75 ans du Lido : retour sur l’histoire du cabaret parisien avec Sonia Rachline

75 ans du Lido : retour sur l’histoire du cabaret parisien avec Sonia Rachline

Paris, son histoire, ses monuments, ses musées… et ses cabarets ! Alors que nous sortons d’une période de restrictions sans précédent, la nuit parisienne fait son grand retour. Ses institutions, cabarets en tête, se mettent en quatre pour faire revenir les spectateurs. Parmi elles, le Lido n’est pas en reste. Alors que le célèbre cabaret parisien fête ses 75 ans, Sonia Rachline a sorti un ouvrage rétrospectif intitulé Lido : plumes, strass et émotions le 20 octobre dernier aux éditions Flammarion. Nous l’avons rencontrée pour évoquer avec elle l’histoire spectaculaire de ce haut lieu des nuits parisiennes…

Écrivain et journaliste, Sonia Rachline a publié deux romans aux éditions Robert Laffont : Les Petits succès sont un désastre (2012) et David Bowie n’est pas mort (2017). Également journaliste de mode, elle a collaboré avec le magazine Vogue pendant plus de 30 ans. Lorsque Flammarion lui a proposé d’écrire un ouvrage sur le Lido, elle a ainsi été entraînée dans l’univers des cabarets qu’elle connaissait peu au départ. Comme elle nous l’a confié, « j’adore la musique et le spectacle, car je suis une personne tournée vers la culture. Pourtant, j’ai vraiment découvert le cabaret avec le Lido ».

À l’origine, le Lido n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. Pendant les années folles, dès le milieu des années 1920, le Lido était… un bain glamour et chic situé sur les Champs-Élysées. « Autour d’une piscine, d’un orchestre de jazz et d’un bar, le lieu comportait un institut où l’on pouvait se faire faire les ongles, se faire coiffer, etc. L’endroit était alors décoré à l’italienne. En effet, l’idée consistait à reprendre le nom et l’atmosphère de la plage du Lido à Venise ».

Les fastes du Lido des frères Clerico

En 1946, les frères Clerico ont racheté le Lido pour y faire d’énormes travaux. Ils souhaitaient en effet transformer le lieu en cabaret… tout en conservant son nom d’origine. S’est alors ouverte pour le Lido une période phare durant laquelle l’identité du cabaret s’est établie. Depuis 1946, 27 revues s’y sont succédé, depuis la première : « Sans Rimes ni raison » ; jusqu’à « Paris Merveilles » actuellement ; en passant par « Mississipi » ou encore « C’est magnifique ! ». Comme nous l’a rappelé Sonia, « chaque revue est une super production jouée pendant plusieurs années. Il fallait en effet beaucoup de temps et de moyens pour monter chacune d’entre elles ».

Cette tendance au spectaculaire s’est encore accentuée avec l’arrivée des « quatre mousquetaires » entre 1946 et 1950. Pierre-Louis Guérin a été engagé par les frères Clerico en tant que directeur de production. Ce dernier était un fou de spectacles, muni d’un carnet d’adresses absolument phénoménal. « Qu’il s’agisse de trouver un prince, un plombier ou un ministre, quelle que soit l’heure, chacun sait qu’il suffit à Pierre-Louis Guérin d’un simple coup de téléphone » (p. 33).

Ce dernier a engagé à son tour trois autres personnes. Il y a déjà René Fraday, qui avait été l’assistant de Mistinguett, célèbre actrice et chanteuse de l’entre-deux-guerres. Il est par la suite devenu directeur artistique et producteur des revues du Lido. Quant à Miss Bluebell, elle a rejoint l’équipe en tant que meneuse de revue, amenant sa troupe des Bluebell Girls avec elle. Enfin, Donn Arden, metteur en scène et chorégraphe, a donné aux revues du Lido leur côté spectaculaire. Il entendait qu’elles soient à la scène le pendant des grands films hollywoodiens : « spectaculaires, topless sculpturaux en plus », nous a expliqué Sonia.

75 ans du Lido : retour sur l’histoire du cabaret parisien avec Sonia Rachline
Grand Prix (1969) – (c) Daniel Frasnay / akg-images

Des revues à grand spectacle aux accents hollywoodiens

Dès les années 40, le Lido s’est positionné comme le plus hollywoodien des cabarets parisiens. L’influence américaine a tout de suite été évidente : chorus lines et autres emprunts aux films hollywoodiens à grand spectacle ainsi qu’aux comédies musicales de Broadway. L’exotisme caractérisait les mises en scène, avec de véritables dromadaires, des déserts reconstitués, des volcans en éruption, de grandes catastrophes comme des incendies, etc.

Les décors, style « carton-pâte », renforçaient le côté artistique des spectacles, évitant tout réalisme et laissant libre cours à l’imagination des spectateurs. Le Lido a fait notamment travailler André Cagnard puis son fils, tous deux issus d’une grande famille de cascadeurs des années 60 à 90 – ils ont par ailleurs travaillé avec Jean-Paul Belmondo. Grâce à leur contribution, d’authentiques dromadaires, des chevaux au galop ou encore un hélicoptère prenant réellement feu s’entremêlaient aux décors… Autant d’éléments inattendus et de catastrophes soigneusement orchestrées par les cascadeurs et autres dompteurs ! Paradoxalement, l’alliance entre le vrai et le faux donnait un côté incroyablement spectaculaire aux revues du Lido.

Une machinerie unique au monde

Tous ces effets spéciaux prenaient vie grâce à une machinerie incroyable, qui permettait de changer les décors en fonction des différents tableaux présentés. Comme l’a souligné Sonia, « c’est une autre spécificité du Lido que de posséder une machinerie unique au monde ».

Cette dernière date de 1977, lorsque le cabaret a déménagé du 78 au 116 bis de l’avenue des Champs-Élysées. Ce Lido « deuxième génération » a ouvert après des travaux monumentaux, notamment pour installer un « porte-avions » sous la scène. Ainsi, on trouve encore aujourd’hui sous la scène une piscine et une patinoire, entre autres, ainsi qu’une « tournette » permettant de sortir ou de ranger les éléments du décor au moment voulu. Comme l’a remarqué Sonia : « La machinerie est si importante au Lido que nous lui avons consacré toute une partie du livre. Elle a d’ailleurs depuis été copiée partout ! »

« Par ailleurs, a poursuivi Sonia, les spectateurs qui viennent s’installer à leur place dans la salle du Lido reçoivent un premier choc, alors que le spectacle est sur le point de commencer. En effet, ce n’est pas la scène qui monte pour que tout le monde puisse bien la voir. C’est la salle qui descend. En effet, sous la scène, de nombreux éléments de décor sont rangés. Il ne s’agit donc pas de bouleverser cet agencement millimétré ! »

Dans les coulisses du Lido

Malgré l’importance des aspects techniques, le Lido, c’est aussi, et peut-être avant tout, une aventure humaine et artistique. Ainsi, les costumes sont dessinés par le costumier, en collaboration avec le directeur artistique, le chorégraphe, etc. Ils sont par la suite fabriqués dans des ateliers spécifiques qui font appel à des corps de métiers particuliers. Les plumassiers notamment, la plume étant un élément fondamental des costumes de cabaret. Mais il y a aussi des bijoux, des souliers et de nombreux accessoires.

Ayant longtemps travaillé dans la mode, Sonia a pu comparer ces deux univers. Différence essentielle, « les costumes de cabaret doivent être solides vis-à-vis des danseuses qui vont les revêtir pendant cinq ans, tous les soirs, deux fois par soir. En haute couture, l’important est d’être beau le temps d’une soirée. Dans les deux cas, on retrouve la même maîtrise et le même soin. Tout est fait main. Les plumes sont teintes et pliées à la main. Plusieurs corps de métiers sont ainsi mis à contribution, y compris les chapeliers, dont le rôle est très important. »

Sonia a poursuivi : « pendant les spectacles, les habilleuses assistent les danseuses pendant leurs changements de costumes, car elles n’ont que trois minutes pour se changer. Les costumes doivent donc non seulement être solides, mais modulables et escamotables en un temps record. De plus, si un bouton se découd ou qu’une agrafe saute, l’habilleuse va réparer immédiatement pour le deuxième spectacle de deuxième partie de soirée. Les habilleuses s’occupent des travaux de couture les plus urgents. Quant aux couturières, elles arrivent le matin. Puis, entre 8 et 19 heures, elles réparent de manière pérenne les costumes abîmés. Ce sont de véritables magiciennes ! »

Parmi les autres corps de métiers, on compte les machinistes, électriciens, régisseurs et les différents métiers de la restauration. Finalement, dans ce petit endroit des Champs-Élysées, 300 personnes et des dizaines de corps de métiers différents se croisent toutes les nuits.

Renouer avec le rêve

Dans le contexte actuel qui nous a privés de sorties, de voyages, etc., « aller au Lido, c’est l’occasion d’aller voir un spectacle devant lequel on fera : waouh ! », en a conclu Sonia. D’autant que « Paris Merveilles » , le spectacle actuel, célèbre les 75 ans du Lido. Il s’agit d’un spectacle-rétrospective, pour lequel un certain nombre de costumes et de décors anciens ont été remis à l’honneur.

Quand on va au Lido, nul besoin d’avoir une passion pour le cabaret pour se rendre compte du caractère éblouissant du travail réalisé : costumes, chorégraphies, décors, etc., tout y est somptueux ! Sonia a souligné combien l’enthousiasme de celles et ceux qui faisaient vivre le cabaret était communicatif. « Les membres de cette équipe à taille humaine sont prêts à tout pour vous en mettre plein la vue. Avec une bienveillance et un entrain perceptibles, notamment dans les entretiens que j’ai pu mener ». Il ne nous reste plus qu’à aller constater sur place l’effet « Waouh ! » des spectacles du Lido…

75 ans du Lido : retour sur l’histoire du cabaret parisien avec Sonia Rachline
(c) éditions Flammarion, octobre 2021

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