Prostitution des mineures : un état des lieux alarmant

Prostitution des mineures : un état des lieux alarmant

Il existe peu de données concernant la prostitution des mineures en France. Cependant, les chiffres annoncés dans le 5ème rapport mondial de l’exploitation sexuelle font froid dans le dos. En effet, selon la Fondation Scelles, entre 5000 et 8000 mineures se prostituent en France. Un phénomène qui ne cesse de croître et qui touche des filles de plus en plus jeunes. Quelles sont les raisons qui expliquent ces chiffres ? Il y a quelques jours (le 4 mars) avait lieu la douzième journée mondiale de la lutte contre l’exploitation sexuelle, l’occasion de revenir en détail sur ce phénomène alarmant.

La prostitution des mineures : état des lieux 

Les victimes

Les jeunes filles mineures touchées par la prostitution viennent de tous horizons sociaux. Néanmoins, dans les études menées au sein de la brigade des mineurs et par les organismes de protection de l’enfance, les chiffres montrent que la plupart sont en rupture avec leurs proches, déscolarisées et 50% d’entre elles ont subi des violences familiales avant de tomber dans la prostitution. La majorité de ces jeunes sont également issues de milieux paupérisés. Parmi elles, des jeunes filles de banlieue, bercées par l’illusion de l’argent facile, tombent dans la prostitution volontairement. Elles espèrent grimper l’échelle sociale, encouragées par d’autres filles affichant fièrement leurs sacs à main de marque.

Les proxénètes

Les proxénètes de banlieue

La prostitution est devenue légion dans les cités, plus simple à mettre en place que le trafic de drogue et moins risquée pour les jeunes délinquants qui se “reconvertissent” en proxénètes. Un “mac” 2.0 pouvant se faire jusqu’à 200 000 euros par an avec une seule fille. Certains idéalisent leur fonction, préférant se faire appeler des “protecteurs” car ils évitent à leurs “filles” de se faire frapper. Dans ces zones, le proxénétisme s’organise en petits réseaux, faciles à dissimuler. Ce sont souvent des “copines” qui recrutent de nouvelles “belles-de-nuit” contre des primes pouvant aller jusqu’à 350€ par recrue.

Les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux tels que Facebook ou Snapchat favorisent grandement le proxénétisme. En effet, les nouvelles proies, sont repérées sur les réseaux sociaux. Les recruteurs cherchent des jeunes filles de 13 à 16 ans qui semblent vulnérables. Elles sont ainsi attirées et mises en confiance avant d’être prises dans l’engrenage d’une dépendance affective. Au delà du terrain de chasse qu’offrent Facebook ou Snapchat, c’est aussi l’impression d’anonymat qu’internet procure qui favorise la prostitution juvénile. Et pour cause, 50% des mises en relation avec des clients potentiels se font sur les réseaux sociaux. Les proxénètes font ensuite réserver des chambres d’hôtel ou des appartements, par les jeunes filles en leur nom. Ainsi, ces hommes s’assurent de ne pas être inquiétés par la justice.

Les loverboys

Quand ce ne sont pas des “copines” qui font entrer les filles dans les réseaux de prostitution, ce sont les loverboys qui s’en chargent. Ces hommes, souvent à peine plus âgés que les mineures prostituées, font office d’appât. Ils recrutent de jeunes filles vulnérables en leur faisant miroiter l’amour et l’argent. Ils manipulent ensuite leurs “conquêtes” en devenant autoritaires et violents. Les filles deviennent dépendantes de leurs “prétendants”, comme prises au piège.

Explosion de la prostitution chez les mineures : les causes

La prostitution comme porte de sortie

Pour certaines filles qui ont connu la violence à la maison, un régime patriarcal très autoritaire ou un niveau de vie précaire, la prostitution apparaît comme un moyen d’arriver à leurs fins. Tel un ascenseur social, certaines parlent d’une étape obligatoire pour être enfin indépendantes et à l’aise financièrement. Leur volonté dépend souvent des expériences de recherches d’emploi qu’elles ont eu auparavant, la plupart étant déscolarisées. Privées d’aides sociales et sans emploi, la prostitution semble devenir un recours acceptable pour manger à leur faim.

L’effet michetonnage

Le michetonnage est le terme qui désigne la relation qu’entretient une jeune femme (issue d’un milieu populaire) avec un homme plus âgé contre des cadeaux ou de l’argent. C’est une forme de prostitution que nient les jeunes filles qui la pratique. Vulnérable, elles ont pourtant l’impression de dominer la situation face à des hommes qui profitent de leurs faiblesses.

La prostitution rendue glamour

Zahia Dehar

Plusieurs phénomènes expliquent que la prostitution soit rendue glamour. La première concerne Zahia Dehar. En 2000, cette dernière avait entretenu des relations avec des joueurs de l’équipe de France de football. Elle a commencé à se prostituer à l’âge de 16 ans dans le milieu haut de gamme. Aujourd’hui, la jeune femme âgée de 28 ans est devenue célèbre avec le mannequinat et la création de lingerie. Elle qui était issue de l’immigration et d’un milieu populaire a réussi. Beaucoup de jeunes femmes qui rêvent d’indépendance financière et de célébrité rêvent de faire de même et s’identifient à elles. À leurs yeux, la prostitution n’est qu’une étape (obligatoire) vers la célébrité.

Le regard de la société

Le deuxième phénomène qui explique la “glamourisation” de la prostitution auprès des mineures réside dans les termes de langage utilisés. Derrière les “loverboys” se cachent en réalité des prédateurs.
Enfin, la société fantasme la prostitution, les passes s’exécutent désormais dans des appartements réservés à cet effet, on parle parfois de la prostitution de luxe. Loin des rues, les filles évoluent dans un monde feutré où l’argent est omniprésent.

Evolution des mœurs

La société de consommation

La publicité omniprésente crée un besoin de posséder un maximum de biens, afin de coller à la norme, fondée sur la société de consommation. Cette norme entretient un sentiment de frustration auprès des jeunes qui ont besoin de se sentir appartenir à un groupe. Cela peut expliquer, en partie, la volonté de certaines adolescentes dans les quartiers paupérisés à se prostituer pour disposer d’un plus grand pouvoir d’achat. 

La télé-réalité

Les mœurs dans notre société ont également évolué avec la télé-réalité. Ces émissions qui mettent en scène de jeunes hommes cherchant la “femme idéale” n’hésitent pas à banaliser la sexualité à coup de femmes dénudées et de scènes osées. Difficile pour l’auditoire, majoritairement mineur, de distinguer ce qu’il se passe dans ces émissions, qui font la promotion d’une sexualité débridée, l’exact opposé de l’intimité et excluant l’amour, et la réalité. 

Les dangers liés à la prostitution des mineures

Les conséquences morales

Les conséquences de la prostitution sur la santé mentale et physique sont terribles. Pour commencer, l’automatisation d’actes sexuels non consentis augmente les risques de troubles de dissociation. De manière générale, les victimes possèdent une faible estime d’elles-mêmes et souffrent entre autres choses d’insomnie, de dépression ou d’anxiété.
Plus les victimes entrent tôt dans les réseaux de prostitution, plus les conséquences sont ancrées dans leur fonctionnement.  Sur le long terme, la prostitution implique également une forte hausse de risque de suicide ou de dépression sévère.

Les conséquences physiques

Les mineures victimes des réseaux de prostitution souffrent également de nombreux troubles physiques comme l’impossibilité de ressentir quelque chose par exemple. En cas de choc post traumatique, il n’est pas non plus rare qu’elles tombent dans l’alcoolisme ou la toxicomanie. Le manque de préservatif entraîne un risque accru d’être contaminé par des IST pouvant mener à des cancers de l’utérus, des hépatites, le SIDA ou des infections. Ces risques sont d’autant plus graves, qu’en général, ces jeunes filles n’ont pas un bon accès aux soins.

Les conséquences sociales

Dans le cadre professionnel, les jeunes filles qui sortent des réseaux de prostitution sont freinées par la peur de tomber sur d’anciens clients ou proxénètes et d’être à nouveau sous leur autorité. Elles éprouvent aussi des difficultés à être prises au sérieux par l’absence de formation ou de CV. Sur le plan social, la crainte qu’éclate au grand jour leur situation (notamment à la famille et aux amies) peut conduire à l’isolement. Dans le cadre maternel, certaines jeunes femmes avouent avoir peur qu’on leur retire la garde de leurs enfants suite à leur passé de prostituée.

De manière globale, les mineures qui ont connu la prostitution sont stigmatisées par la société et considérées davantage comme des “criminelles” que des victimes.

Des pistes pour lutter contre la prostitution des mineures 

Les propositions des associations

Quand des réseaux de prostitutions sont démantelés, la moitié des mineures prostituées de gré ou de force sont placés. Les foyers ou les familles d’accueil ne semblent pourtant pas être une solution envisageable puisque la plupart du temps, les mineures fuguent et retournent à la prostitution. C’est pourquoi, le rapport et les associations de protection de l’enfance préconisent la création de foyers destinés aux victimes mineures de la prostitution. Ces foyers proposeraient des groupes d’échanges pour les jeunes filles et des formations spécifiques pour le personnel encadrant. 

Sensibilisation des jeunes contre la prostitution des mineures

Le youtubeur français Axel Lattuado et la fondation Scelles ont réalisé une vidéo de sensibilisation “Et tout le monde s’en fout : la prostitution des mineurs” directement adressée aux jeunes. Toujours sur Youtube, les jeunes peuvent également trouver la page de l’association ACPE (Agir contre la Prostitution des Enfants). Par le biais de nombreuses actions, l’association ne cesse d’alerter la population et les mineurs en particulier sur les dangers de la prostitution. Parmis les plus notables,  les campagnes d’affichage ou encore la création d’un numéro spécial du Petit Quotidien, à télécharger gratuitement et  à destination des enfants, de leurs parents  et des établissements scolaires. Le site de l’association fournit également de nombreux outils pédagogiques pour les professionnels de l’enfance ou les jeunes. 

Image choc de la dernière campagne de prévention menée par l'ACPE qui agit contre la prostitution des enfants.
Affiche choc de l’ACPE

Selon l’Etat, la prostitution des mineures est encore taboue. C’est pourquoi en décembre 2018 l’Assemblée Nationale a proposé une nouvelle loi. Cette loi poursuit deux buts. Dans un premier temps, lutter contre le déni collectif, le monde de la prostitution et ses pratiques souffrent de nombreux préjugés très ancrés. Et, dans un second temps, adapter la législation aux spécificités de la prostitution chez les mineures. Cette initiative semble pertinente, mais, comment faire évoluer une loi face aux dynamiques de la prostitution via internet, qui fournit un cadre anonyme et discret aux réseaux de prostitution ? Face à cette difficulté, il est urgent que la prostitution des mineures, même quand les jeunes filles ne se sentent pas victimes, soit considéré comme un viol. En attendant, la prévention doit s’opérer tant chez les jeunes susceptibles de se prostituer qu’auprès de leurs parents et des institutions.

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Sources :
L’association Agir Contre la Prostitution des Enfants
L’association de Scelles

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