Le syndrome Méditerranéen

“Elle m’a dit ‘elle va mourir’. Ben ça s’entend, hein ! ‘Elle va mourir’…” Ces paroles d’une opératrice du SAMU ont choqué la France. Après la mort tragique de Naomi Musenga, beaucoup ont supposé qu’elle avait été une victime du syndrome Méditerranéen. Le monde médical a-t-il une tendance à discriminer les patients de type “Méditerranéen” ? Pourquoi certains patients voient-ils leurs douleurs systématiquement minimisées par le personnel médical ?

Qu’est-ce que le syndrome Méditerranéen ?

Le syndrome méditerranéen désigne la tendance à penser qu’un patient (souvent une patiente) exagère ses symptômes et ses douleurs. On l’appelle méditerranéen car il toucherait en priorité les personnes qui semblent originaires de cette zone (par leur apparence ou par leur accent) : que ce soit le sud de la France, l’Italie, l’Espagne ou le Maghreb. Cependant, cette définition s’étend aujourd’hui à d’autres zones géographiques et ethnies, notamment l’Afrique subsaharienne et l’Amérique latine. Le syndrome méditerranéen est donc un concept utilisé pour décrire une situation où un.e patient.e ne reçoit pas de traitement adéquat à cause d’une discrimination raciale/ethnique ou sexiste. Il désigne aussi l’existence de croyances discriminatoires au sein du monde médical sur la manière de ressentir la douleur.

Les douloureux récits de souffrances ignorées

L’histoire de Naomi Musenga

L’exemple de Naomi Musenga a choqué la France entière. En décembre 2018, la jeune femme décède d’une crise cardiaque après avoir fait une overdose de paracétamol. Elle avait sollicité plusieurs fois les services d’urgences et le SAMU, mais ceux-ci ont minimisé la gravité de ses douleurs. L’opératrice a qui parle Naomi refuse d’entendre ses plaintes, et la redirige vers SOS Médecins. Certains nient la possibilité d’une discrimination ethnique, puisque l’opératrice n’a jamais vu Naomi, elle a juste entendu sa voix.

Mais, cela n’empêche que son mépris semble lié au fait qu’il s’agit d’une jeune femme. En effet, les opératrices la dépeignent comme une jeune femme qui exagère ses douleurs menstruelles. De fait, tout ce qui est dit par Naomi est pris à la légère. Les moqueries des opératrices lui donnent une impression simplette, naïve, comme s’il ne s’agissait pas d’une adulte. Le ton de l’opératrice du SAMU évoque un certain mépris. Non seulement elle ne la croît pas, mais elle ne lui donnera même pas de conseil ou de renseignements pour qu’elle puisse se soigner. L’opératrice a reconnu avoir manqué de professionnalisme durant son échange avec Naomi.

“Oui, vous allez mourir. Ah, certainement un jour, comme tout le monde.”

Opératrice du SAMU.

De plus, nous pouvons entendre sa collègue sapeuse-pompière insister sur le fait qu’elle a ses règles. Avec cette information, elle rejette complètement la gravité de ses douleurs abdominales. Cela rappelle bien le tabou qui existe encore sur les douleurs menstruelles. Elles ne sont jamais considérées comme assez graves : comme s’il était normal de souffrir quand on a ses règles.

Photo de Naomi Musenga, provenant de Femme Actuelle.
Photo originale du Facebook collectif Naomi Musenga
Photo de Naomi Musenga, provenant de Facebook.

L’histoire de Leana

Leana, étudiante de 19 ans originaire du Nicaragua, meurt de suite des complications d’une otite après s’être rendue aux urgences à deux reprises. L’autopsie a montré qu’elle a succombé d’une hypertension intra crânienne due à un abcès cérébral. Comme pour Naomi, sa mort était évitable, mais selon sa mère Carolina Cruz, ses symptômes n’ont pas été pris au sérieux. Cette dernière a porté plainte contre l’hôpital Edouard-Herriot pour homicide involontaire. Lors de sa deuxième visite aux urgences, Leana souffrait de vomissements incessants, et de maux de tête. Face à la gravité de la situation, certains se demandent pourquoi les médecins n’ont pas songé à l’examiner de manière plus complète.

Les dangers d’un préjudice racial et genré

La douleur dans l’histoire : une affaire de préjugés

Le syndrome méditerranéen pourrait être fondé sur des stéréotypes genrés et racisés sur la douleur. Ces stéréotypes ont pour la plupart une origine historique, et sont basés sur des connaissances pseudo-scientifiques. D’abord, il existe un stéréotype de genre. A travers l’histoire, le monde médical a associé la douleur des femmes à une hypersensibilité. On considère que les femmes sont plus enclin à exagérer, à surjouer leur douleur. On les dépeint parfois aussi comme totalement dépendantes de leurs hormones. C’est de là que vient la pseudo-maladie de l’hystérie : cette névrose qui associe intimement l’utérus et le désir d’engendrer de la femme, à sa folie ou son désordre psychique.

Le syndrome méditerranéen semble aussi découler de croyances racistes, comme celle que les personnes noires sont plus aptes à supporter la douleur, les blessures et les traitements violents. Que la douleur ne les atteint pas de la même manière que les autres humains. Ces croyances déshumanisantes nous sont héritées de l’époque colonialiste, et de la science des catégorisations raciales.

Les maladies gynécologiques : le diagnostic impossible ?

Certaines maladies féminines ont la réputation de prendre beaucoup de temps à être diagnostiquées. Pour ce qui est de l’endométriose*, les témoignages cauchemardesques affluent sur Internet. On y retrouve souvent le même leitmotiv : la patiente se plaint de douleur, et/ou de l’irrégularité de ses menstruations, à son médecin ou son gynécologue. Le spécialiste lui fait faire un examen banal, lui prescrit des anti-douleurs ou la pilule, et ça s’arrête là.

Bien sûr, les douleurs, elles, persistent. Donc, la patiente doit aller voir un autre spécialiste. Puis un autre. Et encore un autre. Après avoir vu plusieurs médecins, et avoir fait et refait les même examens, un diagnostic tombe enfin : il s’agit de l’endométriose. Oui, sauf que maintenant, la maladie ne pourra pas être soignée aussi facilement. Ses trompes et son utérus son striés de tissus cicatriciels. La douleur est plus forte, et difficile à atténuer. Beaucoup de patientes accusent le coup. Si le problème avait été pris au sérieux, si on leur avait prescrit un examen plus complet plutôt que la pilule, ça auraient limité les dégâts.

* L’endométriose : maladie chronique de l’endomètre (la muqueuse qui tapit les parois de l’utérus). Elle se caractérise par la présence de tissu semblable à l’endomètre hors de la cavité utérine.

Le monde médical surmené, ou désensibilisé ?

L’opératrice qui s’était moquée de Naomi Musenga a expliqué après le fait que son erreur de jugement était due à des conditions de travail pénible, et la nécessité de faire le tri entre les appels. Elle travaillait une journée de 12 heures, en remplacement. Les appels se suivaient, et elle devait rapidement traiter les appels canulars et les appels “inutiles” pour s’occuper des urgences. Elle se disait “sous-pression”. Beaucoup n’ont pas perçu son témoignage d’un bon oeil : dans l’enregistrement de l’appel, on peut l’entendre plaisanter avec sa collègue sapeuse-pompière.

En effet, son ton et son attitude ne traduise pas une impression d’être “sous-pression”, au contraire. Mépris de la souffrante, ou erreur fatale ? Nous ne pouvons pas connaître avec certitude la raison de l’apparente désinvolture de l’opératrice. Mais il est indéniable qu’il existe un problème de surcharge dans les services médicaux. Pour le cas de Leana, la jeune femme avait dû attendre 8 heures avant d’être prise en charge par les urgences. L’hôpital justifie ce délai par l’embolisation des urgences.

Photo provenant de Euronews.
https://fr.euronews.com/2019/11/14/l-hopital-public-en-colere-manifestation-nationale-en-france
Photo de personnels hospitaliers en manifestation à Paris. Crédits à Euronews.

De plus, nous pouvons ressentir une certaine désensibilisation dans le dialogue des deux femmes. L’opératrice s’énerve vite, et menace de raccrocher si Naomi ne lui explique pas tout très rapidement. Comment expliquer une telle réaction, venant d’une personne ayant travaillé dans ce service pendant 30 ans ? Il est possible qu’après un certain temps, les personnels médicaux et hospitaliers se désensibilisent à l’expression des douleurs des patients. Cela surtout s’il n’ont pas les moyens ou le temps de leur fournir un suivi individualisé.

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Des dispositifs mis en place pour éviter de telles erreurs ?

En réponse à la mort tragique de Naomi, Agnes Buzin a entreprit la mise en place d’un “numéro d’urgence unique”, le 113. Cette initiative a mené à la création d’un diplôme pour les assistants de régulation médicale, effectif à partir du 1er septembre 2019. L’objectif de ce numéro est de recevoir les appels concernant les problèmes de santé mineurs ou majeurs, et ainsi de désengorger les urgences.

S’il vous est déjà arrivé de voir vos douleurs et symptômes minimisés lors d’un examen médical, sachez que vous ne devriez jamais négliger votre santé et votre vie. Ne vous sentez pas intimidé : si vous n’allez pas bien, insistez. Si vous pensez qu’un docteur n’est pas à votre écoute, consultez un autre spécialiste. Mieux vaut prévenir que guérir.

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