En vous promenant aux abords de Paris, dans le Square Renaudel de Montrouge, vous vous retrouverez nez-à-nez avec une drôle de bâtisse. Cabane ? Structure pour entreposer du matériel de jardinage ? Cet abri de fortune construit autour d’un banc préexistant et d’un réverbère qui en perce le toit intrigue les passants. Il s’agit en fait d’une œuvre d’art. Nous avons donc pris rendez-vous avec l’artiste Baptiste César qui est à l’origine de cette construction. Ce dernier est spécialisé dans les installations à base de matériaux de récupération qu’il expose dans l’espace public. Dans l’interview qu’il nous a accordée, il nous explique sa démarche…
Article rédigé par : ZIEL Jérôme
Né en Corse, Baptiste César passe une partie de son enfance sur l’Île de Beauté. Puis il fait ses collège et lycée en Provence, près d’Avignon. « J’ai très tôt aimé l’art plastique, explique-t-il. Je trouvais que c’était très émancipateur pour mon imaginaire ». À 18 ans, il est admis à la Villa Arson de Nice où il obtient son Diplôme national d’expression plastique.
Puis il se spécialise dans le domaine de l’art dans l’espace public, en post-diplôme à la Haute École d’Art et de Design de Genève. C’est là qu’il fait ses premières déambulations dans la ville, intégrant des éléments du paysage urbain dans ses œuvres. « Cette pratique a depuis perduré dans mon travail artistique ».
Baptiste César, un artiste de l’économie circulaire
À la sortie de ses études, il passe par plusieurs résidences d’artistes qui lui permettent de travailler dans différentes villes, avec de nouvelles personnes, en variant ses points de vue, matériaux, etc. « Par une sorte d’effet mimétique, mes œuvres devenaient très différentes en fonction des lieux dans lesquels je me trouvais ».
En 2017, alors qu’il est en résidence à la Villa Belleville (Paris) pendant six mois, se produit chez Baptiste un basculement vers l’art en économie circulaire. C’est là qu’il fabrique un radeau de fortune à partir d’éléments de récupération trouvés dans le quartier de Belleville. « L’idée consistait à construire une embarcation pour descendre le canal voisin jusqu’au bassin de la Villette. La réutilisation de matériaux récupérés dans mon voisinage immédiat m’a ouvert de nouvelles perspectives. Cela a vraiment changé ma pratique. La récupération, ou upcycling, est même devenue le fil rouge caractérisant mon travail depuis lors ».

Au commencement : Baptiste fait un rêve…
Au commencement, les organisateurs du Salon de Montrouge d’art contemporain avait lancé un concours à l’attention d’anciens participants du Salon, soit une douzaine de candidats. Après avoir ‘shortlisté’ les projets en n’en retenant que deux, dont celui de Baptiste, ils ont appelé les Montrougiens à voter pour les départager. « Je trouvais que le recours à la démocratie participative pour sélectionner une œuvre d’art installée dans la ville était intéressant », nous confie Baptiste.
Tout en réfléchissant au projet qu’il allait proposer à la municipalité, Baptiste déambule dans la ville, conformément à son habitude. « Je souhaitais en effet m’insérer dans la ville pour m’imprégner de sa topographie et de sa sociologie. Je trouvais qu’il n’y avait pas beaucoup de lieux où se mettre à l’abri. Alors que j’étais dans un parc, j’ai été surpris par une grosse averse, sans aucun endroit à proximité où me réfugier. Je me suis dit à ce moment-là qu’il serait vraiment intéressant de faire un petit abri dans lequel les gens pourraient venir se réfugier ».
Outre cette préoccupation première, Baptiste s’est inspiré du surréalisme. « J’aime bien le côté surréaliste d’une architecture dont on ne sait pas très bien à quoi elle sert ». Notre artiste construit par conséquent son Abri de fortune autour d’un banc public préexistant, sur lequel le public peut venir se reposer. À côté de ce banc, se trouve un réverbère dont le sommet dépasse du toit de la cabane. Baptiste a pensé plus particulièrement au jeune public, dont l’imaginaire entrerait immédiatement en résonance avec cet univers de la cabane. Il y a du Miyazaki dans l’Abri de fortune de Baptiste. Il fait aussi penser à l’allumeur de réverbère, l’un des personnages-clés du Petit Prince de Saint-Exupéry…
Baptiste souhaite que son Abri de fortune soit synonyme de repos et de méditation pour toutes celles et ceux qui auraient besoin de s’isoler du monde, ne serait-ce que pendant un court instant. « Cela peut être pour lire, discuter ou simplement rester tranquille. L’Abri restera ouvert à toutes et à tous. Chacun s’appropriera ce lieu public comme il le souhaite ».
Une installation cabalistique
Beaucoup ont vu dans cet abri une petite chapelle, en raison du vitrail qui en orne le mur du fond. En fait, il s’agit d’une grille d’arbre transformée en rosace, grâce à l’ajout de résines colorées. Cela donne au lieu un côté mystique. L’abri compte également nombre de symboles ésotériques, à l’image de ces fenêtres en forme de queues de paons. Il s’agit en fait du motif des routes parisiennes. Les pavés qui ornent les ouvertures reprennent ainsi le motif récurrent des grandes places de la ville.
Chaque ouverture offre en outre une transparence entre les pavés de granit qui viennent atténuer les rayons du soleil. « J’ai employé sept types différents de granit venant de toutes les régions de France. J’ai inséré les pavés dans un moule en bois et en métal, après y avoir fait couler de la résine ». Après séchage, Baptiste démoule l’ensemble. Cela donne un élément extrêmement solide, tout en demeurant translucide. En effet, la lumière du jour filtre entre les pavés. L’élément dans son ensemble pèse 120 kg. L’installation de chaque « fenêtre » a donc représenté une petite prouesse technique en soi. Baptiste est néanmoins satisfait du résultat. « On dirait que les pavés flottent en l’air », fait-il remarquer.
Tous les éléments utilisés pour le chantier de l’Abri de fortune proviennent du service du mobilier urbain de la Ville de Paris. « Ils me les ont cédés pour que je puisse réaliser cette œuvre qui les a séduits. L’Abri de fortune est empreint de cette idée-là : représenter un condensé d’éléments de décor urbain. À commencer par le banc parisien typique, le réverbère, etc. »
Un Abri de fortune fait de bric et de broc et ouvert à tous
Certes, l’architecture de l’Abri de fortune est imparfaite, car elle est visiblement constituée de bric et de broc. Les petits défauts, les petits jours rappellent qu’elle est faite de matériaux de récupération réadaptés, réemployés. La charpente est ainsi réalisée en bois de palettes récupérées. La couverture en métal provient de gros tuyaux en inox des gaines d’aération des immeubles.
Baptiste assume ce côté « un peu bricolé. Le but n’était pas d’obtenir un résultat parfait. Quand on parle d’abri de fortune, on a souvent en tête une structure un peu précaire pour laquelle on utilise les éléments qu’on a sous la main, que l’on trouve dans son environnement immédiat ». En l’espèce, les éléments « autour » proviennent du Grand Paris. Le réverbère agit comme un point d’ancrage qui vient fixer l’architecture générale.
Les projets de Baptiste César
Prochaines étapes dans le parcours de Baptiste : la réalisation d’une œuvre in situ à Breil-sur-Roya, près de Nice. Il s’agira d’un travail en collaboration avec l’association Entre Deux . Cette dernière a créé un festival dans ce village isolé sur les hauteurs, ayant récemment subi des inondations catastrophiques. Par ailleurs, Baptiste participera à une exposition au Palais de Tokyo sur le thème de la foule. Il y présentera des photographies de vitrines barricadées prises pendant le mouvement des gilets jaunes. « J’aimais bien le travail minimal auquel ces vitrines renvoyaient ».

L’Abri de fortune situé dans le Square Renaudel, au 118 avenue Jean-Jaurès, 92120 Montrouge, a été officiellement inauguré le 3 juin dernier. Il sera ouvert au public pour l’été 2022. Un évènement y sera organisé les 9 et 10 juillet prochains par des médiateurs qui en profiteront pour évoquer le projet avec le public.