ce à quoi j’aspire et de ce qui me guide.

C’est une femme qui a la connaissance qu’elle partage avec moi en abondance. Quand j’ai besoin de guidance et d’inspiration, je me souviens qu’elle est là, qu’elle existe. J’ai été inspirée par les enseignements du Soufisme à ce sujet : l’identité véritable est la source de notre connaissance infinie et innée. Elle guide chaque manifestation de l’Existence. C’est le guide intérieur de chaque être, et Mentrix, je suppose, est la mienne.  

Vous avez inauguré votre propre label, House Of Strength, pour la sortie de votre nouvel album My Enemy, My Love le 3 avril. D’où est venue cette volonté de créer ce label 100% féminin ? 

Mentrix : Je suis fascinée par les Zourkhaneh, ces lieux où les hommes se retrouvent pour s’entraîner ensemble et conserver un esprit de fraternité, de solidarité… La force est dans l’esprit et ce concept me plaît. J’aimerais avoir un lieu pareil pour nous les femmes ! J’ai pensé que, musicalement, ce lieu pourrait exister ; un lieu pour la musique fait par des femmes, avec cet esprit de rébellion et de solidarité féminine, mais aussi un lieu musicalement audacieux. J’espère pouvoir utiliser mon label afin de donner la voix à d’autres femmes.

A travers vos clips Nature et Walk, on ressent que vous faites une ode aux femmes : alors qu’en France, le voile est de plus en plus diabolisé, vous avez voulu magnifier ces femmes. Pourquoi ? 

Mentrix : J’avais envie de montrer les iraniennes et mon pays de manière positive. Aussi, il fallait faire ceci dans le cadre de ce qui est possible de faire en Iran. J’ai donc montré des femmes voilées certes, mais chacune à leur manière. Car la réalité étant qu’il y a de tout : celles qui le portent et celles qui aimeraient ne pas le porter. De plus, en Iran, le voile est très détendu en comparaison à d’autres pays du Moyen-Orient ; et ça, je le montre aussi.

Vos titres Nature et Walk par exemple, sonnent comme un appel à la révolte féminine. Qu’est ce que cela signifie pour vous ?

Mentrix : Je ne crois pas à la révolte, mais à l’unité et la solidarité. Plus on s’accepte les unes et les autres, plus on connaîtra la prospérité. Si j’invite à quelque chose, c’est surtout à cela. 

D’ailleurs sur votre pochette d’album, on vous voit très “libérée”, d’un point de vue occidental. Pour vous qui avez baigné dans deux cultures opposées, une femme libre, qu’est ce que c’est ? 

Mentrix : Très bonne question. S’accepter tel que l’on est, aide à accepter les autres. Et plus on accepte les autres, moins on juge. Et par conséquent, moins on réagit. M’accepter telle que je suis est encore une aventure qui est loin d’être finie. Se défaire de ses propres jugements est certainement la chose la plus difficile à faire… La liberté est le fruit de cette délivrance. La liberté, c’est ne plus réagir, mais agir, selon sa propre identité, sa propre essence. Je suis fière de cette pochette, elle continue de me libérer chaque jour qui passe.

Sur un plan plus spirituel, pouvez-vous nous dire ce qu’est le Soufisme ? Vous y avez beaucoup puisé votre inspiration pour la création de votre album.

Mentrix : Le Soufisme enseigne que l’individu est une unité existentielle véritable et globale. Il manifeste donc les principes éternels de l’Existence. Cependant, à cause de nos déséquilibres, nous ne sommes pas conscients de la vérité de notre être et nous ne faisons l’expérience que d’une partie limitée de notre Soi. Le Soufisme enseigne les principes de la connaissance de soi.  En effet, toute mon inspiration musicale puise dans les merveilleux enseignements du Soufisme. 

J’ai un lien très particulier avec la France, et ne pas être parvenue à obtenir la nationalité française fut une grande déception.

Qu’est ce que vous appelez la “post-immigrant pop” et qu’est ce que cela représente pour vous ?

Mentrix : L’artiste MIA est probablement un bon exemple. D’une part, je fais partie d’une génération qui a vécue l’immigration en Europe et qui est donc sensible à la question d’identité. D’autre part, Pop parce que tout artiste aimerait être populaire. Non pas dans le sens d’une ambition de faire de la musique mainstream. J’ai vu “post immigrant pop” sur le profil de quelqu’un sur Instagram ; je lui ai tout de suite écrit pour lui dire que je m’appropriais le genre ! J’espère que je parviendrais à l’établir comme un genre qui qualifie tout type de musique mélangeant des influences “monde” et “pop rock électro”. 

Tout au long de votre album My Enemy, My Love, vous jouez du daf*. Vous dites que dans le Soufisme, le daf est un “appel à l’éveil“. A quoi souhaiteriez-vous que l’on s’éveille lorsque l’on écoute votre album ?

*le daf est un instrument à percussion traditionnel issu de la culture iranienne. Il se joue notamment pour accompagner les chants spirituels soufi.

Mentrix : Oh, je n’ai aucun souhait de ce genre *rires*. J’espère que ma musique trouvera sa tribu, comme toute musique trouve sa tribu… Le reste est une histoire personnelle pour chaque auditeur.

Si je puis me permettre, je souhaiterais aborder la musique dans l’Islam : comment est reçue votre musique en Iran ? Il me semble que la musique est interdite en Islam…

Mentrix : En effet, de la même manière que l’Église et l’État condamnaient certaines musiques aux États-Unis, notamment dans les années 1950. On constate ces mêmes restrictions au sujet de la musique, dans les pays dits « musulmans ». Cependant, vous seriez surpris de voir à quel point la musique dite légale a évoluée pour compter, entre autre, la musique électronique dans son répertoire. Donc la question n’est pas religieuse. C’est toujours pareil, les mesures de censures s’adressent surtout aux femmes ; mais ceci est plutôt une question de société patriarcale que d’Islam.

Dans vos musiques, vous chantez en anglais et non en persan, est-ce significatif ? 

Mentrix : J’ai passé tellement de temps à l’Ouest qu’automatiquement je m’exprime en anglais. Je conserve néanmoins les mélodies et sonorités iraniennes qui définissent bien l’album. Dans les prochains projets par contre, je pense explorer le chant persan davantage et qui sait… chanter en persan !  

D’ailleurs, j’ai été surprise de savoir que notre échange allait se faire en français. J’ai appris que vous vous étiez réfugiée à Paris pendant la guerre en Iran. Plus tard, vous avez retrouvé votre terre natale, pour la quitter de nouveau afin de poursuivre vos études en France. Entretenez-vous un lien particulier avec la France ?

Mentrix : C’est exact, j’ai un lien très particulier avec la France, et ne pas être parvenue à obtenir la nationalité française fut une grande déception pour moi. J’ai quitté Paris pour l’Angleterre en 2011. Mais je dois dire que je ne le regrette pas. C’est en Angleterre que je me suis permise d’explorer la musique comme médium. La mentalité anglaise est très différente de la mentalité française, surtout lorsqu’il s’agit de musique. En Angleterre, s’exprimer de manière originale est plus valorisée qu’un parcours académique en musique. En France, c’est l’inverse… Aujourd’hui je vis à Berlin où il y a d’autres mentalités qui me plaisent. C’est rafraichissant après l’Angleterre. On dit que les anglais sont trop polis pour être honnêtes et les allemands trop honnêtes pour être polis *rires*. Mais la France me manque, j’y ai mes amis et ma famille à qui je rends souvent visite… 

Vous avez dit que vous viviez à Berlin, pourquoi cette volonté de transmettre votre lien à vos origines à travers vos oeuvres lyriques et cinématographiques ? 

Mentrix : En puisant en moi, c’est ce qui m’inspirait et c’est ce qui me fascine. La culture iranienne est très riche. Le pays est magnifique. Il y a tant à partager. Puis, c’est aussi mon histoire, ou du moins, une dimension de mon histoire… Mon pays, ma culture, tout cela, ce sont des outils qui me permettent de m’exprimer. Je ne pourrais pas m’exprimer en japonais par exemple *rires*.

“Ce sentiment d’appartenir qu’en apparence”.

Mentrix
Mentrix offre, à travers son album My Enemy, My Love, une vision positive de l'Iran.
crédit @ Tomboy Lab

Le thème de dualité est très présent dans votre oeuvre : My Enemy/ My Love ; Occident/Moyen-Orient ; Immigrant/déserteur. Comment avez-vous vécu cette dualité ? Comment êtes-vous arrivée à l’harmoniser dans votre album ? 

Mentrix : C’est tout un chemin et on revient à ce qu’on disait : s’accepter. Ces contradictions furent longtemps source de mécontentements et tensions intérieures. C’est grâce à une pratique spirituelle qui invite à la stabilité et à l’abandon de ce qui est inutile que j’ai pu canaliser ces sentiments et créer quelque chose de ce tumulte. 

Vous avez dit dans une interview “il fut un temps où je me sentais comme une étrangère dans les deux pays”. Comment aujourd’hui gérez-vous cette double identité ? 

Mentrix : Aujourd’hui je me sens de plus en plus libérée. Sans doute parce que je ne vis plus à Paris, et sans doute parce que je ne m’exprime plus tous les jours dans une langue que je maîtrise parfaitement et cela, sans accent, uniquement pour casser ensuite le charme en dévoilant que je ne suis pas française. J’étais on ne peut plus intégrée. Mais ce n’était pas suffisant, et ça je le vivais très mal. Ce sentiment d’appartenir qu’en apparence. Aujourd’hui, je suis de nationalité anglaise, je vis à Berlin et parle allemand avec un sacré accent français et mal en plus ! J’accepte avec un sourire l’immigrée que je suis, et je dis, quand on me demande, « je suis Iranienne ». 

Aujourd’hui, il y a une réelle volonté des jeunes descendants d’immigrés de renouer avec leurs origines. Le podcast L’Atay, par exemple, permet à un groupe de jeunes maghrébins d’origine, de se retrouver afin de parler de leur rapport à leurs racines et à leur culture en France. Pourquoi ce retour aux sources à votre avis ?

Mentrix : C’est entièrement naturel. Néanmoins, au-delà de la société française ou d’autres sociétés d’ailleurs, il faut prendre conscience que l’être humain cherche à se connaitre. La connaissance du vrai Je — comme l’enseigne le Soufisme, nous révèle notre identité réelle et notre vraie valeur. Ce retour à l’origine est une quête de connaissance. Qui suis-je ? Fascinante question. La réponse va certainement au-delà de nos couleurs. 

Pour finir, où peut-on retrouver votre album My Enemy, My Love ? Sur quels réseaux pouvons-nous vous retrouver afin que l’on puisse continuer de vous suivre ? Enfin, quels sont vos projets pour l’avenir ?

Mentrix : L’album est sur toutes les plateformes de streaming. Le vinyl est accomagné d’un print limited edition signed and numbered by artist Samira Hodaei, une artiste iranienne qui a realisé la pochette. De plus, il existe un download code pour ceux qui n’ont pas de lecteur vinyl à la maison. On peut le commander sur Bandcamp. Pour me suivre, follow me on Spotify @ Mentrix ! Je sors un EP de remix le 6 Mai. Je viens de faire un DJ set pour Deep House Tehran, ça sera sur SoundCloud ce dimanche 26 Avril. Mixtape et d’autres trucs sympa dans les tuyaux… Oh, et bien sûr suivez moi sur Facebook et Instagram aussi ! @mentrixmusic

Laissez-vous emporter par le film spirituel et enivrant MENTRIX MIND EXPANDING MAZE de Mentrix, réalisé par l’artiste français Emile Barret. Ce film, initialement destiné à être projeté lors de sa tournée, nous emmène en voyage à la découverte des lieux qui ont marqués la création de My Enemy, My Love. Laissez-vous séduire par les titres phares de son nouvel album, Nature et Walk, et le rythme mystique et exaltant d’une exploration puissante de la féminité résiliante et de l’appartenance entre les cultures orientales et occidentales.

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