Les gens qui s’aiment : une mère et sa fille

Les gens qui s’aiment sont cinq chapitres de cinq histoires différentes. Ces récits témoignent de l’amour entre les Hommes. Voici son troisième chapitre. 

Cette troisième histoire est celle d’une mère et de sa fille

Maman ne voulait pas d’enfant, mais maman voulait un joli mariage qui durerait toute une vie. Comme tous les tristes autres, maman a fait l’amour pour l’amour, l’amour d’un enfant, l’amour pure et vrai et sans concession, et pour toujours. Puis, l’amour qui pardonne tout, qui recolle tout, le papier, les miroirs, les vases, et même des années de mariages à ne plus se regarder. Et je suis née, voyez-vous. Je suis née le 16 avril et ils ont divorcé. J’aimais mieux une séparation, que les cris, les pleurs, et les cris encore. Je ne crois pas que c’était bien. Que c’était juste. D’entendre ça, de vivre, de me sentir abandonnée et d’aujourd’hui sentir encore que cela a un impact sur moi, sur ma vie, mes relations avec les hommes et les femmes.

Il faut dire que maman est  devenu hystérique. Comme le pollen en été,  elle s’est réfugiée partout. Dans ma tête, ma chambre et mes idées. Maman était le pollen dont je suis allergique. Et j’ai fini par avoir les yeux puis le nez qui coulent. Elle se méfiait de tout et de tout le monde, j’ai fini par me méfier d’elle et de son penchant pour le contrôle. D’ailleurs, je crois que plus personne ne voulait d’elle. Elle avait fini par nous dégoûter, l’image qu’elle nous projetait n’était que l’idée qu’elle se vomissait d’elle. Je pense qu’elle était perdue, elle ne savait plus où aller, où dire son malheur, et ses erreurs. 

C’était plus facile d’aller vers moi, et me cracher dessus. J’étais la survivante, la plus petite et donc la dernière à être encore chez elle. La dernière à avoir ses réflexions, ses décisions, ses questions. Alors, j’ai un peu disparu, j’ai disparu et j’ai vécu qu’avec moi-même. Elle parlait, mais je ne l’entendais plus. J’étais cachée. J’étais cachée et elle ne me trouvait plus. Elle pouvait compter jusqu’à trente, jusqu’à soixante deux si elle voulait,  je ne savais plus compter et je ne comptais plus sur elle.

Alors elle pleurait de ses yeux, des insultes. Je suis une salope, je suis trop conne pour entreprendre, pour réussir, pour qu’on puisse m’aimer et me donner ma chance. Je dois me faire interner, folle alliée à toi maman, une grande malade de quinze ans, une petite conne, une égoïste, qui ne mérite pas l’amour de sa mère, ni celui des autres. 

Après tout ça, on n’a plus rien partagé. Même plus les insultes et encore moins un sourire ou deux trois rires. Je suis longtemps restée avec la sensation d’être moins bien réussi, que mes deux autres frères et sœurs. Il a dû se passer quelque chose à ma naissance, papa a dû mal faire son travail pour que maman ne parle jamais de moi. 

Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir été son dernier espoir qui allait sauver son mariage, comme si même avant que je naisse, je portais le poids de leur amour sur moi. J’ai l’impression qu’elle s’est sentie trahie, qu’elle avait tout misé sur moi, papa, ses enfants, son travail, son image, sa vie, mais que ma venue au monde n’avait rien changé à l’amour disparu, à la défaite des sentiments. Elle projetait l’échec de son mariage sur moi et j’étais en colère. 

C’est elle qui a été nulle, c’est elle qui m’a fait grandir dans un contexte de mort, qui, moralement, physiquement, m’a battue avec les mots, avec la force, pour me faire taire. Je ne suis pas le corps du désamour, maman. Je ne suis pas un bleu, je ne suis pas tes cicatrices, tes coups dans le coeur, tes coups de cœur, et tes coups de blues. Mais maman, regarde moi,  nous nous aimons, je suis ta fille et rien n’y changera.

Un jour, tu partiras, et on regrettera d’avoir été silencieuses. Je l’ai compris le jour où tu as perdu ta maman, et je suis devenue bavarde. J’ai compris que je n’aimerais pas garder ce souvenir, j’ai compris, que tu avais eu mal, et peur, aussi. 

J’ai compris que toi aussi  tu avais eu une maman, et que toute ta vie tu t’étais reposée sur elle. Comme un lit ou comme une nuit. Comme si ta vie en dépendait. Huit ans, maman, j’ai eu mal pendant huit ans, jusqu’au jour où je suis partie. J’ai pris ma valise, j’y ai mis ma rancoeur, nos drames, et mon nouveau bonheur sous un nouveau toit, réchauffé par un nouveau feu. C’était si bon. Ce soir, tu as longtemps été la nuit, froide et frileuse. Ce soir, tu es le jour et la nuit, secrète et copieuse. Car tu es la seule que j’aurai près de moi, tu es la seule qui s’appelle maman. Et c’est original comme prénom, maman. C’est le seul mot qui a eu raison sur tous les maux. 

J’aurais eu mal de te laisser sans amour, j’aurais eu mal de te laisser, sans que tu saches que je t’aime. Malgré nous, malgré tout, je suis heureuse maman.

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