Voilà une question que se posent les êtres humains depuis bien avant l’époque de la Grèce antique. Martin E. P. Seligman, professeur de psychologie à l’Université de Pennsylvanie, dans son livre Flourish, propose, à son tour, une réponse qui se fonde sur une « démarche scientifique prudente ». L’auteur met de l’avant l’idée qu’être heureux, connaître le bonheur, c’est « s’épanouir ». Ce verbe signifie, dans son sens propre, « s’ouvrir » en parlant des fleurs et, dans son sens figuré, appliqué à l’être humain, « se développer librement dans toutes ses possibilités ». On peut aussi lui donner le sens de « développer son humanité dans toute sa richesse ». Selon la théorie de Seligman, pour s’épanouir, l’être humain doit développer son bien-être à partir de 5 éléments essentiels mesurables. Ces éléments contribuent tous au bien-être sans qu’aucun ne puisse le définir à lui seul.
Le premier élément consiste à vivre des émotions positives. Seligman considère l’émotion positive comme une variable subjective définie par ce que nous pensons et ce que nous ressentons. Certains plaisirs (par exemple : le chocolat, l’alcool, l’orgasme, les massages, l’achat de vêtements ou d’appareils électroniques au goût du jour, etc.) suscitent en nous des émotions positives. Mais, le « bonheur » qu’ils nous procurent ne dure pas, nous nous y habituons rapidement, et nous risquons avec le temps de développer des problèmes de dépendance. Selon Seligman, les émotions positives que nous procure l’utilisation de nos forces personnelles dans des activités dans lesquelles nous nous sentons totalement engagés, parce qu’elles sont plus gratifiantes et durables, contribuent davantage au bien-être. Les plaisirs de la vie sont sans doute essentiels au bien-être, mais nous devons apprendre à les savourer et à les vivre dans la pleine conscience, sans oublier qu’à eux seuls ils ne mènent pas à l’épanouissement.
Le deuxième élément consiste à s’engager dans des activités qui nous permettent de vivre un état d’expérience optimale, de « flow ». Dans une expérience optimale, la perception du temps est altérée, la préoccupation de soi disparaît et nous ne faisons qu’un avec la tâche. Nous vivons ce genre d’expérience lorsque nous déployons nos plus grandes forces pour relever des défis exigeants mais qui sont tout de même à notre portée. Cette expérience est similaire pour un très grand nombre d’activités : pour certains ce sera la pratique d’un sport ou d’un instrument de musique par exemple, alors que pour d’autres, ce sera la lecture d’un livre ou un jeu vidéo. Multiplier ces expériences de « flow » contribue au bien-être d’une personne.
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Le troisième élément consiste à vivre des rapports humains positifs. Selon Seligman, les bonnes relations avec les autres constituent peut-être la source la plus importante de satisfaction et de bien-être émotionnel et ce, quelque soit l’âge ou la culture. Cette idée rejoint aussi la vision du mouvement Action for Happiness (présenté dans une chronique précédente), pour qui les relations interpersonnelles positives constituent le plus important facteur externe associé au sentiment de bonheur. De tous les exercices, validés par les recherches, qui permettent de créer des rapports humains positifs, celui de poser des gestes de gentillesse semble le plus contribuer au bien-être des gens.
Le quatrième élément consiste à donner un sens à notre vie, en choisissant de contribuer à quelque chose de plus grand que soi. Dans un de ses précédents livres, le chercheur suggère des façons de donner un sens à notre vie. Nous pourrions, choisir une vie vouée à l’accroissement des connaissances : étudier, enseigner ou éduquer nos enfants; contribuer à l’évolution de la science, à la création littéraire ou au journalisme, etc.; construire nos vies autour de ce qu’il appelle l’accroissement du pouvoir d’action, à travers les technologies, le génie, les soins de santé ou la production manufacturière; ou encore, consacrer nos vies à l’augmentation de la bonté dans le monde en œuvrant dans des domaines comme le travail de policier, l’éthique, la politique, le service national, les œuvres caritatives, etc. Ainsi, une vie où nous utiliserions nos forces personnelles pour augmenter la connaissance, le pouvoir d’action et la bonté favoriserait un plus grand bien-être.
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Le cinquième élément est celui de s’accomplir, c’est-à-dire de se réaliser et de progresser vers l’atteinte de buts qui contribuent à donner un sens à notre existence. Atteindre les meilleurs résultats possibles dans tout ce que nous sommes capables de réaliser exige certes de l’habileté et des efforts, mais plus grande est la distance parcourue entre notre point de départ et nos objectifs, plus grand est le sentiment d’accomplissement qui contribue à notre bien-être.
Si on résume : selon cette théorie, pour être heureux, dans le sens de s’épanouir, il faut un « heureux mélange » d’émotions positives, d’expériences optimales, de rapports humains positifs, de connexion à quelque chose qui nous transcende et du sentiment de s’accomplir. Ensemble, ces éléments favorisent un état de bien-être qui sous-tend notre épanouissement humain et contribue au développement de toutes nos possibilités.