Est-il nécessaire de contextualiser le contenu d’un film ?

Le reflet de la société, mais à quel prix ? La plateforme de streaming HBO Max a décidé de placer une introduction replaçant le contexte historique du film Autant en emporte le vent, critiqué pour édulcorer l’esclavage. Il en vint alors de s’interroger sur l’éventuelle nécessité de généraliser ce procédé à d’autres films.

Autant en emporte le vent : un contenu qui divise

Polémique cinématographique. Le 10 juin 2020, la plateforme de films en ligne HBO Max décide de retirer de ses rangs Autant en emporte le vent. Cette décision fait suite à la mort de George Floyd et des contestations sociétales mondiales contre le racisme. Diffusé en 1950 en France, le film retrace l’histoire de Scarlett O’Hara, jeune femme du sud esclavagiste de l’époque, et Ashley Wilkes lors de la guerre de sécession américaine en 1861. Le problème ? Plusieurs historiens ont accusé l’œuvre cinématographique de rendre positif l’esclavage.

En effet, le film dépeint le personnel de maison, de couleur noire, satisfait de leur situation et plutôt bien traité. Une présentation positive de l’esclavage n’incarnant pas du tout la réalité. Quelques jours après le retrait d’Autant en emporte le vent, l’annonce tombe : HBO rediffusera le film mais en y intégrant une introduction afin de le replacer historiquement. Le but est d’appuyer que l’œuvre cinématographique reste une fiction ne représentant pas une réalité parfaite. L’annonce servira aussi à expliquer qu’il a été produit dans les années 1930, moment où les États-Unis étaient encore très ségrégationnistes.

Quel est la nécessité de contextualiser historiquement un film, en accord avec les valeurs modernes ?

Ce procédé suscite de nombreuses réactions. « Nous pensions que garder ce film sans explication et dénonciation de ces représentations serait irresponsable » expliquent les représentants d’HBO au vu du mouvement actuel et mondial de lutte contre le racisme. La décision semble alors justifiée, voire primordiale pour certain. Selon Jacqueline Stewart, professeur au département d’études cinématographiques et médiatiques de l’université de Chicago, « le film romance l’esclavage » et a un « impact profond » sur la vision historique des téléspectateurs. La solution serait de fournir « une introduction plaçant le film dans ses multiples complexes historiques ».

L’annulation de la projection d’Autant en emporte le vent au cinéma Le Grand Rex

Pourtant, d’autres ne sont pas du même avis, et plusieurs raisons l’expliquent. Tout d’abord, si l’on contextualise Autant en emporte le vent, il faudrait en faire de même pour une multitude d’autres films. L’actrice Whoopi Goldberg déclare à ce sujet « je pense que si vous commencez à placer les choses dans un contexte historique, vous devrez retirer tous les films qui mettent en scène des Noirs, parce qu’ils ne nous dépeignent pas de la bonne façon… Et c’est une très longue liste de films ». 

L’hégémonie américaine

Un autre exemple ? La naissance d’une nation, sorti en 1915 et retraçant, à sa manière, la guerre de sécession et la reconstruction aux États-Unis. Glorifiant le Ku Klux Klan et les suprémacistes blancs, ce film présente les noirs comme des sauvages privant les blancs de leurs droits. Jean-Michel Frodon, critique de cinéma, explique qu’il est « légitime » que ces deux films « fassent l’objet d’un débat public ».

Mais nombreuses sont les productions méritant ce que l’on pourrait appeler une contextualisation. Le western en est un exemple. « Au moins jusqu’au milieu des années 1960, des centaines et des centaines de films ont falsifié l’histoire du génocide commis par les colons blancs et le gouvernement des Etats-Unis sur les Amérindiens » détaille Jean-Michel Frodon. Plus largement, les Etats-Unis ont souvent glorifié leur position dans l’histoire à travers des productions cinématographiques. Car le problème est là. S’inspirer de faits historiques et en modifier l’exact déroulement ne devrait-il pas être mentionné ? Les débats font rage et la question est complexe.

De nombreux films controversés

Et l’on pourrait même étendre cette réflexion préventive à d’autres situations : la culture du viol, le sexisme, l’homophobie… tant de maux sociétaux parfois banalisés au cinéma. Malgré sa forte audience à sa sortie, le film 365 DNI sur Netflix crée la polémique. Des internautes et des défenseurs du droit des femmes lui reproche de rendre glamour le viol, les attouchements tout en rendant sexy le syndrome de stockholm. Si certains s’accordent sur le fait que le film n’est rien d’autre qu’une fiction, d’autres lui reproche de romantiser la soumission féminine.

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La place de la liberté d’expression

L’autre considération et non des moindres, est bien sûr la question de la liberté d’expression. Et c’est là tout le paradoxe des films. Le septième art possède une liberté créative à nécessairement préserver. « Il ne faut en aucun cas édicter de code de censure, ou de liste des choses qui doivent être faites ou pas faites par un film. Il faut que chaque film puisse faire l’objet d’un débat » complète Jean-Michel Frodon. Replacer historiquement un film semble justifié bien qu’insuffisant vis-à-vis de l’image mensongère qu’il donne d’une situation réelle et passée.

Cependant, au-delà de ce respect de l’histoire, généraliser les préventions sur les contenus des films questionne la liberté d’expression du réalisateur. Nous frôlons alors les limites de ce droit fondamental. HBO a décidé seul de placer cette introduction avant Autant en emporte le vent. Quelle instance pourrait avoir la responsabilité de juger ce type de critère ? Pour le critique de cinéma, « il est exclu d’instituer un juge de la « correction politique », ou même une commission » : les échanges doivent se faire au sein de la société.

Débattre : le moyen d’éveiller les consciences

Si la discussion est lancée, le public semble divisé. La notion de contextualiser historiquement un film soulèvent une multitude de questions. Reste à savoir la forme et le fond que prendra l’introduction d’Autant en emporte le vent. Généraliser les annonces préventives sur le contenu controversé d’un film n’est, pour l’instant, qu’un débat.

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Cette publication a un commentaire

  1. On en arrive à une époque où les gens sont tellement cons qu’il devient nécessaire de leur faire un encart d’introduction leur demandant de réfléchir sur ce qu’ils vont regarder. Pathétique.

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